Le président du Groupe AÉSIO, Patrick Brothier, évoque un des sujets majeurs pour la profession, la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale pour financer la perte d’autonomie. Patrick Brothier, le projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie ouvre la voie à la création d’une 5ème branche pour financer le risque de perte d’autonomie. Est-ce une avancée majeure ?
Oui, car on peut enfin espérer une réponse à la hauteur de l’enjeu. Néanmoins, si le mécanisme est connu dans les grandes lignes, il reste encore des incertitudes sur les capacités de financement de cette cinquième branche afin de répondre pleinement aux besoins. Nous entrons dans une société de la longévité avec des situations de dépendance qui seront plus nombreuses, avec le vieillissement de notre population, mais aussi plus longues avec l’accroissement de l’espérance de vie. La difficulté est que, bien souvent, l’on ne commence à s’intéresser à la dépendance que lorsqu’on l’expérimente soi-même, souvent par la perte d’autonomie de ses parents. Nous sommes face à un véritable défi de société, dont l’enjeu va bien au-delà de nos parcours de vie individuels. Pour réussir la société de la longévité et ainsi accompagner nos aînés qui seront plus nombreux, nous devons nous mobiliser largement afin d’accompagner également les aidants et tous les professionnels du grand âge qui sont à leurs côtés au quotidien et qui remplissent un rôle essentiel.
Les organismes assureurs ne semblent pas, pour l’heure, conviés à participer aux fondations de cette 5ème branche. Est-ce normal ? Un financement seulement public peut-il être suffisant ?
Les Français se prononcent majoritairement pour une prise en charge publique du risque de perte d’autonomie. Ainsi, d’après un baromètre réalisé par Odoxa en novembre 2019, les trois-quarts des Français approuvent la création d’un « 5ème risque » dédié au financement public de la prise en charge de la perte d’autonomie et du grand âge.
Néanmoins, les besoins sont colossaux. Une étude de la Drees de 2019 estime le besoin de financement global lié à la dépendance à environ 30 milliards d’euros, soit 1,4 % du PIB. Ce besoin va croître rapidement et significativement, d’autant qu’il faut aussi concevoir une valorisation plus forte des métiers du soin et de l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie, si bien qu’à horizon 2040, il faudra au moins une dizaine de milliards supplémentaires pour assumer le financement.
Au niveau du Groupe AÉSIO, nous souhaitons comme les Français une réponse publique à la hauteur des enjeux. Toutefois, si cela devait être nécessaire, nous avons travaillé au sein de la Mutualité française (FNMF), et avec la Fédération Française de l’Assurance (FFA), pour être en mesure de développer des solutions complémentaires. Nous pourrions ainsi proposer une assurance dépendance généralisée qui serait en inclusion dans un contrat de complémentaire santé. Cette proposition a vocation à s’inscrire dans une réflexion globale sur l’accompagnement de la dépendance et nous pensons qu’elle peut être une réponse additionnelle aux enjeux du vieillissement de notre population.
Dans un sondage réalisé en février 2019 par l’IFOP, 37 % des personnes interrogées ont déclaré que la dépendance devait être financée par un système d’assurance obligatoire à prendre au moment du départ à la retraite. Un chiffre proche de celui des 39 % de personnes sondées qui privilégient un financement par les impôts ou les cotisations sociales (39 %).
Dans tous les cas, il va être indispensable de mobiliser des capacités financières importantes dans les années à venir pour répondre à la fois au besoin de financement, car l’on voit bien les difficultés posées par les restes à charge élevés notamment, mais aussi pour repenser l’ensemble du spectre de l’accompagnement de la dépendance. Les Français souhaitent en effet majoritairement vieillir à leur domicile.
Quelles sont vos propositions et vos offres dans le domaine de la perte d’autonomie ?
Nous avons l’ambition d’accompagner nos adhérents en tant qu’acteur global de la protection des personnes, à la fois en complémentaire santé et en prévoyance, mais aussi pour leurs soins puisque AÉSIO Santé regroupe 200 établissements des secteurs sanitaires et médico-social, cliniques, EHPAD, centres de soins, et 4500 professionnels. Cette complémentarité nous permet d’agir au plus près des territoires dans une forte proximité avec nos adhérents. Nous expérimentons ainsi des réponses innovantes aux enjeux du grand âge, avec, par exemple, l’ouverture à Saint-Etienne de la Cité des ainés qui propose un large spectre de prises en charge pour accompagner nos aînés et leurs aidants, tout en offrant une grande coordination entre les professionnels du grand âge et en favorisant le lien social.
Nous nous sommes également associés avec des chercheurs de l’Ecole des mines de Saint-Etienne pour développer la « box des fragilités » qui favorise le maintien à domicile en anticipant les situations de dépendance. Cette innovation technologique permet une prédiction du risque de perte d’autonomie qui s’appuie sur la technologie du jumeau numérique, utilisée dans de nombreux domaines industriels, de l’aéronautique à la santé. Cette « Box des fragilités » permet une analyse en continu des comportements quotidiens d’une personne à son domicile pendant trois mois pour collecter des données et modéliser le jumeau numérique. A partir de ces données, un algorithme est capable de projeter différents scénarios de fragilisation ce qui permet de les anticiper et d’apporter une réponse la plus adaptée et personnalisée possible.
Avez-vous d’autres remarques complémentaires ?
Pour réussir pleinement la société de la longévité, il faudra aller au-delà des enjeux de financement et de l’accompagnement pour faire émerger une société du bien-vivre, ensemble, longtemps, et en bonne santé, en favorisant la projection de vie à domicile avec, lorsque c’est nécessaire, l’appui d’une équipe de professionnels coordonnés via un établissement. Il s’agit d’une vraie transformation de notre société qu’il faut engager dans une logique inclusive au bénéfice de nos aînés bien sûr, mais aussi des aidants et de tous les professionnels qui les accompagnent. Il n’y a donc aucun conflit générationnel d’intérêts car les perspectives de carrière et d’emplois non délocalisables associés à cet enjeu offriraient aussi des perspectives plus engageantes et motivantes aux professionnel(le)s, notamment des femmes, mobilisé(e)s.
Dans cette perspective motivante à tous égards, nous sommes mobilisés au sein du Groupe AÉSIO pour contribuer au changement de société qui s’impose et concrétiser auprès de nos adhérents, individuels et collectifs, cet engagement à vivre mieux, plus longtemps, ensemble.
Interview effectué par Jean-Luc Gambey – L’assurance En Mouvement – Vovoxx