Les enjeux climatiques au cœur de la relation clients*. Par Charlotte Girard, Directrice des sinistres – Groupe Matmut.
Charlotte Girard occupe le poste de Directrice des sinistres au sein de la Direction de la Relation Sociétaire du Groupe Matmut. Cette Direction englobe la distribution, l’indemnisation et les fonctions support, servant de pivot aux interactions avec les sociétaires.
Elle supervise une équipe de 1250 collaborateurs répartis à travers la France, dédiés à la gestion et à la résolution de 600 000 sinistres par an, couvrant principalement les domaines de l’assurance auto, habitation, corporelle, et scolaire.
Quels sont les grands enjeux liés aux changements climatiques et leurs impacts en termes de relation clients et de gestion/ indemnisation en assurance dommages ?
Une étude récente de France Assureurs projette une hausse significative des coûts liés aux événements climatiques pour les 30 prochaines années, par rapport aux 30 années passées. Les coûts devraient quasiment doubler, atteignant près de 150 milliards d’euros répartis sur cette période, soit environ 5 milliards par an. Cela signifie concrètement que ce que nous vivons aujourd’hui de manière ponctuelle, comme la tempête Xynthia en 2010, ou les séries d’événements climatiques de 2022 et 2023, deviendra de plus en plus fréquent, voire la norme…
Derrière la terminologie « événements climatiques », on trouve une variété de phénomènes : des épisodes de grêle en juin, des épisodes cévenols en octobre-novembre, des tempêtes, des inondations liées aux crues de fleuves et rivières, mais aussi des épisodes de gel sévère en hiver. Ou bien à l’inverse, des périodes de chaleur intense qui provoquent des sécheresses pouvant déstabiliser les fondations des maisons ou déclencher des incendies de forêts dévastateurs.
A la Matmut, nous sommes particulièrement concernés par ces événements. Notre ADN est celui d’un assureur de dommages du particulier : si nous développons progressivement nos parts de marché en assurances de personnes, notre portefeuille reste très majoritairement constitué de contrats automobile et habitation, nous exposant directement aux événements climatiques.
Ces dernières années, notamment 2022 et 2023, de nombreux événements climatiques se sont succédé en France. Chaque événement est pour nous une véritable gestion de crise, nécessitant coordination, communication efficace entre tous les acteurs impliqués, réactivité, et capacité d’innovation.
L’impact des évènement climatiques sur la mobilisation et les coûts de la sur-sinistralité
Les gestionnaires sont extrêmement mobilisés en cas d’événements climatiques, mais ils ne sont pas les seuls. Toute la chaîne d’intervenants est engagée. Les assisteurs sont là pour répondre à l’urgence, qu’il s’agisse de remorquer une voiture ou de reloger une famille. Ensuite, nos gestionnaires prennent le relais, avec aussi le recours aux experts et aux réparateurs.
La difficulté réside dans le fait que tous absorbent le même pic d’activité en même temps et aux mêmes endroits. Pour autant, l’exigence reste de bien faire notre métier d’assureur, et de répondre aux clients dans des délais acceptables. Cela nécessite d’adapter nos modes de fonctionnement, nos pratiques et nos consignes, en introduisant des processus accélérés et simplifiés, afin de faciliter la vie de nos équipes et de nos sociétaires.
En termes de coûts, les impacts sont majeurs. Les années 2022 et 2023, par exemple, ont vu une augmentation de la sinistralité de 10 à 15 %. Cette situation représente certainement une opportunité pour innover et progresser, mais à court terme, elle est très coûteuse. Pour la Matmut, une année compliquée peut représenter en sur-sinistralité, deux fois l’équivalent du résultat opérationnel, soit plus de 100 millions de sur-sinistralité en 2022 ou 2023.
Par ailleurs, la gestion des sinistres n’est pas nécessairement liée à la nature climatique ou non-climatique du sinistre. Elle dépend plutôt de la gravité de ce qui arrive au client. Prenons l’exemple de la grêle : bien que cela entraîne des impacts sur la voiture, ce qui peut être ennuyeux, la voiture peut généralement continuer à rouler. C’est d’avantage un dommage esthétique, et même si les garages peuvent être localement saturés et proposer des rendez-vous lointains, le client peut en attendant toujours se déplacer, se rendre à son travail…
A l’inverse, si ma famille doit être relogée pendant des semaines ou des mois à cause d’un taux d’humidité inacceptable, dans la maison, la situation est radicalement différente. Le degré de gravité prime en matière de gestion des sinistres.
