Le réchauffement climatique exacerbe les risques sanitaires tels que les maladies respiratoires et la propagation de certaines maladies. Les inégalités, particulièrement chez les populations vulnérables, aggravent ces impacts.
Il est crucial d’intégrer la santé dans les politiques climatiques. Une collaboration entre les gouvernements, les entreprises et les institutions est nécessaire pour une réponse efficace et équitable.
Nous avons décidé d’interviewer Anani A. OLYMPIO, Ph.D., actuaire certifié expert ERM CERA, Institut des Actuaires, Recherche et prospective stratégique Chaire Digital And Long term risk – DIALog – CNP Assurances
En assurance de personnes, quelles sont les préoccupations et réflexions en cours sur le lien entre le changement climatique et la santé ?
Il faut reconnaitre que le lien entre le changement climatique et la santé humaine, notamment les impacts directs sur la mortalité et/ou la morbidité, est plus difficile à établir de manière complète en assurance. Bien que nous manquions encore du recul suffisant, nous percevons que ce lien existe au regard des quelques chiffres dont nous disposons. Il s’agit d’un sujet d’intérêt général qui concerne les citoyens ainsi que les acteurs publics et privés.
La littérature s’enrichit progressivement des travaux et publications qui explorent ces liens à partir des observations de ces dernières décennies. Par exemple, The Lancet a fait une publication sur le lien entre réchauffement climatique et santé humaine. Entre 1990 et 2020, les auteurs ont noté une augmentation de 85% du nombre de décès des personnes de plus de 65 ans contre 35% sans les effets du réchauffement climatique.
Dans un monde à + 2°C, le rapport anticipe une progression 4,7 fois supérieure chaque année du nombre de décès liés à la chaleur, 2 fois plus d’heures de travail perdues et plus de 500 millions de personnes en insécurité alimentaire.
Enfin, selon un rapport publié par le Forum économique mondial en 2022 et intitulé “Global Risk Report 2022”, la crise climatique représente la principale menace sur le long terme pour le monde. Le rapport classe ce risque en deuxième position parmi les plus grandes menaces auxquelles les compagnies d’assurance font face, juste derrière le risque de cyberattaque et devant celui de pandémie.
Quels impacts auront les canicules ? Comment ces épisodes de chaleur intense évolueront-ils à l’avenir ? Et comment s’adapter à cette nouvelle réalité ? Autant de questions urgentes auxquelles la communauté scientifique et les prospectivistes tentent d’apporter des réponses satisfaisantes.
Vos récents travaux dans le cadre de votre partenariat avec la chaire de recherche Digital Insurance And Long term risk – DIALog, vous ont conduit à la publication d’un livre vert sur le risque climatique et impact en assurance. Quels sont les grands enseignements à retenir ?
Publié en juin 2024, le livre vert a été présenté lors d’une émission web TV qui a rassemblé à cette occasion des experts, des chercheurs et des dirigeants du secteur de l’assurance, notamment Véronique Weill (Présidente du Conseil d’administration de CNP Assurances), Marie-Aude Thépaut (Directrice générale de CNP Assurances) et Florence Lustman (Présidente de France Assureurs).
Ce livre présente pour les non-initiés une introduction à la science du climat du point de vue de l’assurance. L’accent est mis sur la mesure du changement climatique et de son impact sur les assurés et leurs assureurs. Il explore les méthodes modernes d’évaluation des risques climatiques, combinant data science, intelligence artificielle et données massives.
Afin d’aider les compagnies d’assurance à prédire et gérer les risques climatiques, les actuaires nord-américains ont défini l’Actuaries Climate Index™, qui combine des informations provenant de plusieurs variables météorologiques importantes issues des archives historiques des États-Unis et du Canada. Tout comme l’Indice des prix à la consommation (IPC) suit, au fil du temps, les variations du coût d’un panier standard de biens et de services, l’Actuaries Climate Index™ mesure les risques climatiques à travers un panier d’événements climatiques extrêmes et de variations du niveau de la mer. Dans le livre vert, nous présentons les résultats de l’indice actuariel climatique calculé avec les données climatiques françaises. Cet indice factuel est déjà utilisé par certains acteurs du secteur de l’assurance (par exemple nord-américain, australiens, espagnols…) pour suivre l’évolution de certains aléas climatiques. Il pourrait aussi servir de référence pour faire de l’assurance paramétrique, quantifier les effets du changement climatique sur leurs bilans et tester la résilience des acteurs. Notre objectif est de servir l’intérêt général en contribuant à travers les travaux de recherche via le dispositif de la chaire d’excellence DIALog à répondre aux besoins de place sur le développement d’outils de mesures efficaces.
