Certaines plateformes de services santé, dont l’activité historique est d’être opératrices de réseaux de soins, ouvrent leurs périmètres serviciels afin de mieux accompagner les assureurs santé et leurs adhérents dans l’accès à des soins pertinents et de qualité. Quel est le rôle, désormais, des plateformes de services santé ? Quelle est la place des nouvelles technologies dans l’accompagnement à la prévention et aux soins et surtout comment ces services santé peuvent-ils devenir des éléments de différenciation pour les assureurs santé ? Nous avons décidé d’interviewer Marianne Binst, Directrice générale de Santéclair.
Marianne Binst, comment voyez-vous, aujourd’hui, le rôle de Santéclair auprès de vos clients et de leurs bénéficiaires ? Celui-ci a-t-il évolué ?
Nous sommes véritablement restés sur les fondamentaux historiques de notre plateforme santé : aider les clients de nos clients dans leur orientation au sein de notre système de santé. Nous sommes donc dans la continuité de notre rôle plutôt que sur une rupture, en ouvrant significativement notre périmètre serviciel. Des trois domaines « classiques » de notre offre : optique, dentaire et audioprothèse, nous sommes passés aujourd’hui à 6, nous ne travaillons plus uniquement sur les devis et les réseaux, mais aussi sur des applications internet avec de nouvelles offres servicielles. Par ailleurs, si nous sommes toujours très présents sur le prix, nous avons beaucoup travaillé sur la partie relative à la qualité des prestations de santé et à l’orientation vers cette qualité. Nous aidons les bénéficiaires de nos clients à faire les bons choix.
Notre rôle a donc évolué même si les assureurs restent encore souvent très focalisés sur nos réseaux de professionnels de santé, qui sont indispensables mais qui ne sont finalement qu’un des outils au service d’une stratégie plus globale. Notre métier est désormais de repérer et de sélectionner des services pertinents pour les intégrer au bon moment au parcours de soin de nos bénéficiaires afin de le faciliter et de l’optimiser.
Les assureurs qui voient la nécessité d’ouvrir leur périmètre serviciel, doivent véritablement associer une valeur supplémentaire aux services que nous proposons. En cela, l’offre servicielle de Santéclair, au cœur du métier de l’assureur santé, a encore besoin d’être expliquée pour en démontrer la valeur. A titre d’exemple, nous travaillons beaucoup sur l’opportunité du soin et les actions d’évitement du soin, qui sont un sujet clé pour la santé des Français et pour l’écosystème de la santé en général. L’opportunité du soin est un sujet de préoccupation majeur, avec des services que nous avons développés afin de permettre au patient d’être acteur, de pouvoir analyser ses symptômes et leur gravité afin de décider de façon éclairée d’aller vers le soin et à quel niveau, ou au contraire de se dispenser de saturer les urgences dans les cas où y recourir ne s’avère pas utile mais en le faisant de façon rassurée et sans risque de perte de chances.
Les impacts des actions d’évitement du soin non pertinent, en France, sont très peu documentés. C’est regrettable. Il est clair que notre système de santé est plus orienté sur le curatif. Il faut vraiment capitaliser sur les approches préventives et essayer d’éviter, le plus possible, les problèmes de santé. Il faut penser amélioration de la santé au quotidien et plus seulement consulter lorsque l’on a un problème. Tous les nouveaux univers serviciels de prévention, d’accompagnement sont encore à expliquer aux Français. Dans un contexte du presque « tout gratuit » pour la santé, il faut indéniablement renforcer la culture des Français sur la qualité, le tarif, la prévention et sur l’orientation dans le système de santé.
Plus spécifiquement sur la technologie. Dans votre métier, vos services, quel est l’apport de la technologie ?
Considérable. La technologie est fondamentale, surtout le digital qui permet de nous adresser facilement au bénéficiaire final, le patient. Rappelons-nous de notre métier il y a une petite vingtaine d’années. Le parcours du devis avec des circuits papiers « monstrueux ». Cela limitait considérablement notre capacité à nous adresser au bénéficiaire final. Le foisonnement des services a été possible grâce au digital, qui les rend plus largement et directement accessibles au plus grand nombre. La technologie est ainsi un des moyens permettant aux Français de prendre en main leur santé avec des services faciles d’accès et d’usage. Les Français ne sont pas des experts, il faut démocratiser l’accès à la technologie, créer des réflexes, intégrer des applications de santé pour qu’elles se retrouvent dans la poche de tous. Si les assureurs ne le font pas, nous risquons de voir très vite d’autres acteurs plus avancés qui vont s’approprier cet univers serviciel.
Vous utilisez l’intelligence artificielle. Transforme-t-elle le parcours de soins de vos bénéficiaires ?
