Quatre professionnels donnent leurs visions des probables changements

Quatre professionnels, CGP et gestionnaires d’actifs, donnent leurs visions des probables changements qui interviendront dans le champ de la relation client et de la distribution*. Entretien croisé avec Cyril Hourdry, Eleva Capital • Hugo Benoit, Cap Atlantique Patrimoine • Franck Citerne, Framatong Investissement • Vincent Courroyer, Magnacarta.

La relation entre le client et le CGP peut-elle changer demain au regard de l’évolution de la société, en faisant ressortir de nouvelles attentes ?

CYRIL HOURDRY

La société actuelle vit une période inédite où les accélérations de cycle dues aux innovations font évoluer nos habitudes de consommation. Qu’il s’agisse de prestations de services, ou de nos besoins quotidiens, il semblerait que la gestion de la relation client ait fait ressortir des attentes dont les fondamentaux restent identiques mais avec un traitement différent. J’estime que la relation entre le client et le CGP ne changera pas forcément sur le traitement des besoins qui resteront selon moi similaires : répondre à un objectif patrimonial tout en respectant des obligations règlementaires et accompagner dans le temps des familles avec des prestations de conseil personnalisées. Toutefois, la relation entre le client et le CGP évolue naturellement pour deux raisons. D’une part avec l’environnement de taux bas qui amène le CGP à revoir ses allocations types afin de pouvoir répondre aux objectifs autrefois définis avec ses clients. D’autre part avec la réglementation qui encadre notre métier qui pousse le conseiller à la digitalisation. J’ai le sentiment que les différents fournisseurs investissent fortement dans cet accompagnement pour que nous puissions nous adapter à chaque besoin spécifique du client tout en lui proposant une offre la plus large et objective possible. Enfin, les fondamentaux de la relation client restent selon moi les mêmes : l’écoute, la définition des objectifs propres aux clients, l’accompagnement du client face aux mutations économiques, civiles ou fiscales et pour cela vive la rencontre !
HUGO BENOIT
Les clients commencent à comprendre que l’allongement de la vie, la faiblesse des rendements des placements sans risque et la baisse du niveau des retraites vont avoir une influence importante sur l’utilisation de leur patrimoine. Très clairement nous ressentons chez eux une volonté moins marquée de transmettre leurs actifs, par exemple. Depuis quelques temps, notre clientèle est beaucoup plus sensible à investir utilement et je pense que la crise sanitaire et économique récente va accélérer ce phénomène. À ce titre, nous sommes fréquemment confrontés à des clients au profil prudent pourtant désireux d’investir dans des véhicules non-cotés.
Enfin la crise actuelle amène une bonne partie de notre clientèle à nous solliciter pour mieux comprendre le monde financier d’aujourd’hui. Le principe du « quoi qu’il en coûte » interpelle et inquiète les épargnants et les investisseurs. Nous devons être très pédagogues. Enfin, je ne sais pas si le projet de réforme est lié à cela, mais nous assistons à une importante demande en bilan retraite.
Enfin, les fondamentaux de la relation client restent selon moi les mêmes : l’écoute, la définition des objectifs propres aux clients, l’accompagnement du client face aux mutations économiques, civiles ou fiscales et pour cela vive la rencontre !
FRANCK CITERNE

Bien entendu. La nature de cette dernière crise a fait prendre conscience à une partie de la clientèle que ce qui paraissait être un acquis, une certitude, pouvait s’effondrer en une journée. Certains de nos clients assis sur des situations confortables de quasi-rente, qui n’avaient aucune raison de s’interrompre, les ont vu disparaitre en un claquement de doigt. D’autre, sans être en situation de rente ont vu leurs revenus passer à zéro, mais pas leurs charges. L’attitude face au besoin d’épargne, de sécurité, en sera de facto forcement modifiée.
Le vieillissement crée lui aussi de nouvelles attentes de deux types : la préparation et la gestion.
La préparation, parce qu’une plus grande conscience du risque de dépendance et de l’insuffisance des retraites, s’installe surtout auprès de la population aisée : notre cœur de métier.
La gestion, parce que nos clients veulent s’attacher un « environnement de confiance » pour le temps où ils pourraient manquer de vigilance. Ils réalisent qu’ils auront besoin de plus qu’un conseil en gestion de patrimoine, l’âge venant. Ils ont conscience qu’ils ne pourront pas exiger de leurs enfants qu’ils s’occupent de la gestion administrative et financière et qu’il leur faudra s’en remettre à l’environnement qu’ils auront su créer avant.
VINCENT COUROYER