Il y a aussi le cas particulier de la sécheresse, qui nécessite un arrêté de catastrophe naturelle. Cela peut être difficile à comprendre pour les clients, car il faut attendre que la mairie se mobilise et demande l’arrêté à la préfecture, ce qui peut prendre du temps. Cette attente génère souvent des incompréhensions majeures, car les assureurs ne peuvent intervenir avant l’arrêté, qui conditionne le remboursement. Ces sinistres sont souvent graves, car ils touchent les fondations des maisons et bâtiments et leur résolution est généralement longue et coûteuse.
Parmi les expériences marquantes, dans ce contexte de nouvelle donne climatique, je tiens à souligner la solidarité interne, au sein de la Matmut. Lors d’épisodes majeurs, toute l’entreprise est mobilisée, avec une entraide notable entre les services. En 2022, par exemple, nous avons pu compter sur tous nos collègues des agences. Bien qu’ils ne gèrent habituellement pas de sinistres, ils ont rejoint les boucles téléphoniques de l’indemnisation, avec nous. En période de crise, nous avons estimé que la priorité absolue était d’être au rendez-vous des attentes de nos sociétaires sur les sinistres et que cette priorité primait sur le business et la souscription. Avec 500 agences en plus de nos 1250 gestionnaires et experts, nous avons réussi à recueillir et traiter toutes les déclarations en quelques jours, renforçant ainsi la solidarité et la résilience de notre modèle.
Les attentes/exigences des clients lors des événements climatiques
Lors des sinistres climatiques, il est essentiel que nous soyons là pour accompagner, écouter, et offrir une proximité réelle au client, tout en solutionnant rapidement ce qui peut l’être, afin de l’aider à retrouver une vie normale. Les sociétaires ont besoin d’être rassurés et écoutés. Nous faisons face à une variété de situations, allant du désagrément matériel à des drames humains. Parfois, c’est une simple grêle qui laisse des impacts sur la voiture, ce qui est certes pénible, mais purement matériel. Mais d’autres fois, les situations sont bien plus graves, comme, je l’évoquais, une maison inondée dans une zone particulièrement exposée, empêchant le client de l’utiliser pendant plusieurs mois et nécessitant un logement temporaire.
Il peut même y avoir des blessures ou des risques mortels, par exemple lorsqu’un arbre tombe sur une toiture et que la chambre se trouve en dessous.
Nous constatons aussi une évolution perceptible dans la manière dont les assurés réagissent aux sinistres climatiques. La prise de conscience de ces risques est largement liée au rôle des médias, qui ont contribué à faire comprendre que les événements climatiques majeurs sont une nouvelle réalité. Cela a créé une perception collective de cette nouvelle donne.
Les clients ont aussi besoin de pédagogie et d’explications, et la complexité de l’assurance, notamment avec le dispositif d’arrêté de catastrophe naturelle, pour des événements tels que la sécheresse ou l’inondation, ajoute à leur confusion. Cela amène de nombreuses questions sur ce qui est couvert ou non, et en quoi un arrêté de catastrophe naturelle peut modifier les choses. Ces sujets de discussions deviennent de plus en plus courants, au moment d’un sinistre climatique, mais aussi en amont, lors du choix d’un contrat d’assurance. Nous remarquons ainsi une plus grande inquiétude chez nos sociétaires lors de la souscription, due à la répétition de ces phénomènes.
Par ailleurs, je suis souvent surprise par l’indulgence dont les clients font preuve lors de sinistres climatiques. Ils semblent conscients des efforts déployés par les assureurs pour gérer ces situations du mieux possible. Cette compréhension crée une forme de solidarité et d’empathie envers nos équipes, ce qui est appréciable. Nous entendons souvent des remarques comme ‘J’ai un petit sinistre, ce n’est pas grave. Je comprends que vous ayez des dossiers plus prioritaires à régler. Vous devez avoir des journées chargées en ce moment.’ Cela est vraiment très appréciable. Cependant, cette compréhension a ses limites. Après quelques jours, l’assuré attend légitimement que nous nous occupions de lui.
La sensibilisation des sociétaires et la mobilisation des équipes face aux risques climatiques
Nous avons accentué nos communications pour sensibiliser nos sociétaires aux risques climatiques. Nous utilisons plusieurs types de communication, que je qualifierais de dispositifs classiques. D’abord, il y a la communication en libre-service, à travers les fiches conseils et prévention que nous postons sur nos sites. Elles couvrent toutes nos lignes métiers et sont largement consultées, avec plus de 600 000 visites annuelles.
Ensuite, nous avons des communications proactives, comme des e-mails ou newsletters, que nous envoyons régulièrement, soit à tout notre portefeuille de sociétaires, soit de manière plus ciblée, selon les zones ou départements concernés. Ces communications relaient des conseils avant, pendant, et après les événements climatiques.
