En France, l’organisation du parcours de soin, est une question en constante discussion et évolution. Dans un futur proche, notre système de santé devra faire face à des problématiques qui s’accentueront telles que le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques, ou encore la désertification médicale.
Face à ces principaux défis qui en cachent bien d’autres, le système de santé devra probablement évoluer en profondeur et le parcours de soin du futur sera refaçonné. L’objectif sera-t-il de passer du concept de « parcours de soin » à celui de « parcours de santé », notamment en mettant l’accent sur la prévention ? Et surtout, pour ce qui concerne l’assurance, quelle est la place des Assureurs santé (au sens large) et leurs rôles actuels ou à venir ?
Nous avons souhaité converser, sur ce sujet, avec Philippe Simon, Directeur Adjoint du Groupe CEGEDIM*.
Comment envisagez-vous la place et le rôle des acteurs du secteur de l’assurance dans le parcours de santé, de soins, pensez-vous que ce rôle doit évoluer ?
Philippe Simon : Commençons par les soins pour évoluer vers la santé qui intègre également le bien-être et la prévention. L’objectif poursuivi étant de rester en bonne santé le plus longtemps possible. Rappelons que le système de santé en France a des faiblesses, notamment en matière de prévention, mais également des points forts, notamment un faible reste à charge pour les patients, en grande partie grâce à l’implication des assureurs complémentaires. Précisons aussi que le 100 % santé a eu un impact positif sur la santé des Français.
Une de mes convictions est que nous devrions incorporer davantage de prévention dans le système de santé, en commençant dès l’éducation. L’école pourrait jouer un rôle clé, responsabilisant ainsi les citoyens à prendre soin de leur santé.
Concernant le parcours de soins actuel, le rôle des assureurs complémentaires reste principalement axé sur le financement des dépenses de santé, même s’il y a des initiatives visant à élargir ce rôle.
Il y a des défis pour l’assurance santé qui fait face à des contraintes qui entravent leurs investissements dans la prévention, par exemples : trouver de nouvelles articulations public/assurance santé, réduire les effets de la volatilité croissante des contrats d’assurance qui peuvent décourager les investissements à long terme dans la prévention.
Il est important de noter que les bénéfices de tels investissements en termes de prévention sont souvent réalisés par d’autres acteurs, en particulier l’assurance maladie obligatoire. Je pense qu’il serait judicieux de créer de nouveaux contrats et partenariats entre les acteurs de la santé, voire d’envisager des délégations de service public.
Dans certains pays, cette approche est déjà en place. Le régime obligatoire pourrait déléguer et superviser des services publics de prévention auprès des assureurs complémentaires, qui entretiennent une forte relation de proximité avec leurs clients individuels ou dans le cadre des entreprises.
Une autre idée serait de mettre en place un « passeport prévention » pour chaque citoyen, similaire au Compte Personnel de Formation (CPF), avec des investissements obligatoirement fléchés vers la prévention dans chaque contrat d’assurance, le passeport suivant les assurés dans leur parcours de prévention tout au long de leur vie.
Ce passeport prévention pourrait-être lié à notre dossier personnel de santé
PS : Pourquoi pas. Pour cela, nous devons repenser la relation entre les acteurs et réfléchir à sa dimension financière. La question du modèle économique de la prévention se pose depuis un certain temps. De nos jours, la plupart des acteurs sont passés d’une activité purement axée sur la santé à une logique combinant santé et prévoyance. Il est évident que les investissements en prévention devraient être affectés à la prévoyance plutôt qu’à la santé. En d’autres termes, tous les efforts déployés pour maintenir les individus en bonne santé devraient avoir un impact positif mesurable sur les contrats de prévoyance, qu’il s’agisse de contrats individuels ou collectifs.
Sur le collectif, chaque acteur possède des atouts distincts. Les assureurs complémentaires ont une connaissance approfondie du monde de l’entreprise. Cela doit ouvrir la voie à une nouvelle relation tripartite entre l’entreprise, l’assureur complémentaire et le régime obligatoire, avec des rôles complémentaires axés sur la prévention. Cette approche pourrait permettre de trouver de nouvelles sources de financement.
De nombreux acteurs de la complémentaire santé tentent d’explorer de nouveaux services en amont et en aval des risques. Quels sont les impacts potentiels de cette orientation vers les services ?
