Alain Plouzennec, Directeur Général de Mutualia, évoquait ses convictions* dans le cadre de l’ouvrage** «Dessine-moi une complémentaire santé », une co-production Carte Blanche Partenaires et Vovoxx.
Les garanties complémentaires santé sont depuis quelques années l’objet d’un encadrement croissant, cela nous oriente immanquablement vers une uniformisation des pratiques et des offres. Vouloir proposer des garanties différenciantes est certainement indispensable mais de plus en plus compliqué compte tenu, au-delà du caractère réglementaire, des incertitudes sur les attentes réelles des adhérents et des surcoûts techniques
et de gestion, occasionnés par les « innovations » qui poursuivent l’objectif de différenciation.
Sur le fond, je pense qu’il convient de distinguer les deux marchés : celui de la complémentaire santé individuelle
et celui de la complémentaire santé collective.
S’agissant de la complémentaire santé collective, il serait réducteur de raisonner sur le seul périmètre de la complémentaire santé. Les enjeux des entreprises sont à la fois la santé de leurs salariés et son corollaire naturel, la limitation des risques d’absentéisme.
Dès lors, la création de valeur ajoutée réclame logiquement la prise en considération des questions de santé des salariés dans leur globalité assurancielle. Ainsi, la complémentaire santé et l’ensemble des garanties de prévoyance sont cette réponse globale qui pourrait être assortie de propositions de services. Toutefois, aujourd’hui à l’exception de quelques entreprises, la motivation des employeurs à rechercher plus de services pour leurs salariés se heurte à certaines réalités économiques : les services ont un coût.
J’ajoute que les acteurs mutualistes du marché de la complémentaire santé sont le plus souvent absents sur les garanties de prévoyance. Par voie de conséquence, la recherche de l’équilibre économique entre garanties santé, garanties prévoyance et services relève pour les mutuelles traditionnelles d’une équation bien difficile
à résoudre.
En ce qui concerne la complémentaire santé individuelle, au-delà des réelles difficultés d’équilibre des résultats techniques qui apparaissent sous l’effet de la pression concurrentielle, le frein majeur au développement de la logique de services, reste la très faible appétence de nos concitoyens à payer le juste prix des services autour de la santé. Or, il devient impossible d’intégrer ces services dans nos offres selon le principe du coût marginal, pour des raisons que chacun comprendra : un service de qualité et utile a un coût et celui-ci doit aujourd’hui être supporté économiquement par le bénéficiaire.
Les acteurs de notre marché ont sur ce sujet un travail considérable d’explication et de communication à organiser pour favoriser et obtenir la prise de conscience indispensable du grand public, mais aussi des pouvoirs publics.
La notion de services santé est extrêmement large et revêt de multiples réalités. Les services santé proposés n’ont pas tous la même valeur, certains relevant parfois d’une habile communication ou d’une réflexion marketing subtile. En conséquence de quoi certains « montages » d’offres de services santé présentent le risque de tomber dans le gadget, installant une certaine confusion entre l’utile et l’accessoire, le plus souvent au détriment de services qui présentent de réels intérêts car ils répondent fondamentalement à un besoin identifié par tous.
Nous devons, à mon sens, faire preuve d’un meilleur esprit de responsabilité sur ce point.
S’agissant des services santé, la difficulté majeure reste l’absence d’expression d’une attente réelle de la part de nos adhérents vis-à-vis du monde de l’assurance complémentaire santé. Manifestement la majorité de la population ne nous reconnait pas, pour l’heure, de légitimité naturelle à proposer ces services.
S’agissant du retard objectif de l’intégration des services santé dans la chaîne de valeur servicielle, l’explication doit sans doute être recherchée autant sur la valeur ajoutée réelle que les services portent vis-à-vis de la population, que sur la motivation économique de l’ensemble des acteurs (porteurs de risque, courtiers, entreprises, individus) à les voir réaliser par des acteurs hors de la sphère publique. En outre, dans un marché concurrentiel (de reprise) et dans lequel les concentrations sont nombreuses et se traduisent par la création d’organisations qui peuvent peser réellement de tout leur poids sur le marché, le secteur des plateformes santé ou réseaux de soins va certainement se transformer au gré de la création de « consortiums » plus ou moins homogènes qui accepteront (ou pas) de mutualiser des innovations et de partager des leviers de différenciation. S’agissant du positionnement de ces plateformes santé / réseaux de soins actuels, il peut y avoir des développements sur la santé visuelle, la santé bucco-dentaire ou encore l’audition, toutefois ces questions importantes se situent, me semble-t-il, à la marge des sujets centraux de la population lorsque l’on parle de questions de santé. Ainsi, il ne faut pas exclure que demain les grands acteurs – les leaders – disposeront de leurs propres dispositifs (parfois partagés) et que ceux qui n’auront pas la taille critique continueront à utiliser les services de plateformes externalisées.
Le principal risque pour l’assurance complémentaire santé réside dans le développement de la perception de la baisse du ratio Valeur ajoutée / Cotisations payées, perception partagée aujourd’hui par certains responsables politiques. L’enjeu va être de démontrer auprès des clients (entreprises, adhérents) que la « mutuelle » est capable d’aider concrètement face aux aléas de la vie, en les évitant tant que possible grâce à la promotion d’actions de prévention efficaces, et en étant présente lorsqu’ils se réalisent. Nous devons collectivement nous atteler à cette tâche, et faire preuve en cette occasion de convictions solides et légitimes qui sont celles partagées depuis toujours par les mutuelles.
La complémentaire santé de demain devra, et c’est une évidence, maîtriser et gérer efficacement les données, n’oublions jamais qu’il s’agit du cœur même de notre activité, un « bon assureur » est avant tout un excellent gestionnaire de l’information. À l’ère du numérique et des technologies de demain, cette réalité est plus prégnante encore et présente une importance stratégique majeure. En parallèle, nous devons aussi maintenir les liens d’écoute et de proximité avec les adhérents. Dans une société numérisée, portée par l’explosion des réseaux sociaux, nous devrons développer et promouvoir les effets positifs d’une relation de proximité attentive à l’humain et aux réalités du terrain, et porteuse de valeur. Bien sûr la proximité fait écho aux valeurs portées par la mutualité, et aujourd’hui encore (et pour longtemps sans doute) elle constitue un atout essentiel et incontournable pour participer légitimement aux transformations de l’accès à la santé sur les territoires.
*Réalisé lors du 1er semestre 2020
**Co-production Carte Blanche Partenaires / L’assurance en Mouvement – Vovoxx