Comme je l’évoquais précédemment sur notre stratégie servicielle d’orientation vers le bon soin, la meilleure orientation spontanée des patients dans le système de santé ne peut que favoriser la réduction des actes non pertinents, là encore dans l’intérêt de la personne directement concernée mais aussi dans celui de l’ensemble du système. Notre nouveau service d’analyse de symptômes et d’orientation proposé en partenariat avec ADA Health permet, grâce à l’intelligence artificielle, une orientation mieux ciblée vers la bonne ressource de santé et permet de limiter les sollicitations inutiles du système sans restreindre l’accès aux soins. C’est donc un service qui, au travers d’une solution individuelle, permet d’améliorer l’efficacité collective du système de santé en faisant mieux coïncider les réponses en mesure d’être apportées à la spécificité de chaque cas à prendre en charge.
Mais c’est en étant intégré comme une brique au sein de notre plateforme de services MySantéclair que cet outil, à la technologie ultra performante en termes d’évaluation médicale, peut exprimer toute sa puissance au niveau de l’orientation dans le parcours de soins. Son intégration à l’environnement Santéclair permet au service d’analyse de symptômes de révéler pleinement son utilité pour l’assuré qui sait à la fois quelle ressource de santé la plus appropriée solliciter, et comment la solliciter en s’appuyant notamment sur la palette de services que nous mettons à sa disposition afin de faciliter l’accès à des soins qualité dans chacun des domaines : automédication, médecine de ville, hospitalisation, optique, dentaire, audio, médecines douces.
La situation sanitaire vécue par les Français, à cause de la pandémie, va-t-elle accentuer leurs besoins d’accompagnement, d’orientation des Français dans leurs parcours de soins ?
La pandémie va être la cause d’évolutions assez fondamentales. Bien sûr, beaucoup de Français se sont aperçu que, concernant leur santé, il est possible de faire beaucoup de choses grâce au digital, dont le diagnostic à distance. Même les médecins les plus réticents sont devenus utilisateurs.
Cependant un des points qui me parait fondamental est que l’on a véritablement perçu, lors de ce terrible événement sanitaire, que la ressource médicale est une ressource rare, qu’il faut l’épargner, d’une certaine façon la gérer avec parcimonie. De fait l’accès à une ressource rare se doit d’être mieux géré.
D’une certaine façon, nous avons également appris de nouveau que se protéger, c’est aussi protéger les autres. Le sujet santé est inscrit à l’agenda depuis plus d’un an et nous marquera longtemps. Rester en bonne santé sera une priorité. Le lien entre la santé et l’impact économique est visible, la santé publique ne sera plus le parent pauvre de la santé.
J’ai cependant un regret. L’entreprise, lieu de lien social mais aussi de prévention santé a été tenue à l’écart de la stratégie vaccinale. Je crois beaucoup à l’entreprise pour participer aux stratégies de santé publique. Il est indispensable d’avoir des relais, des « corps intermédiaires ». Il faudrait plus impliquer les entreprises dans la santé au travers de la QVT, d’ailleurs beaucoup d’entre-elles auraient été très motivées pour participer à l’effort de diffusion de la vaccination en la facilitant auprès de leurs salariés.
Pouvez-vous nous préciser votre stratégie globale, vos ambitions ?
Notre ambition s’inscrit dans l’affirmation de notre raison d’être qui consiste à contribuer à ce que chacun puisse bénéficier de conseils et de soins de santé de qualité, les plus efficaces, les plus appropriés à son état, les mieux adaptés à son contexte de vie, à un prix juste et apporter ainsi une contribution clé au système de santé et à la protection sociale pour l’ensemble des citoyens. Pour ce faire, figure notamment parmi nos engagements vis-à-vis de nos millions de bénéficiaires la mise à disposition de services permettant de lutter contre les inégalités sociales, cognitives et géographiques dans l’accès à des soins de qualité.
Et vis-à-vis des assureurs, un message ?
Que deviendrait l’assureur santé sans services ? L’innovation est essentielle pour toute industrie, le service est au cœur des stratégies de croissance, pour tous. L’innovation doit prendre sa véritable place dans l’assurance, il est impératif de disposer d’un périmètre serviciel étendu et de qualité. Les assureurs sont des acteurs crédibles, légitimes et des acteurs de l’innovation. Ils doivent tester des solutions, en proposer certaines. Ils ont aujourd’hui un rôle clé pour que la complémentaire santé ne soient pas uniquement une ligne de remboursement sur le relevé bancaire de leurs clients.
Interview réalisé par Jean-Luc Gambey . L’assurance en Mouvement / Vovoxx. Photo de Philippe JACOB
Revoir le débat : « Assurance santé : quand l’intelligence artificielle révolutionne l’entrée dans le parcours de soins »