PS : Effectivement, mais il s’agit d’un changement de paradigme qui n’est pas facile à mettre en œuvre. Les assureurs complémentaires sont confrontés à un défi majeur, à savoir repenser fondamentalement leur approche.
La plupart des nouveaux services proposés par les assureurs complémentaires sont historiquement en inclusion dans les contrats, dans l’espoir que ces services, pesant directement sur le risque technique, soient peu utilisés. Cela soulève deux questions importantes : pourquoi proposer des services si l’objectif est de les voir peu utilisés, et si les services ne sont pas utilisés, cela pourrait indiquer qu’ils ne sont pas efficaces ou qu’ils ne répondent pas aux besoins des assurés. Cela a été particulièrement vrai pour les contrats collectifs, où les assureurs ont inclus de nombreux services pour répondre aux attentes des partenaires sociaux lors des négociations. En réalité, ces services sont souvent très peu utilisés.
Aujourd’hui, les assureurs complémentaires cherchent à proposer des services utilisés par les assurés. Cela pose la question de la nature des services, de leur utilité réelle, ainsi que du modèle économique qui sous-tend. Par exemple, certains acteurs ont proposé des services de deuxième avis médical, permettant aux assurés d’avoir un avis complémentaire pour un diagnostic ou une intervention médicale importante. De même, des outils tels que les « symptôme checkers » ont été intégrés pour fournir une première compréhension des symptômes. La téléconsultation est un autre exemple de service qui vit une mutation, après avoir été rapidement intégrée aux contrats.
L’objectif est désormais de trouver des services utiles et d’élaborer un modèle économique adapté. Certains assureurs ont opté pour une approche pragmatique, proposant des services à la carte ou des forfaits, avec la possibilité d’ajuster l’offre en fonction des besoins réels des assurés. L’accent est mis sur la nécessité de répondre aux besoins et d’observer l’utilisation réelle des services pour s’assurer qu’ils apportent une réelle valeur ajoutée. Cela représente un changement significatif dans la façon dont les assureurs complémentaires abordent la prévention et les services associés.
Philippe, des exemples de services de prévention proposés par les assureurs santé ?
PS : Il existe des initiatives intéressantes, nous allons dans la bonne direction pour des services liés à l’orientation dans le parcours de santé. Par exemple, lorsque vous recevez une ordonnance, des applications vous aident à mieux comprendre les médicaments prescrits. Cela peut inclure des informations sur les caractéristiques des médicaments, les précautions d’emploi et les interactions potentielles entre les médicaments. Ces services visent à fournir aux patients des informations utiles pour éviter des erreurs dans l’observance, et mieux comprendre leur traitement.
Ne serait-il pas préférable de sortir du modèle d’inclusion systématique des services de prévention dans l’assurance santé ? Et qu’en est-il de la prévention primaire et des services associés ?
PS : L’inclusion est une bonne solution lorsque nous parlons de domaines qui relèvent davantage de l’assurance et de la mutualisation. Par exemple, en ce qui concerne la dépendance. Je pense que les assureurs complémentaires qui incluent une garantie dépendance dès le plus jeune âge sont sur la bonne voie, car ils répondent à une problématique d’assurance qui nécessite une mutualisation large et initiée très tôt dans le parcours de vie.
Par contre, en ce qui concerne les services utiles, l’inclusion systématique dans les contrats d’assurance complémentaire n’est pas la meilleure approche. Les services doivent être adaptés aux besoins individuels des assurés. Il est donc préférable de proposer des services à la carte ou des forfaits, de manière à ce que les assurés puissent choisir ceux qui répondent le mieux à leurs besoins spécifiques. Cette approche permet également de mesurer plus précisément l’utilisation réelle des services et d’ajuster l’offre en conséquence. Je suis convaincu qu’au lieu de se concentrer sur une mutualisation totale des services au sein d’un contrat collectif, nous devrions nous orienter vers des services unitaires, individualisés à fortes valeurs ajoutées, dont il faut impérativement savoir mesurer l’usage.
