Devant la recrudescence des catastrophes naturelles et l’explosion de leurs coûts, les assureurs sont contraints d’innover face aux sinistres. Analyse à travers une série de trois épisodes diffusés par France Culture, avec pour premier volet : « Un système d’assurance qui prend l’eau ».
Alors que le monde assiste à une hausse des phénomènes météorologiques extrêmes, l’industrie de l’assurance est confrontée à des défis sans précédent. Inondations, cyclones, et sécheresses infligent des coûts colossaux, questionnant la viabilité des modèles économiques des assureurs. En 2022, le montant des indemnisations dues aux catastrophes naturelles s’est élevé à 100 milliards de dollars au niveau mondial, illustrant l’ampleur de la crise à laquelle le secteur fait face. Sur France Culture, l’Émission « Entendez-vous l’éco ? » revient sur le phénomène, en consacrant trois épisodes sur les catastrophes naturelles et leur coût humain, matériel et financier.
Le premier épisode de la série aborde la thématique intitulée : « Un système d’assurance qui prend l’eau ». En France, le modèle d’indemnisation des catastrophes naturelles, établi en 1982, offre un cadre protecteur. « Le choix de ce système s’est fondé sur l’idée qu’il existait à l’époque énormément d’aides à l’indemnisation, dont certaines datées de l’époque de la Révolution Française : il s’agissait alors pour l’État de rationaliser le système. » explique Céline Grislain-Letrémy, chercheur affilié au Centre de Recherche en Economie et Statistique (CREST).
La législation a ainsi institué une couverture automatique contre les catastrophes naturelles lors de la souscription à un contrat multirisques, qu’il soit résidentiel ou professionnel. L’intention était de baser le coût de cette assurance sur la valeur assurée plutôt que sur le risque de catastrophe naturelle propre à la zone. Pour cela, l’État a encouragé les assureurs privés à souscrire à une réassurance auprès de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR), un réassureur public, garantissant une limitation de leur risque.
Pour les assurés, la loi impose l’adhésion au régime « Cat-Nat » au moment de la signature d’un contrat d’assurance habitation, assurant ainsi un taux de couverture dépassant les 95 %. Ce taux est nettement supérieur à la moyenne européenne, qui est de seulement 60 %.
Mais dans certains pays, les primes d’assurances sont si élevées que les populations ne peuvent plus s’assurer. « Depuis fin 2022, l’assurance climatique et la réassurance se trouvent en situation de crise. Les acteurs de l’assurance-dommage, qui se trouvent aux avant-postes de la finance, n’avaient pas vu ni prévu le fait qu’ils seraient confrontés à autant de catastrophes. » selon Michel Lepetit, vice-président du think tank The Shift Project, chercheur associé au Laboratoire Interdisciplinaire des Energies de Demain.
La fréquence des catastrophes met à rude épreuve les finances des assureurs : dans certaines zones les compagnies d’assurance sont contraintes de se désengager, accentuant le problème des « protection gaps », soit les écarts de couverture à l’échelle mondiale. Par ailleurs, la crise a été exacerbée par l’inflation et la hausse des taux d’intérêt. Pour Michel Lepetit, cette seconde donnée a été « dévastatrice pour les acteurs du secteur, qui ont vu leurs fonds propres chuter. »
En France, l’apparition de risques systémiques nouveaux, tels que le phénomène de retrait-gonflement des argiles, représente un défi majeur et menace des millions de résidences. Ceci souligne l’urgence de repenser le partenariat public-privé qui soutient notre système national, que ce soit en renforçant les mesures de prévention, en instaurant de nouvelles normes de construction, ou en augmentant les primes d’assurance dans les zones à risque pour décourager l’installation dans ces secteurs vulnérables.
Philippe Trainar, économiste, professeur titulaire de la chaire Assurance du Cnam, directeur de la Fondation SCOR (Société Commerciale de Réassurance) pour la Science, souligne : « En France, le système d’obligation d’assurance catastrophes naturelles consécutif à la signature d’un contrat d’assurance habitation provoque des prix bas et une uniformité du prix : on paie autant en Seine-Saint-Denis qu’au bord du Gard, dans une maison inondée tous les trois ans. »
Le concept initial visait à redistribuer les coûts entre l’ouvrier en HLM et le cadre construisant sa résidence en zone rurale. Toutefois, étant donné que la France est un des pays qui urbanise le plus ses zones inondables avec un usage intensif de l’asphalte et du béton, il paraît absurde, selon Philippe Trainar, que les tarifs d’assurance soient uniformes sur tout le territoire.
L’avenir de l’assurance contre les catastrophes naturelles repose sur un équilibre délicat entre l’adaptation à de nouvelles réglementations, la prévention accrue et une redéfinition des tarifs, afin que l’assurance continue de remplir son rôle essentiel de prévoyance sans compromettre sa propre survie économique.