Un stress-test révèle les défis majeurs pour les assureurs face à l’inassurabilité
En mai 2024, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) a dévoilé les résultats d’un nouveau stress-test climatique mené auprès des organismes d’assurance français.
Cet exercice, qui fait suite à un premier test pilote réalisé en 2020, visait à mesurer l’impact du dérèglement climatique à l’horizon 2050 sur la stabilité financière des assureurs. Les conclusions sont sans appel : les assureurs sous-estiment gravement les risques climatiques, en particulier ceux liés à la solvabilité à court terme et à l’inassurabilité à plus long terme.
Trois scénarios d’impact climatique
Le stress-test climatique s’est basé sur trois scénarios distincts pour évaluer l’impact des risques physiques et de transition :
- Scénario de court terme (2027) : Ce scénario prend en compte la récurrence d’épisodes de sécheresse en 2022, 2023 et 2024, suivis par une tempête sévère provoquant une rupture de barrage en 2025.
- Deux scénarios de long terme (2050) : L’un optimiste, dit de transition ordonnée, et l’autre pessimiste, de transition désordonnée, issus des scénarios du Network for Greening the Financial System (NGFS).
Selon ces scénarios, la sinistralité liée aux catastrophes naturelles en France pourrait augmenter de 42% à 105% d’ici 2050, tandis que les primes d’assurance augmenteraient de 127% à 158%.
En matière de santé et de prévoyance, la sinistralité liée à la pollution et aux maladies vectorielles pourrait croître de 11% à 89% selon les hypothèses envisagées.
Inégalités géographiques et risque d’inassurabilité
Le stress-test révèle également de fortes disparités géographiques. Les sinistres pourraient augmenter de deux à cinq fois dans les départements les plus touchés, entraînant une hausse des primes de 130% à 200% sur 30 ans pour couvrir les pertes. Cette situation souligne le risque d’inassurabilité, qui pourrait varier considérablement d’une région à l’autre.
La Bretagne et la Méditerranée en première ligne
Le rapport souligne notamment que les régions côtières, comme la Bretagne Nord et la Méditerranée, pourraient voir les primes d’assurance augmenter de manière disproportionnée, conduisant à une résiliation accrue des contrats d’assurance dans ces zones.
D’ici 2050, plus de 7 maisons sur 100 dans les Côtes d’Armor pourraient devenir inassurables dans un scénario de transition désordonnée. Ce risque d’inassurabilité résulte principalement de la hausse des primes d’assurance, qui pourrait atteindre 158% en moyenne d’ici 2050, et même tripler dans certaines zones particulièrement exposées.
La nouveauté de cette étude réside dans l’évaluation du risque d’inassurabilité à partir du nombre de résiliations de contrats d’assurance par département. Cette situation pourrait survenir soit parce que les assurés ne pourraient plus se permettre de payer les primes, soit parce que les assureurs jugeraient certains biens inassurables en raison de l’augmentation des coûts et de la fréquence des sinistres climatiques.
Impacts sur les actifs financiers
Les placements financiers des assureurs ne sont pas épargnés par les impacts climatiques. Les actifs liés aux activités fossiles et à l’immobilier subiraient les plus fortes pertes de valeur à l’horizon 2050. Dans le scénario le plus pessimiste, la valeur des actions et des actifs immobiliers pourrait diminuer de 27% et 32% respectivement d’ici 2025. Les obligations d’État et d’entreprises perdraient en moyenne 8% de leur valeur. Au total la perte de valeur des placements serait de l’ordre de 13 % en 2025.
Ces variations affecteraient la composition des portefeuilles d’investissement, avec une augmentation relative de la part des obligations au détriment des actions et de l’immobilier. Malgré ces perspectives inquiétantes, le rapport de l’ACPR note que les assureurs ont pour l’instant peu envisagé de réallocations significatives de leurs portefeuilles.
Mesures proposées et défis à venir
Pour éviter que certaines zones ne deviennent inassurables, le rapport de l’ACPR propose de moduler la répartition de la sur-prime « catastrophes naturelles » sur les contrats d’assurance habitation, en allouant une part plus importante à l’indemnisation dans les zones très exposées.
Cette mesure pourrait encourager les assureurs à rester actifs dans ces régions. Néanmoins, la situation reste préoccupante, d’autant plus que certaines pratiques des assureurs, telles que l’évitement géographique des zones à haut risque, sont jugées « toxiques » et nécessitent une régulation plus stricte.
Les particuliers ne sont pas les seuls concernés par cette problématique. Entre 1 000 et 2 000 communes en France étaient déjà privées d’assurance au 1er janvier 2024, comme Les Sables d’Olonne. Les élus locaux cherchent activement des solutions, qui devraient être intégrées dans le troisième plan d’adaptation au changement climatique du gouvernement.
Une nécessité d’action urgente face à un avenir incertain
Les résultats de ce stress-test montrent l’exposition significative des organismes d’assurance aux chocs climatiques, confirmant la nécessité pour le secteur de renforcer sa capacité à anticiper les impacts du changement climatique et à adapter ses stratégies en conséquence.
L’inassurabilité est une menace croissante, et sans une prise de conscience rapide et des actions adaptées, certaines régions de France pourraient devenir économiquement inaccessibles à l’assurance d’ici 2050. La situation appelle à une action collective pour préserver l’assurabilité et garantir la protection des populations face aux risques climatiques grandissants.
C’est pourquoi, l’ACPR appelle les assureurs à poursuivre leurs efforts pour respecter les engagements climatiques pris en 2019 et à mettre en place des mesures de gestion efficaces pour faire face aux risques extrêmes, afin d’assurer la pérennité de l’assurabilité dans un contexte de changements climatiques de plus en plus prononcés.
Et si l’inassurable n’existait pas ?
Malgré ces résultats d’études et ces appels à l’action, selon Thierry Martel, « L’inassurable n’existe pas ». En effet, dans un livre à paraître en novembre 2024, le Directeur général de Groupama ouvre des pistes de réflexion sur les transformations du secteur de l’assurance, particulièrement face au défi croissant de l’inassurabilité.
Bien que les nouvelles difficultés assurantielles, telles que l’évolution sans précédent des risques climatiques, cybernétiques, de responsabilité et de santé, soient bien réelles, Thierry Martel soutient qu’elles ne sont pas inévitables.
Au contraire, il propose une réflexion approfondie visant à repenser le pacte social dont l’assurance est le garant. L’objectif est de réinventer le modèle du mutualisme pour que l’assurance continue d’être un pilier de confiance pour l’avenir.
Un ouvrage dont nous vous reparlerons certainement dès de sa sortie en librairie !