Ce travail vous a-t-il conduit à explorer certains impacts directs du changement climatique sur la santé humaine ?
Nos analyses nous ont conduit à faire le constat qu’il y a un vrai sujet concernant les impacts directs et indirects du changement climatique sur la vie humaine. Tout d’abord, les enjeux du changement climatique pour les assurances de personnes n’ont pas encore été étudiés de manière aussi systématique que ceux des assurances de dommages. Toutefois, de nombreuses études récentes démontrent et anticipent une hausse de la morbidité (du nombre de personnes malades) et de la mortalité (du nombre de décès) dues à l’augmentation de la chaleur.
En 2003, l’Europe a connu l’une des plus grandes canicules de son histoire, laquelle a causé plus de 70 000 décès (dont 15 000 en France). Depuis, des stratégies d’adaptation ont été développées pour tenter de réagir rapidement en cas de forte chaleur et pour protéger les populations les plus vulnérables. Alors que les épisodes de canicules ne cessent de se multiplier ces dernières années, et qu’il est estimé que le nombre des vagues de chaleur (anormalement élevées) pourrait doubler d’ici 2050, il est crucial de mieux caractériser la mortalité associée et d’évaluer l’efficacité des stratégies mises en place. L’été 2022 s’affiche comme le plus chaud jamais enregistré en Europe, selon le service européen Copernicus sur le changement climatique : plus de 61 000 décès dus à cette chaleur estivale sur le continent européen (35 pays), dont près de 5 000 en France. Ces résultats suggèrent que les stratégies d’adaptation à la canicule dont nous disposons aujourd’hui pourraient encore être insuffisantes.
Les vagues de chaleur intenses sont associées à une dégradation de la santé, notamment des personnes âgées (notamment les 65 ans et plus, et les personnes les plus fragiles également) entraînant des passages aux urgences et une augmentation de la mortalité. Ces impacts sur la santé entraînent non seulement des conséquences directes sur les assurances vie, décès, santé et retraite, mais peuvent également impacter les assurances de défaut de paiement de prêts des personnes décédées. Ainsi, les impacts d’événements climatiques ne sont pas seulement directs, mais peuvent se matérialiser par une chaîne d’impacts.
Par ailleurs, la chaleur n’est pas l’unique aléa climatique ayant des effets néfastes sur la santé : selon l’ONU, sur l’année 2023, le recensement des différentes catastrophes naturelles fait état de plus de 20 000 victimes et de millions de déplacés. Par exemple, l’augmentation en fréquence et en intensité d’aléas climatiques comme les inondations, les glissements de terrain ou encore les vents forts, contribuent à la détérioration des infrastructures et augmentent fortement les risques d’accidents.
Enfin, aux impacts directs viennent s’ajouter des effets indirects comme la propagation potentielle de maladies vectorielles telles que la dengue ou l’amplification d’effets de pollution de l’air. En parallèle, la chaleur est aussi associée à une augmentation des malaises au travail et impacte donc les assurances du travail. Enfin, les vagues de chaleur peuvent également détériorer les infrastructures, augmentant le risque de défauts et d’accidents. Ce sont des facteurs structurants que nous intégrons dans nos analyses comme pistes d’amélioration.
Le changement climatique pourrait-il dans l’avenir impacter les coûts des primes d’assurance, notamment en ce qui concerne les assurances santé et prévoyance ?
Oui, le changement climatique pourrait avoir un impact significatif sur les coûts des primes d’assurance, y compris les assurances santé et prévoyance. Au-delà des conséquences liées aux vagues de chaleur évoquées précédemment, plusieurs facteurs peuvent en être la cause.
Le changement climatique peut entraîner une augmentation des maladies respiratoires dues à la pollution de l’air et des maladies vectorielles comme le paludisme et la dengue. Ces risques accrus peuvent entraîner une augmentation des demandes de remboursement et, par conséquent, des primes d’assurance santé.