Notre métier se fonde autant sur la technique financière patrimoniale ou bien fiscale que la compréhension du besoin du client et la relation de confiance tissée avec lui. Indéniablement, cette crise touchant l’être humain joue un rôle de catalyseur et d’accélérateur des évolutions sociétales déjà initiées. Nous sommes toujours en crise. Il est donc difficile de les anticiper d’ores et déjà. Notre métier a réussi en l’espace de quelques heures à s’adapter au confinement sévère. Alors, nous sommes convaincus qu’à l’instar des vingt-cinq dernières années, notre métier fera preuve d’inventivité pour trouver à répondre avec diligence et efficacité aux nouvelles attentes de nos clients de notre société. Et c’est ce qui fait toute l’attractivité de notre profession !

La crise de la Covid-19 a permis de développer l’utilisation des outils de gestion à distance. Est-ce que cela peut changer profondément l’exercice de l’activité, avec de nouveaux risques mais aussi de nouvelles opportunités ?

VINCENT COUROYER
Ce confinement a fini par lever nos propres barrières de professionnels quant à la dématérialisation d’une partie de la relation client. Confinement ou pas, certains CGP avaient déjà organisé leur relation client avec une utilisation des outils de gestion à distance pour la partie administrative. Les rendez-vous sont consacrés principalement au conseil et à l’accompagnement. Et bien évidement, le temps libéré permet de générer des affaires complémentaires avec nos clients mais aussi d’exploiter au mieux les recommandations données.
On a même vu apparaître l’organisation de réunions clients privés à distance, outil le plus souvent utilisé entre professionnels. En touchant en une seule fois plus de clients et prospects, cette nouvelle modalité démultiplie notre capacité de prospection. Bien ou mal, il est trop tôt pour porter un jugement. Nous pourrons évaluer les bienfaits de cette évolution dans quelques temps.
FRANCK CITERNE

Cette crise a rendu incontournable la digitalisation de notre relation. Mais elle n’a été qu’un accélérateur de cette transition. Transition qui, si elle est incontournable et nécessaire, ne doit pas faire oublier l’apport inestimable d’un rendez-vous physique. Traitée comme un accessoire de la relation client, elle nous permettra d’optimiser nos process, de fluidifier et de sécuriser les aspects administratifs. Je ne crois pas que la digitalisation crée à elle seule de nouvelles opportunités, c’est l’usage que nous en ferons qui les créera. Avec la digitalisation, par exemple, se développe des outils d’agrégation, dont aucun, selon moi, n’est encore au point. Ces outils nous offrirons une véritable vision globale de la situation de nos clients ajustée en temps réelle. Nous disposerons d’une vue de ce que nous intermédions mais surtout du reste, permettant une meilleure réactivité. Quant aux risques induits n’existent-ils pas déjà ?
CYRIL HOURDRY

Depuis quelques années, les outils de gestion à distance se sont fortement développés et la crise de la COVID-19 a clairement accéléré leur utilisation. Ils ont été essentiels cette fois-ci aux CGP. Ces derniers ont pu obtenir très rapidement les informations liées à cette crise inédite et certains ont réussi à mieux communiquer directement avec les clients et ainsi améliorer leur accompagnement. La digitalisation du métier permet de gagner du temps administratif pour se consacrer à la relation humaine et à l’accompagnement. Cela répond également à ces nouveaux besoins de clients qui veulent avoir accès aux informations quand ils le souhaitent et de façon instantanée.
HUGO BENOIT

Bien sûr. Les clients prennent l’habitude d’une relation plus digitale. À cela s’ajoute le fait que les outils mis à notre disposition sont de plus en plus conviviaux. Pour nous, ils sont une façon de gagner beaucoup de temps et d’offrir à nos clients un vrai moment utile. Mais à mon avis un rendez-vous physique régulier reste essentiel lorsque l’on se situe dans une activité de stratégie patrimoniale. Le risque de la distanciation est de perdre ce liant et de dissiper cette dimension exclusive qui fait notre différence, sur le terrain,en tant que conseiller en gestion de patrimoine.

Comment jugez-vous les outils de gestion de la relation client ? Faut-il les améliorer pour être calés au plus près de la réglementation ?

