Adossée à une falaise rocheuse, située à une soixantaine de kilomètres au sud de Naples, la ville d’Amalfi figurait au Moyen-Âge, parmi les grandes puissances maritimes de la Méditerranée, grâce à son commerce très développé avec l’Empire Romain d’Orient. De cette époque faste, la République Amalfitaine nous a laissé un des plus anciens codes commerciaux maritimes, connu sous le nom de Table d’Amalfi. Les historiens pensent que sa rédaction s’étale entre le XI et le XIV siècle, au départ en latin, puis en Italien ancien.
Un code en vigueur dans toute la Méditerranée
En 1845, Monsieur Petit de Baroncourt, chargé d’une mission scientifique à Naples et en Sicile écrivait dans son rapport au ministre Français de l’Instruction Publique que « bien que son existence ait été contestée par plusieurs écrivains pendant des siècles, il apparaît que ce code d’Amalfi était encore en vigueur au 16° siècle (1). Une affirmation corroborée par d’autres auteurs. « Il résulte des documents de 1571 et 1603 que, pour l’achat de felouques, les contractants se référaient encore aux dispositions des Tables » (2). Les doutes son enfin levés en 1843, date à laquelle le précieux document fut découvert dans la bibliothèque impériale de Vienne après avoir passé un long séjour, probablement aux XVII° et XVIII° siècles dans la Cité des Doges. Son voyage retour de l’Autriche vers l’Italie date de 1929. Le texte est depuis conservé au musée d’Amalfi. Il ne compte pas moins de soixante-six articles.
Le droit d’Amalfi a donc bien régné longtemps sur une grande partie de la méditerranée au cours de siècles où les risques maritimes étaient principalement dus aux naufrages liés aux intempéries et, bien entendu, à la piraterie. Dans les deux cas, le navire et la marchandise pouvaient être perdus. Pour se protéger, les marchands, regroupés en sociétés, dont ils sont les associés, ont inventé un système de fonds de remboursement du bateau et de la cargaison.
L’esquisse d’une garantie prévoyance-santé-perte d’emploi
Mais le plus intéressant reste la place occupée par l’équipage dans le code d’Amalfi, au point que certains y voient les prémices d’une protection sociale applicable aux marins.
Comme l’explique Petit de Baroncourt, « l’esprit de ce code a été conçu avec des sentiments généreux et chrétiens. Ainsi le matelot entre dans le partage des bénéfices ; mais si le navire fait des pertes ; s’il essuie un naufrage ou tout autre dommage, il recevra toujours une solde pour ses services. »
Mais la protection va plus loin. En effet, le code précise que les marins ou les associés peuvent conserver leur part, s’ils sont capturés par des pirates durant la navigation. Il en est de même s’ils sont malades, la société devant leur procurer des soins au-delà de leur part. Et s’ils devaient être blessés en défendant le navire, le code prévoit, dans son article xxx qu’ils reçoivent des indemnisations journalières et un traitement médical.
Par ailleurs, le texte énonce que si les marins sont capturés, et qu’on leur réclame une rançon, cette dernière doit être payée par toute la société. De plus, lorsqu’ils ont été dépouillés, la communauté leur doit réparation, sauf s’il s’agit de biens propres. Néanmoins, si les marins s’enfuient ; il est bien mentionné qu’ils abandonnent leur part et qu’il peut leur être exigé d’en reverser le double à la société.
D’autres avantages peuvent aussi être mis en avant, comme le souligne le Docteur en Histoire Eric Barré de l’Université de Caen (3) « Il [NDLR le matelot] est payé en priorité en cas de faillite, suite au premier voyage du navire (…) et en cas de décès en service, ils [NDLR les marins] ne sont pas tenus de rembourser leur avance sur salaire et ce dernier est tenu comme payé au comptant. »
Les tables d’Amalfi sont avant tout un code maritime. Mais on peut y déceler, un millénaire plus-tard, les prémices d’un droit de la protection sociale.
Jean-Charles Naimi
(1) Rapport adressé le 15 juin 1845 et publié au Journal Général de l’instruction publique du 12 juillet 1845
(2) Nouvelles scientifiques. In: Annales d’histoire économique et sociale. 1ᵉ année, N. 3, 1929. pp. 417-422.
(3) Chronique d’histoire maritime, publication de la Société Française d’Histoire Maritime, n°75 – décembre 2013.