Florian Boulte, Fondateur de Tellus Matters et Président de la commission Investissement durable de l’AFFO dans le cadre du magazine* “Dessine-moi la gestion de patrimoine”, répond aux questions de Jean-Charles Naimi.
Vous venez de publier un livre blanc sur l’ISR. Est-ce une thématique qui prend de l’ampleur dans les Family Office ? Correspond-elle à une demande des familles ?
Tout à fait, mais j’attire votre attention sur un détail qui n’en est pas un : il s’agit d’un livre sur l’investissement durable, et non ISR. Pourquoi cette distinction ? Car l’ISR est un label, et donc une contrainte de fonds mais surtout une contrainte de forme. Il faut cocher les cases.
Nous ne voulions pas faire référence à tel ou tel label mais bien au fond des choses : un investissement durable, fait pour durer, et donc prenant en compte le fait que nous vivons dans un monde physique et qu’à ce titre, il est important de bien comprendre les flux et les stocks physiques d’un projet d’investissement avant d’y investir.
Les familles sont sensibles à cette approche car elles ont une vision multigénérationnelle de leur patrimoine et de ce fait comprennent bien qu’il faut avoir une vision à long terme. Or, le changement climatique en cours va avoir des conséquences systémiques considérables et bouleverse déjà certains secteurs.
Quelles sont les grandes tendances qui ressortent de cet ouvrage en matière de véhicule de placement ou de secteur d’investissement à privilégier ?
Jusqu’au 15 août 1971, date à laquelle le président des Etats-Unis d’Amérique Richard Nixon décide de mettre fin à la convertibilité du dollar en or, les principales monnaies n’étaient pas seulement des outils de transaction mais avaient aussi une contrepartie réelle dans le monde physique. Ainsi, il y avait une restriction à la création de monnaie, et donc au crédit.
A compter de cette date, le monde physique et le monde monétaire sont dissociés mais notre thermomètre économique, le PIB, reste le même alors qu’il ne compte plus tout à fait la même chose. Ainsi, le lien qui existait avec le monde physique ayant disparu, notre perception de la durabilité s’est encore amoindrie.
Le péché originel de la théorie économique qui nous a modelé vient du fait que nous ne comptons que les flux de ressources naturelles, les stocks étant considérés comme gratuits. Or, ce n’est pas le cas : si nous comptions la dépréciation du stock, en qualité comme en quantité, nous aurions depuis bien longtemps constaté que nous vivons du capital, et que notre prétendue croissance est essentiellement cela.
Une fois cette notion comprise, il devient évident qu’il faut réorienter ses investissements en comprenant bien l’origine des flux physiques qui y sont liés, et la notion « d’utilité », en ayant en tête les besoins identifiés par la Pyramide de Maslow, par exemple.
Cela devrait permet de constituer un portefeuille résilient car peu consommateur de ressources naturelles et au plus proche des besoins primaires de chaque individu.
Il faut aussi avoir en tête que certains actifs considérés comme pérennes jusqu’à peu pourraient devenir des actifs échoués de manière assez brutale du fait du transfert générationnel des patrimoines. Les préoccupations des plus jeunes sont très différentes de celles de leurs ainés en matière d’investissement, et cela devrait se voir…
Pour les Family office, les labels sont-ils suffisants ou bien veulent-ils être plus exigeants ?
Les labels fixent un cadre de réflexion très utile à la comparaison et à la structuration de l’analyse. Mais ils sont multiples et chacun a tendance à vouloir créer son label à compter du moment où sa grille d’analyse diffère de ce qui existe déjà.
Je pense que c’est un écueil des labels. Afin de l’éviter, j’aurais tendance à penser qu’il faut s’appuyer sur les Objectifs de Développement Durable de l’ONU, les ODD ou SDG en anglais, car ils sont universels et donc transposables dans le monde entier.
A partir de ce cadre, chacun, en fonction de son degré de sophistication environnementale et sociale, est en mesure d’affiner son analyse et de rajouter des degrés d’exigence. Mais partir de ce cadre commun permet de mieux communiquer avec les autres investisseurs.
Aujourd’hui il reste un écueil majeur à surmonter pour orienter les investissements vers les solutions durables. En effet, alors qu’il est très facile de comparer le rendement financier de deux titres, il est beaucoup plus difficile d’avoir des mesures d’impact précises et comparables, notamment du fait de la multiplicité des impacts possible : gaz à effet de serre, biodiversité, pollution, accès à l’éducation, santé…
Au-delà de l’ISR, voyez-vous dans les Family office une tendance au développement sur les fonds de partage ou la philanthropie ?
Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas une vision très claire du sujet. Pour moi, ce sont des sujets très distincts car la philanthropie n’est par nature pas durable puisqu’elle repose sur la volonté d’un ou plusieurs individus qui ne sont pas immortels, et que les capitaux des fondations sont durables s’ils sont gérés durablement.
Bien utilisés, ce sont des moyens de réduire les inégalités, et en ce sens de participer à la résilience de notre société, et à la réduction du risque physique. J’encourage donc les Family office à réfléchir à cette approche.
*ITW du magazine « Dessine-moi la gestion de patrimoine », production Vovoxx, en Juillet 2021, que vous pouvez télécharger, diffusé gratuitement aux CGP et à leurs fournisseurs). Le #3 de ce magazine est prévu pour fin novembre 2021. Si intérêt, n’hésitez pas à nous contacter.