FRANCK CITERNE

Les outils de gestion de la relation client continuent d’être construit par des informaticiens et ne tiennent que trop peu compte des besoins du conseiller et de son client. Nous avons tous à gagner à poursuivre l’embryon de changement que nous constatons. Bien sûr, l’aspect réglementaire doit être au cœur de ces développements, mais il ne doit pas en être l’âme. Les outils doivent se réinventer, les développeurs doivent répondre à un cahier des charges rédigé par les utilisateurs et non par eux. L’outil est au service de celui qui l’utilise. Nos clients seront de plus en plus demandeurs d’un accès unique pour la gestion de l’ensemble de leur patrimoine. Si nous ne sommes pas à l’origine de cette proposition, la concurrence s’en chargera et clairement pas pour se contenter d’observer. Le combat acharné de nos partenaires pour un outil propriétaire est un combat perdu d’avance, même si je comprends bien l’ensemble des réticences qui soutiennent ce combat.
CYRIL HOURDRY

Comme évoqué plus haut, j’ai le sentiment que les fournisseurs ont fortement investi pour développer les outils digitaux afin d’accompagner le client sur son organisation patrimoniale. La signature en ligne est aujourd’hui un atout formidable. Cette solution est proposée par les meilleures plateformes pour simplifier l’administratif d’une exécution ou améliorer fortement la réactivité du CGP face à ses allocations, par exemple. Les agrégateurs jouent aussi un rôle important. Certains cadrent l’aspect réglementaire, réunissent l’ensemble des informations de la gestion du client et permettent d’améliorer son suivi. Ces outils de gestion de la relation client ont certes un coût mais permettent de gagner du temps pour se consacrer le plus possible à la relation humaine. De plus, cette évolution de l’environnement économique et de la réglementation a développé l’offre disponible à travers les CGP, ce qui engendre un nouveau temps d’adaptation et de compréhension pour ces derniers. Il faut donc apporter de plus en plus de pédagogie et les outils digitaux me semblent être une bonne solution.
HUGO BENOIT
Je les juge très bons lorsqu’ils sont pris individuellement. Mais malheureusement, ils ne sont pas liés entre eux et cela est très frustrant ! Bien sûr que tout ce qui est règlementaire doit être digitalisé et c’est un des premiers chantiers que nous avons développé avec mes amis d’InComon. InComon est une société créée par 7 CGP
et 3 actionnaires salariés en septembre 2019. Elle compte aujourd’hui 13 CGP associés et nous serons d’ici peu 15, en sachant que n’avons pas le souhait d’être plus nombreux. Grâce au cabinet d’avocats spécialiste en compliance qui conseille la société depuis des années, InComon a lancé le développement d’une application qui permettra en quelques clics de délivrer à nos clients et prospects toute l’information précontractuelle obligatoire avant toute souscription et ce, quel que soit le contrat. Le gain de temps sera pour nous considérable. Quant à la sécurité rédactionnelle, elle sera fortement renforcée. Cette nouvelle application sera commercialisée auprès de tous les professionnels du patrimoine à compter du 1er semestre 2021. Les obligations réglementaires n’apportent pas de valeur ajoutée à nos clients qui préfèreraient un temps stratégique ou d’écoute.
La règlementation est essentielle pour sécuriser notre profession mais elle est actuellement bien trop chronophage.
VINCENT COUROYER

La période particulière que nous avons vécue a mis en exergue l’importance des outils de gestion à disposition des CGP. La traçabilité et la disponibilité de l’historique de la relation avec son client devient un enjeu primordial. Comment accompagner son client, particulièrement dans un moment de crise, si l’accès aux informations est impossible ? Le CGP doit augmenter son exigence de formalisation et de conservation des échanges face à ses clients. Il verra que ses obligations réglementaires seront remplies sans s’en rendre compte. Les outils, sans aucun doute améliorables, existent déjà. Ils ne sont pas exploités à leur potentiel maximum. Tout comme pour la dématérialisation de la relation client, le CGP va s’appuyer sur eux pour organiser la traçabilité de la relation avec son client. On pourra donc de n’importe quel endroit disposer de son historique et pouvoir répondre à ses attentes.
Ce besoin de disponibilité est croissant car il est devenu la règle pour certains secteurs de notre économie comme le commerce ou la musique.

Comment conquérir de nouveaux clients ? Quelles cibles de clientèles sont les plus en attente de conseil patrimonial ?

