Fraude sociale : un défi économique et social majeur

Le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) estime que la fraude sociale avoisine les 13 milliards d’euros par an et formule des recommandations de prévention.

La France a mis en place un modèle de protection sociale solide, destiné à redistribuer les richesses pour réduire les inégalités. Ce système, fondé sur la confiance dans la justice des prélèvements et prestations, est fragilisé par la fraude sociale, qui coûte cher à la collectivité et génère un fort sentiment d’injustice.

Selon le rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale publié le 26 septembre 2024, si la lutte contre ce fléau a permis quelques progrès, elle a des répercussions financières et symboliques forts.

Cela touche également le système de l’assurance, jouant un rôle crucial dans le système de la protection sociale, lorsque la fraude se traduit par des augmentations de primes pour les assurés respectueux des règle. Bien que le HCFiPS soit consulté pour émettre des avis de réforme, le Premier ministre Michel Barnier a affirmé le 22 septembre dernier qu’il s’attaquerait à ce problème, mais les contours de sa politique restent à définir.

Un impact massif sur les finances publiques

La fraude sociale, selon le rapport du HCFiPS, « agit comme une corruption lente et insidieuse du corps social de la nation ». En première ligne, l’Urssaf, subit un manque à gagner estimé à 6,91 milliards d’euros, en raison principalement du travail dissimulé, et le HCFiPS estime que « le risque le plus important porte sur les micro-entrepreneurs ». Il rappelle que les fraudes des entreprises, qui représentent 53 % des fraudes à l’Urssaf, sont plus complexes à détecter et à sanctionner, car elles peuvent organiser leur insolvabilité ou disparaître.

La Caisse Nationale des Allocations Familiales, fait face à une fraude importante concernant le Revenu de Solidarité Active (RSA), évaluée à 1,54 milliard d’euros, et la prime d’activité, qui est sujette à des fraudes de plus de 1 milliard d’euros. Dans l’ensemble, les assurés sociaux représentent environ un tiers des montants fraudés, ce qui facilite en partie la récupération de ces sommes. En effet, les administrations peuvent prélever directement les montants dus sur les prestations versées.

Cependant, le secteur de la santé est également touché : l’Assurance Maladie est affectée par un préjudice de 1,71 milliard d’euros, dont 340 millions attribués aux infirmiers libéraux. Dans le domaine de la santé, l’Agence de lutte contre l’arnaque à l’assurance a relevé triplement des montants fraudés en santé en 2023, s’élevant à 83,5 millions d’euros. Seule la branche des retraites semble relativement épargnée par ces dérives.

Le chiffre global avancé par le rapport, 13 milliards d’euros de fraudes sociales par an, reste toutefois un « volume théorique annuel ». Il ne couvre pas l’ensemble des prestations ni tous les types de risques, laissant la porte ouverte à des interprétations divergentes et soulevant des questions sur les réalités de ce système complexe. Au total, les montants effectivement recouvrés, sont évalués à 600 millions d’euros.

Un renforcement des moyens de contrôle et de prévention

Malgré les efforts engagés ces dernières années pour intensifier les contrôles, seulement 2,1 milliards d’euros de fraude ont pu être détectés et stoppés. Le HCFiPS insiste donc sur la nécessité de faire plus, avec un ensemble de 81 recommandations. Parmi celles-ci, le rapport souligne l’importance de distinguer clairement l’erreur de la fraude, qui s’appuie aujourd’hui sur sur un critère d’intentionnalité, introduit en 2018 par la loi Essoc sur le « droit à l’erreur ». Une mesure, qui permettrait de mieux orienter les sanctions et les mesures correctives.

Le rapport propose également de renforcer la coopération entre les différents acteurs concernés, une gouvernance pilotée à la Direction de la Sécurité sociale, pour mieux coordonner les efforts de lutte contre la fraude. Dans ce cadre, il est essentiel que les assureurs,  collaborent avec les autorités publiques afin de partager des informations clés et ce qui permettrait d’optimiser les stratégies de prévention et de détection de la fraude.

La cybercriminalité, à travers l’usurpation d’identité, autre défi de taille, doit également être mieux combattue. Des actions concrètes sont proposées, comme la sécurisation des comptes bancaires en partenariat avec la Banque de France. En effet, bien que la [technologie]() crée de nouveaux risques, elle représente également un outil précieux pour matérialiser la fraude. L’automatisation des traitements via l’intelligence artificielle permettrait de gagner en productivité et de sécuriser les processus, même si leur opacité est souvent critiquée. Les assureurs innovent en la matière avec des outils d’intelligence artificielle détectant des comportements suspects en temps réels même si l’enjeux du respect des règles régissant l’accès aux données personnelles de cette automatisation demeure un défi.

Pourtant, certains critiques, comme celles évoquées par la sénatrice de l’Orne Nathalie Goulet, jugent ces recommandations trop générales. Selon elle, « la quasi-totalité des recommandations est générale et pas particulière », ce qui empêcherait d’apporter des solutions adaptées aux différents types de fraudes, notamment celles qui touchent les prestations sociales.

Par ailleurs, bien que la fraude sociale représente un enjeu majeur, le rapport avertit qu’elle ne peut, à elle seule, résoudre le déficit public, qui dépasse les 6 %. Éric Bocquet, sénateur communiste, sans nier l’existence de la fraude sociale, regrette qu’elle prenne autant de place dans les débats publics, “je préfère qu’on s’intéresse à la fraude fiscale. On l’évalue entre 60 et 80 milliards”.  La lutte contre la fraude, qu’elle soit sociale ou fiscale, demeure un enjeu crucial pour l’avenir de la solidarité nationale et un défi majeur pour l’équilibre des finances publiques.

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