Enfin, le dernier niveau de communication est en lien direct avec les événements climatiques, ciblant les départements, villes ou zones touchés. Nous envoyons des SMS préventifs pour inciter nos sociétaires à prendre des mesures. Ces mesures comprennent d’une part des actions préventives, comme ranger sa voiture dans un parking ou fermer les volets, et d’autre part des conseils pour limiter les dégâts en cas de sinistre inévitable.
De notre côté, en interne, nous progressons en anticipant et en apprenant de chaque événement climatique. Après chaque événement, nous effectuons un bilan et un retour d’expérience, ce qui nous permet d’ajuster nos dispositifs pour les événements futurs. La fréquence accrue des événements climatiques nous a également poussés à concevoir une sorte de kit ou de boîte à outils pour gérer efficacement ces crises.
Ce kit comprend des consignes simplifiées pour nos gestionnaires, divisées en niveaux 1, 2, et 3, pour accélérer le traitement des sinistres. Par exemple, nous pouvons faciliter le règlement des factures sans exiger systématiquement un devis préalable ou réduire la nécessité de mandater systématiquement des experts. Des mesures exceptionnelles préparées à l’avance peuvent être déclenchées selon la gravité de l’événement.
Nous anticipons également toute la communication, avec des SMS préventifs avant, pendant, et après les événements, personnalisables en fonction du nom de la tempête. Cela permet d’être réactif et de fournir des informations immédiates aux sociétaires sur les modalités de déclaration et pour les rassurer.
Enfin, nous avons prévu la répartition des flux d’appels et de ressources internes. Nous pouvons ajuster l’aiguillage pour alléger certaines équipes. Par exemple, un événement dans le Nord-Pas-de-Calais peut être géré nationalement, y compris par nos agences. Ces dernières peuvent intervenir en vis-à-vis, ou, en modifiant leurs horaires, intégrer les boucles téléphoniques d’indemnisation, ajoutant 2500 conseillers supplémentaires pour répondre aux appels.
Si les conseillers ne peuvent pas résoudre directement tous les problèmes, ils peuvent au moins enregistrer les éléments de la déclaration, ce qui permet à nos équipes d’instruire plus rapidement les dossiers par la suite.
Les événements climatiques étant de plus en plus fréquents, cela nous donne parfois le sentiment d’une certaine normalité dans l’entreprise. Cependant, ils relèvent bien d’une gestion de crise, car des dispositifs extraordinaires sont généralement déployés sur une période courte. Mais ces événements reviennent régulièrement, ce qui nous oblige à ‘rester zen’ et à les intégrer dans l’ensemble de nos processus.
La clé est vraiment l’anticipation. Ainsi, chacun est à sa place et sait ce qu’il a à faire. Cela n’empêche pas de tester ponctuellement de nouvelles choses, mais au moins, 90% du dispositif est en pilotage automatique, nous permettant de nous concentrer sur le service à rendre à l’assuré plutôt que de chercher à inventer de nouvelles consignes à chaque fois. Au cœur de l’événement climatique, ce n’est pas le moment pour cela.
Au-delà du contexte particulier d’un événement climatique, sur le fond, quelle est votre organisation, pour prendre en charge vos clients avec vos équipes et répondre au mieux à leurs attentes ?
À la Matmut, nous avons une force interne d’expertise en habitation depuis plusieurs dizaines d’années, ce qui est assez rare, la plupart des assureurs externalisent cette fonction. Nous avons ainsi une centaine d’experts en bâtiment, en interne. L’avantage de ce modèle est que nos experts connaissent très bien nos contrats, nos assurés, et travaillent en étroite collaboration avec leurs collègues qui accueillent les déclarations et instruisent les dossiers. Cela crée une chaîne de valeur solidaire et facilite leur mobilisation.
En termes de changements, il n’y a pas eu de modifications majeures dans la façon dont nous gérons l’expertise. Nos équipes se mobilisent sur les zones touchées, y compris en dehors de leur zone habituelle d’intervention si nécessaire. Ils peuvent se déplacer là où il y a besoin, y compris dans nos agences, surtout si une commune a été particulièrement affectée. Là, ils viennent en soutien des conseillers pour aider, renseigner, et expertiser sur place.
Depuis 2022, nous avons introduit des nouveautés, comme la télé expertise effectuée par nos gestionnaires. Cela leur donne la capacité d’évaluer rapidement avec le client les dommages subis à l’aide d’un outil simple. Bien sûr, pour des dommages complexes comme ceux causés par la sécheresse, cet outil ne permet pas de procéder directement au remboursement. Cependant, pour des dommages plus simples comme un parquet abîmé ou un appareil électroménager qui ne fonctionne plus après avoir été inondé, nous sommes capables de chiffrer les dommages et de procéder directement au remboursement. L’intérêt est que je peux prendre la déclaration, évaluer les dommages, et indemniser en une seule fois.