Les événements climatiques extrêmes, tels que les inondations, les tempêtes et les incendies de forêt, peuvent causer d’importants dommages aux biens et aux infrastructures. Il est possible que les personnes touchées soient fragilisées et confrontées indirectement à des impacts sur leur santé et donc affecter les coûts des assurances santé et prévoyance.
Les déplacements forcés et les pertes économiques, peuvent augmenter le stress et les problèmes de santé mentale. Cela peut entraîner une augmentation des demandes de services de santé mentale, influant ainsi sur les coûts des assurances santé. Il y a aussi les coûts liés à l’adaptation et à la résilience. Les assureurs devront investir dans des mesures d’adaptation et de résilience pour faire face aux impacts du changement climatique. Ces investissements peuvent se traduire par des coûts supplémentaires qui pourraient être répercutés sur les primes d’assurance. Enfin, les évolutions réglementaires et politiques pourraient contribuer à la hausse des tarifs. Les gouvernements pourraient imposer de nouvelles réglementations pour faire face aux risques climatiques, ce qui pourrait entraîner des coûts supplémentaires pour les assureurs et, par conséquent, des augmentations de primes.
Quelles initiatives et mesures votre entreprise a-t-elle mis en place pour contribuer à la lutte contre le changement climatique ?
CNP Assurances est un assureur complet et un acteur majeur en France et à l’international. Au sein du Grand Pôle Financier Public, le groupe participe aux actions en faveur du climat. Son engagement pour accompagner la transition écologique et énergétique est au cœur de sa raison d’être. CNP Assurances s’est fixée pour objectif d’atteindre la neutralité carbone de son portefeuille d’investissements d’ici 2050. Cela inclut des actions comme la rénovation de son portefeuille immobilier pour améliorer son efficacité énergétique.
a) Encadrement des investissements dans les énergies fossiles : CNP Assurances a durci sa politique d’exclusion en matière de charbon thermique et a doublé ses investissements à impact pour atteindre un milliard d’euros d’ici 2025. L’entreprise a adopté une politique stricte pour encadrer ses investissements dans le secteur du pétrole et du gaz, en complément de sa politique sur le charbon thermique. Le groupe a atteint ses objectifs de réduction de l’empreinte carbone de son portefeuille actions cotées détenues en direct avec un an et demi d’avance, réduisant de 47 % entre 2014 et 2019.
b) Investissements verts : CNP Assurances s’est engagée à réduire l’empreinte carbone de son portefeuille d’investissements. Par exemple, elle vise une réduction de 25 % de l’empreinte carbone de son portefeuille actions, obligations d’entreprise et infrastructures en direct entre 2019 et 2024. L’entreprise prévoit d’atteindre 30 milliards d’euros d’encours d’investissements verts d’ici 2025. Ces investissements incluent des forêts, des obligations vertes, des immeubles à haute performance énergétique et des infrastructures vertes.
c) Dialogue avec les entreprises : Chaque année, CNP Assurances dialogue avec plusieurs entreprises et gestionnaires d’actifs pour les inciter à adopter des stratégies alignées sur un scénario de réchauffement climatique limité à 1,5 °C.
d) Protection de la biodiversité : En plus de ses initiatives climatiques, CNP Assurances s’engage également à protéger la biodiversité. Par exemple, elle mesure la biodiversité de 100 % de son patrimoine forestier et consacre une partie de ses forêts à des zones en évolution naturelle.
e) Mécénat : L’entreprise participe à des initiatives de mécénat en soutenant des organisations et des projets qui œuvrent pour la protection de l’environnement et la sensibilisation au changement climatique. Cela inclut des programmes éducatifs et des campagnes de sensibilisation.
f) Partenariats stratégiques : L’entreprise collabore avec des ONG, des institutions de recherche (Institut pour la Recherche du groupe CDC) et d’autres acteurs du secteur financier pour partager des connaissances et de meilleures pratiques en matière de gestion des risques climatiques.
Ces mesures montrent l’engagement de CNP Assurances à réduire son propre impact environnemental, mais aussi à contribuer activement à la gestion des risques climatiques.
Extrait dernier magazine #8 Dessine-Moi L’assurance produit par Vovoxx Média