Le vote d’une nouvelle réforme de l’assurance emprunteur vient couronner plus d’une décennie de transformation du secteur. Élie Toledano, directeur général AFI-ESCA répond à nos questions.
« La réforme que vient de voter le Parlement montre que la loi Lagarde ne marche toujours pas »
Que retenez-vous de la période qui vient de s’écouler depuis la Loi Lagarde ?
Avant ce texte de loi de 2010, l’assurance emprunteur était dans un système de vente liée. Il existait des contrats en délégation pour les emprunteurs que les banques ne prenaient pas aux acteurs comme AFI-ESCA. Il y avait un équilibre. La déliaison entre le crédit et l’assurance emprunteur instaurée par la loi Lagarde devait libéraliser le marché et permettre de développer les offres alternatives à celles des banques.
Dès 2013 et un premier rapport de l’inspection générale des finances, le constat est que l’objectif fixé n’était pas au rendez-vous, d’où la loi Hamon. À vrai dire, ce texte a été une mesure de pouvoir d’achat financée par la concurrence. Cela part plutôt d’un bon sentiment, mais le diable est dans le détail.
Jusqu’en 2019, par exemple, les banques ont joué sur les dates de référence du contrat d’assurance : est-ce la date de l’offre du prêt ? Est-ce celle de l’acceptation ? Est-ce la date de déblocage ? Cela montre leur créativité pour mettre des grains de sable dans les rouages.
Il a fallu que le CCSF s’empare du sujet pour obtenir une clarification sur les critères d’équivalence des garanties et l’obligation des banques de publier leur garantie minimale. Puis l’amendement Bourquin pour garantir le droit à substitution annuel. Toutes ces dispositions, y compris la réforme que vient de voter le Parlement, montrent que la loi Lagarde ne marche toujours pas.
Est-ce votre principal constat ?
Oui. En 10 ans, le volume des assurances emprunteur a suivi l’augmentation des encours de crédit. Cela est directement lié à la baisse des taux d’intérêt, mais pas aux évolutions législatives. Le stock de contrats alternatifs n’a pas augmenté : il était autour de 10 à 15%, les parts de marché sont restées dans cette fourchette. Cependant, il y a un effet positif : je relève un phénomène de baisse des prix au bénéfice des consommateurs tant pour les contrats groupes que pour les contrats alternatifs.
Et j’ajouterai aussi une évolution des contrats vers plus de qualité avec une amélioration de la couverture qui réduit les énormes trous de garantie. Dit autrement, la mise en concurrence a engendré de la créativité et de l’innovation malgré un marché figé. Pour obtenir plus, je pense qu’il aurait fallu tout simplement délier totalement l’assurance du crédit en interdisant les partenariats entre deux entités du même groupe.
C’est le choix de la Belgique, qui est allé au-delà de cette interdiction en ajoutant que les deux entités ne peuvent pas être au même endroit. Ce choix n’est pas non plus une réussite : des accords de distribution et de rétrocessions de commission n’ont pas été au bénéfice des clients. Pourquoi ? L’assurance emprunteur est un produit complémentaire à l’opération de crédit, qui est l’opération principale. Il faut qu’elle devienne une opération clé et pas simplement un complément au crédit.
Justement, pensez-vous que la résiliation à tout moment va dans la direction que vous venez d’énoncer ?
Cette résiliation à tout moment ne peut que favoriser l’ouverture de ce marché. Elle oblige la banque à expliciter le refus de la résiliation. Ce côté un peu coercitif qui impose l’information de l’emprunteur sur la possibilité de résilier peut être intéressant. Mais la loi qui l’instaure propose d’autres avancées pour les clients. Par exemple, le droit à l’oubli est élargi.
Pour autant, je ne m’attends pas à une explosion des parts de marché : je fais confiance aux banques pour trouver les failles qui leur permettront de ne pas appliquer le nouveau texte. La suppression du questionnaire de santé au Crédit Mutuel est une réponse : il veut garder ses clients, donc il ferme la concurrence, il fige le marché avec un discours RSE.
La suppression du questionnaire de santé n’est-elle pas le résultat d’une meilleure connaissance des comportements, des risques et des progrès de la médecine ?
Je vais peut-être choquer. Open data ou pas, le métier d’une compagnie d’assurance consiste à tarifer un risque et à indemniser quand les conditions de la garantie sont requises. Je ne crois pas que l’on puisse tarifer des risques à partir de données macroéconomiques ou sur l’évolution de la santé de la population.
Aujourd’hui, si vous appliquez un algorithme d’intelligence artificielle pour établir un tarif pour les personnes âgées, ces dernières ne sont pas assurables à cause de la COVID-19. On ne peut pas se passer d’un minimum de question : c’est le fondement même de la mutualisation. Si les assureurs ne sélectionnent plus les risques, ils ne font plus leur métier. On le voit avec l’assurance santé qui est devenue une complémentaire à la Sécurité sociale. La prime payée doit correspondre aux risques pris, sinon le marché va créer des comportements déviants.
Parmi les autres améliorations possibles, il y a la lisibilité des contrats. Comment aimeriez-vous que le contenu des documents évolue ?
Personne ne peut être contre cette amélioration. Quand j’ai commencé dans le métier, un contrat d’assurance emprunteur tenait sur quatre pages. Aujourd’hui, il en fait vingt. Ce n’est pas en rajoutant des documents comme la fiche d’information standardisée et le recueil des besoins de la part du client que l’on rend l’assurance emprunteur plus visible, bien au contraire. Chacun doit faire son métier.
Je vais faire cette métaphore : au football, quand les règles sont propres, sur le terrain on joue proprement. C’est pareil pour l’assurance emprunteur. En l’état, il ne faut surtout rien faire de plus : plus on ajoute de dispositions, plus on complique la compréhension des contrats. Il faut faire confiance aux intermédiaires pour présenter les bonnes offres et surtout pas chercher à normaliser. C’est la pire des choses à faire.
Propos recueillis Mi-février