Pour ce qui est de la prévention primaire, les assureurs santé doivent avoir un rôle de soutien. Elles mènent des campagnes de prévention sur le tabac, l’alcool, et d’autres facteurs de risque pour la santé et elles pourraient, en collaboration avec les autorités de santé publique pour assurer une approche coordonnée et efficace, encourager les assurés à prendre des mesures pour maintenir leur santé et prévenir les maladies, plutôt que de se concentrer uniquement sur le traitement des maladies déjà existantes. Cependant, de mon point de vue, la prévention primaire relève d’une stratégie de santé, et est principalement le rôle des autorités publiques.
N’est-il pas venu le temps d’aller progressivement, dans certains cas, vers une responsabilisation de chacun sur son parcours de santé ?
PS : Le système de santé en France offre une excellente couverture, mais il est important d’encourager la responsabilisation individuelle en matière de santé. Si nous prenons l’exemple de la ceinture de sécurité obligatoire dans une voiture, le système impose une protection, mais il y reste une part de responsabilité individuelle à respecter. Pour encourager la responsabilisation des assurés, il est nécessaire de mettre en place des incitations positives et de fournir une éducation appropriée. Il est également important de responsabiliser les professionnels de la santé en ce qui concerne les prescriptions médicales. Parfois, il peut y avoir une surconsommation de médicaments en France, et il est essentiel de réfléchir à la manière de réduire cet excès.
Le gouvernement explore actuellement des moyens de responsabiliser davantage les assurés en ce qui concerne la consommation de médicaments. La responsabilisation de tous les acteurs du système de santé, y compris les patients, est un enjeu clé pour garantir une utilisation appropriée des ressources de santé et une meilleure gestion des coûts.
Quels peuvent être les apports de la technologie dans le parcours de santé, de soins ?
PS : L’intelligence artificielle et des données dans le domaine de la santé offrent d’énormes possibilités pour la prédiction des risques de santé, la personnalisation des recommandations et la prévention des maladies. La technologie peut être un atout précieux pour les assureurs et les professionnels de la santé en aidant à identifier les risques potentiels et à proposer des mesures préventives appropriées aux patients et assurés.
L’utilisation de l’IA dans la génération de recommandations personnalisées et l’analyse des données médicales peut contribuer à améliorer la qualité des soins de santé et à réduire les coûts à long terme (ex. prédiction de pathologies lourdes comme le cancer). Cependant, il est important de souligner que l’humain reste au cœur du système de santé, et l’IA devrait être utilisée pour soutenir et compléter le travail des professionnels de la santé, plutôt que de les remplacer.
Quelle est la place de CEGEDIM dans cet écosystème ?
PS : CEGEDIM est très bien positionné pour jouer un rôle clé dans la mise en œuvre de solutions technologiques avancées pour le secteur de l’assurance et de la santé. Nous apportons notre expertise en matière de gestion des données, d’intelligence artificielle, de cybersécurité et de transformation numérique pour aider les assureurs et les professionnels de la santé à exploiter pleinement le potentiel de la technologie dans leurs activités. CEGEDIM est un partenaire pour la gestion holistique des risques de santé et joue un rôle essentiel : faciliter la collaboration entre les assureurs santé, les professionnels de la santé, les entreprises et toutes les autres parties prenantes, dont les assurés eux-mêmes.
D’un point de vue opérationnel, nous soutenons le secteur de l’assurance pour concevoir et à mettre en œuvre des programmes de prévention ciblés pour les assurés, en utilisant des données et des technologies avancées pour identifier les risques potentiels et recommander des mesures préventives. Nous contribuons également à améliorer l’efficacité opérationnelle des assureurs santé, à réduire leurs coûts administratifs.
En synthèse notre rôle, en tant que partenaire de confiance, est de faciliter les interactions et la collaboration au sein de l’écosystème de la santé. Les services tels que la téléconsultation avec Maiia, la base de données sur les médicaments (Claude Bernard), et nos évolutions du système de tiers payant « hors sécurité sociale » en pharmacie montrent clairement que nous créons des passerelles entre l’assurance et les parcours de soins, en contribuant à rendre les circuits plus fluides et efficaces.
*Fondée en 1969, Cegedim, société qui compte plus de 6000 collaborateurs dans plus de 10 pays, propose des solutions à destination des Professionnels de Santé et Patients, de l’Industrie Pharmaceutique, des Assureurs Santé et Prévoyance, et des Entreprises de tous secteurs.