HUGO BENOIT

Pour ce qui nous concerne, la question de la conquête de nouveaux clients est réglée puisque nous avons créé le cabinet ELYPHIA en Joint Venture avec un groupe comptable. L’interprofessionnalité est à mon sens la voie la plus fiable d’une conquête de clientèle qualifiée et demandeuse d’un conseil et d’un accompagnement à 360 degrés. Nous n’intervenons quasiment que pour des chefs d’entreprise car leur situation nécessite des compétences transversales. Les dirigeants souhaitent en général un interlocuteur unique capable d’orchestrer leurs situations.
Cependant, nous voyons apparaître également de plus en plus de clients trentenaires souhaitant plutôt un conseil en placement plus que patrimonial. La forte croissance des ouvertures de compte titres pendant le confinement ne m’étonne pas à posteriori. Il est en effet très intéressant de constater que la nouvelle génération sera moins
dépendante au plan d’épargne logement ou au fonds en euros et qu’elle s’intéresse aux actions . Je pense que notre profession doit être en mesure de s’occuper de ces clients même si leur patrimoine n’est pas encore très conséquent.
VINCENT COUROYER

Lors de l’installation d’un CGP, sa première préoccupation se concentre sur la conquête de clients sans distinction de taille, de problématique ou de rentabilité. Pourquoi ? parce que la qualité du service, du conseil, du suivi sur les premiers clients va générer la recommandation, principale source de conquête clients.
Bien sûr, plus le patrimoine est dense, plus la situation personnelle est complexe, plus le conseil patrimonial devient primordial. Mais chaque client mérite un conseil patrimonial ou financier, un conseil adapté à son patrimoine, à sa situation, ses objectifs et sa capacité de prendre des risques.
L’organisation du cabinet doit donc tenir compte de cette spécificité pour garantir le service idoine à chaque type de patrimoine dans les meilleures conditions de qualité et de coût. Une autre solution qui s’offre au CGP est de choisir la typologie de clients qu’il souhaite servir. Avec plus d’efficience, il n’en sera que meilleur. Ce qui est certain, c’est que notre profession poursuit sa mutation. Nous profitons d’évènements comme le confinement pour l’accélérer. Nous nous adaptons à notre environnement où la mobilité et la disponibilité de l’information et du service deviennent les clés de succès. Il faut accepter cette évolution en gardant bien à l’esprit que la gestion de patrimoine s’inscrit dans un temps long et non dans un environnement d’immédiateté.
CYRIL HOURDRY
L’une des principales sources de conquêtes semble toujours être la recommandation, d’où l’importance de la qualité d’exécution et de la pédagogie dans le temps. Toutefois, certains investissent fortement dans le digital pour conquérir de nouveaux clients via le web-référencement, les mailings ciblés, ou les réseaux sociaux.
Cela permet d’aller à la rencontre des nouvelles générations. Comme toute entreprise, le CGP doit continuer d’investir dans la mise en avant du conseil personnalisé. Enfin, la hausse de la réglementation pousse les plus grosses structures de gestion privée à se concentrer sur leurs clients ayant un certain patrimoine global.
Une opportunité magnifique pour le CGP pour aller conquérir des clients parfois délaissés de ce fait et qui ont toujours des objectifs patrimoniaux à accomplir. Ils n’ont plus qu’à le savoir !
FRANCK CITERNE

Toujours plus de services, nos clients doivent trouver chez nous, réponse à tout ce qui concerne leur univers patrimonial au sens large, du début à la fin de la vie de ce patrimoine. Il faut que nous nous entourions des compétences que nous n’avons pas. La difficulté étant de trouver la limite pour préserver la qualité de la prestation globale. Quelles sont les cibles les plus en attente de services quant à la construction d’un patrimoine ? Pour moi tous les indépendants, tous les chefs d’entreprise, tous ceux dont la passion est leur métier et qui se noient dans les méandres de nos systèmes juridiques et fiscaux. Sur ces catégories, une offre complète faite par des professionnels qui travaillent de concert et parlent d’une seule voix, mais juste, rencontrerait forcément un vif succès. Reste à faire travailler ensemble de farouches indépendants.
*Publication des contributions réalisées pour l’ouvrage diffusé en Octobre 2020 « Dessine-moi la gestion de patrimoine », produit par Vovoxx, Plateforme collaborative de production et de diffusion de contenus : Assurance, Banque, Epargne, Prévoyance.

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