Dans un contexte accru de « Guerre des Talents », les entreprises ne considérant pas les atouts de la diversité rateront le train de la transformation. Le cabinet McKinsey, auteur du premier baromètre de la diversité dans les entreprises, souligne depuis une quinzaine d’années la corrélation positive entre la diversité au sens large et la performance économique.
Récemment adoptée, la Loi Rixain en consacre le principe : décryptage à l’aide de Julien Rozet et Philippe Cavat, respectivement PDG et Directeur Général d’Alexander Hughes Human Capital, cabinet expert en recrutement et développement du capital humain.
La Loi Rixain, une étape décisive vers la parité
Auteurs d’une tribune à quatre mains dans le média spécialisé Focus RH, Julien Rozet et Philippe Cavat affirment d’emblée la couleur : « le lien entre mixité, et plus largement diversité et performance économique et sociétale des entreprises n’est plus à démontrer. La mise en œuvre de la loi Rixain devrait donc permettre aux entreprises françaises de gagner en performance dans les prochaines années. »
Nos experts ne sous-estiment pas pour autant l’ampleur du défi à relever, l’état des lieux actuel de la diversité dans les entreprises françaises étant largement insatisfaisant. Même dans l’univers de la French Tech, réputée plus ouverte, le PDG de Livestorm Gilles Bertaux pointait une absence de diversité et de parité hommes-femmes en particulier : « 85% des start-ups françaises créées ces dernières années sont exclusivement masculines. Seules 10% recrutent des équipes mixtes. L’étude que nous avons réalisée récemment a révélé un réel problème de perception des métiers de la Tech auprès des femmes. Ce manque de diversité ne peut qu’aggraver le phénomène de la pénurie des talents en France. »
Pour autant, Julien Rozet et Philippe Cavat soulignent les succès obtenus dans la décennie écoulée grâce à la Loi Copé-Zimmermann, celle-ci ayant imposé des quotas de femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance des entreprises : « cette loi a démontré l’efficacité de l’imposition de quotas, quoi qu’on en pense philosophiquement, pour accélérer le déploiement de la mixité. » Mais désormais la Loi Rixain s’attaque à une autre étape : obtenir des résultats similaires au niveau des cadres dirigeants exécutifs. Or pour réussir, « cette loi nécessitera la mobilisation de l’écosystème complet des ressources humaines, une étape beaucoup plus complexe et loin d’être gagnée. »
Des enjeux cruciaux en matière de ressources humaines
Nos experts soulignent la complexité du défi à relever de la Loi Rixain. Car pour être en mesure d’appliquer les quotas prévus à partir de 2027 (30% de femmes parmi les instances dirigeantes pour les entreprises de plus de 1000 salariés) puis 2030 (quota porté à 40%), encore faudra-t-il que les entreprises concernées aient largement revu leurs politiques RH afin d’identifier et valoriser les talents féminins, et que ce même vivier de talents soit suffisant.
Ils ont ainsi mis en évidence une liste non exhaustive de différents enjeux et sujets problématiques auxquels les entreprises seront inévitablement confrontées, dans le cadre de l’application de la Loi Rixain :
- « la faiblesse des viviers de talents féminins identifiés » dans la plupart des entreprises françaises
- « la sous-représentation à la source des femmes dans certaines filières de formations techniques »
- l’impossibilité de cumuler plusieurs rôles exécutifs opérationnels, contrairement au fait que dans le cadre de la Loi Copé-Zimmermann, une femme peut cumuler plusieurs mandats d’administratrice pour différentes entreprises.
- la difficulté de rétablir l’équilibre de manière accélérée sans provoquer « un sentiment d’injustice chez les talents masculins »
Interrogée en fin d’année dernière, Isabelle Hernu, Partner chez Mercer France, abondait dans le même sens en pointant la nécessité d’accompagner ces quotas par une politique profonde de transformation de la gouvernance RH et managériale des entreprises* : « les quotas sont nécessaires mais pas suffisants, un changement culturel doit aussi s’opérer. La crise sanitaire a accentué la nécessité de transformation des entreprises et cette transformation sera un facilitateur de parité. En parallèle, il faut instaurer une culture inclusive et des politiques RH écartant tout biais venant pénaliser les femmes. » Plus facile à dire qu’à faire ?
3 enseignements majeurs à retenir : inclusion, anticipation et évaluation des potentiels
Afin de répondre à ces problématiques, forts de leur expérience, Julien Rozet et Philippe Cavat livrent dans leur tribune leurs trois convictions majeures :
– « La nécessité de mettre en place une culture d’inclusion » : nos experts en appellent à la mise en œuvre « d’une politique et d’une culture inclusive au plus haut niveau de gouvernance de l’entreprise », à commencer par son conseil d’administration et son comité exécutif.
– « La mixité des cadres dirigeants doit se construire très en amont et dans la durée » : c’est en effet dès à présent que les entreprises doivent mettre en place de nouvelles politiques de gestion des talents, « du recrutement à la gestion des fins de carrière en passant par les processus d’intégration ». Nos experts soulignent en particulier le rôle des recruteurs externes qu’ils jugent d’autant plus déterminant dans le contexte de la guerre des talents. Un recruteur externe aura en effet plus de facilité à casser les codes habituels ou les stéréotypes ancrés dans une entreprise, ce qui permettra de mieux valoriser les profils de talents féminins.
Dans une tribune publiée sur le site de Harvard Business Review France, la Présidente du cabinet de recrutement PageGroup Isabelle Bastide abonde d’ailleurs elle aussi dans le même sens à propos des prestataires de recrutement externes : « recourir à un prestataire de conseil externe apparaît comme une solution intéressante dans un contexte où le vivier de hauts potentiels féminins identifiés reste restreint. Ces recrutements externes permettent d’intégrer des talents féminins à différents niveaux de l’entreprise, sur des postes de managers, dans une optique d’évolution interne ensuite, ou directement sur des postes de direction. Car aujourd’hui, la promotion interne jusqu’à des postes de direction existe davantage pour les hommes que pour les femmes. »
– « L’importance de l’évaluation du potentiel de leadership » : enfin, nos experts appellent à « la mise en œuvre d’une solution d’évaluation objective du potentiel de leadership des personnes dans le contexte culturel de l’entreprise ». Cet outil devrait permettre d’accélérer considérablement le déploiement de la mixité, en évitant « les phénomènes de clonage des élites masculines », et surtout en facilitant la prise de conscience par les femmes de leur propre potentiel. L’objectif de cette méthode est aussi de répondre à un potentiel problème de légitimité, en démontrant que « les femmes sélectionnées pour des postes de responsabilité ne l’ont pas été parce qu’elles sont femmes mais parce qu’elles sont les bonnes personnes pour ces rôles. »
Soulignant « la nécessité de percer enfin ce plafond de verre qui empêchait trop souvent les femmes d’accéder aux postes de cadres dirigeants », nos deux experts concluent que « c’est à ces trois conditions que les entreprises françaises pourront être à la hauteur de l’ambition de la loi Rixain. »
Dans le cas contraire comme le soulignait Isabelle Hernu, « les sociétés ne voyant pas les atouts de la diversité au sens large, y compris culturel, rateront le train de la transformation. »
*voir ci-dessous son ITW