Dans ce contexte d’événements climatiques répétés, quelles sont vos bonnes pratiques ?
Le métier évolue de plus en plus vers la bonne gestion des émotions. La technique est toujours là, mais la capacité à prendre en charge globalement un client et ses émotions est devenue centrale. Nous avons beaucoup investi dans l’accompagnement des gestionnaires, en mettant l’accent sur les techniques relationnelles, la posture et l’état d’esprit.
Il s’agit notamment d’aider les gestionnaires à décoder les styles de communication, à identifier si la personne en face est stressée ou détendue, et à gérer au mieux ses émotions. Cela inclut aussi la gestion de leurs propres émotions, en particulier face à des clients en détresse totale, impatients, ou même incivils. Ce type d’accompagnement vise à améliorer la relation client, tout en évitant que les gestionnaires ne se sentent submergés.
Cela a conduit à une évolution du recrutement, au sein de la Matmut. Il y a quelques années, nous recrutions principalement des personnes issues de filières de droit ou ayant fait un BTS en assurance. Désormais, nous ouvrons beaucoup plus les profils, en nous concentrant davantage sur les qualités de savoir-être. Savoir si la personne aime être au service du client, écouter, et être empathique, est fondamental. Nous faisons le pari qu’il est plus facile de former quelqu’un techniquement que de développer ses compétences relationnelles. Cette évolution du recrutement est donc essentielle.
Demain quelles évolutions de la relation clients et de l’indemnisation ?
En termes d’évolution et d’innovation, un des principaux axes concerne l’utilisation de la photo et de l’intelligence artificielle. Tous les assureurs, dont la Matmut, explorent ces pistes. Cela offre de nombreux bénéfices, comme l’identification de la gravité d’un accident dès le remorquage d’un véhicule, permettant de l’orienter vers un garage adapté, plus spécialisé dans les gros chocs, ou non. Cela permet également de faciliter les expertises et les chiffrages sur base de photos. C’est un premier champ exploratoire.
Le deuxième axe concerne la prévention. Nous avons récemment lancé une expérimentation dans les zones les plus touchées par les inondations, en missionnant des experts préventionnistes en Normandie, en Bretagne, et dans le Nord-Pas-de-Calais, par exemple. Ces experts évaluent le niveau d’exposition de l’habitat de nos assurés les plus touchés et leur préconisent ensuite des solutions. De plus, la plupart de ces solutions sont largement financées par des aides, ce que les gens ne savent pas toujours. Il n’y a pas que les pompes à chaleur qui bénéficient de ces aides ; les batardeaux, qui sont des barrières anti-inondations, et d’autres dispositifs peuvent l’être également. Si cette expérimentation est convaincante, nous la généraliserons à plus grande échelle, en nous appuyant sur nos propres experts salariés.
Il est crucial d’aider les assurés à résister aux inondations récurrentes, et nous conseillons également des solutions d’indemnisation résiliente. Par exemple, si votre chambre au rez-de-chaussée a un parquet, nous pourrions suggérer de le remplacer par un carrelage en grés, qui résistera mieux aux inondations sans nécessiter de travaux supplémentaires.
L’impact de la gestion des sinistres climatiques peut-elle nuire/améliorer l’image de l’Assurance ? Pourquoi ?
Un peu des deux…
Dans le cas de certains sinistres, l’expérience client peut être dégradée, en raison de délais longs ou d’une prise en charge incomplète. Par exemple, si j’ai une piscine et que je n’ai pas souscrit l’option pour la couvrir, elle peut être abîmée par la chute d’un arbre, et seule la maison entrera en compte dans l’indemnisation. Cela peut donner une vision de ‘verre à moitié vide’. Autre exemple, en cas de sinistre lié à la sécheresse, les délais peuvent être extrêmement longs, avec des mois, voire des années avant que les solutions de réparation ne soient mises en place.
Cependant, globalement, je trouve que ces situations offrent des occasions uniques de montrer que nous sommes là pour nos clients, avant, pendant, et après les sinistres. Nous avons la capacité de nous mobiliser et, ensemble, nous faisons de belles choses en rendant le service attendu. Nous sommes de plus en plus souvent présents pour épauler, accompagner et aider nos clients à retrouver une vie normale. Je suis plutôt positive et je trouve que cela contribue à redorer l’image des assureurs.
Charlotte Girard, Directrice des sinistres – Groupe Matmut – extrait du livre blanc » Quand les événements climatiques imposent de réinventer la relation client » (de Juin 2024)