La pandémie actuelle impose des contraintes fortes d’organisation pour les entreprises. Résilience, plan de continuité, gestion de crise, maintien de la relation clients, gestion des Ressources Humaines et développement massif du télétravail, développement des systèmes d’information, conduite des opérations de communication, et maintien de l’organisation de la gouvernance de l’entreprise. Alors que la majorité des salariés du secteur de travaillent aujourd’hui à distance, les dirigeants sont également confinés chez eux. Nous avons décidé d’interviewer, à distance, Evelyne Llauro-Barrès – Directrice Générale Adjointe Richesses Humaines de la MAIF. Evelyne Llauro-Barrès, tout d’abord merci de répondre à cette interview. Comment en tant que personne, vivez-vous ce confinement ?
Je le vis plutôt bien, car j’ai la chance d’être confinée en province. J’ai la possibilité d’exercer mon activité dans un environnement favorable avec une pièce dédiée, j’ai la chance d’avoir de grands enfants et un mari qui cuisine. Bien entendu, comme tout le monde je peux souffrir de l’enchainement de séquences de travail par écran interposé qui laisse peu de place à l’imprévu, à des temps de pauses ou à des interactions plus personnelles.
Trouvez-vous certains aspects professionnels positifs à votre confinement ? au télétravail ?
Oui, je me rends compte que nous sommes beaucoup plus ponctuels lors d’une réunion virtuelle que lors d’une réunion physique. Je pense aussi que nous sommes plus rigoureux dans la prise de parole et dans les temps d’écoute. Nous sommes également plus attentifs et aussi plus contributifs, par exemple grâce aux outils à notre disposition et aux modalités de partage associées chacun peut contribuer de façon beaucoup plus fluide autour d’un document partagé.
De manière plus générale, il me semble important de distinguer le télétravail classique du télétravail de confinement. En effet, à la MAIF, nous avions déjà des salariés (environ 15%), qui étaient en situation de télétravail de manière épisodique entre 1 à 2 jours par semaine en moyenne. Il s’agit d’une activité pendulaire : le salarié alterne des périodes de travail à la maison et d’autres au bureau, avec une majorité de son temps de travail sur site.
Le salarié télétravailleur et son manager bénéficient d’un accompagnement spécifique lié à cette situation.
Le télétravail de confinement que nous connaissons aujourd’hui, a été mis en place de manière réactive, toutes les personnes qui avaient la capacité de travailler à distance ont dû s’adapter à cette nouvelle façon de travailler. Cette manière de faire du télétravail est donc vécu très différemment du télétravail classique. Nous sommes aujourd’hui sur un rythme de 5 jours sur 5 de travail à la maison pour la majorité de nos collaborateurs, avec pour certains la présence d’enfants à la maison, le manque d’espace pour s’isoler et travailler, le manque de contacts sociaux.
Le point positif que nous pouvons tirer de ce mode de travail « imposé » est la capacité que nous avons eu à basculer très rapidement de 1112 télétravailleurs, à 5100 personnes équipées pour travailler à distance (sur environ 7 500 salariés). Cela nous a permis de maintenir l’activité de l’entreprise en étant présents pour nos sociétaires tout en assurant la sécurité des salariés.
Quelles grandes décisions, pour votre entreprise, avez-vous prises dans ce contexte ?
Dès février, une cellule de crise hebdomadaire a été activée tous les lundis. Très rapidement, le « plan Argos » qui réunit plusieurs fois par jours les équipes dans tous les métiers, sous la direction du responsable de la maîtrise des risques a été déclenché.
Nous avons fait le choix de fermer l’ensemble des entités MAIF dès le 17 mars et de généraliser le travail à distance. Nous avons aussi décidé de ne pas recourir au chômage partiel dans une logique de responsabilité et de solidarité. Selon nous, ce dispositif doit être réservé en priorité aux entreprises faisant face à des difficultés économiques majeures, pouvant mettre en péril leurs emplois.
Le salaire de l’ensemble des collaborateurs MAIF a également été maintenu à 100%.
Avec les salariés, nous avons très vite été confrontés à l’enjeu de communiquer avec eux tous les jours notamment via notre intranet ou par mail.
Concernant notre cœur de métier qui est l’assurance, la période de confinement que nous vivons a entraîné mécaniquement une forte baisse des déplacements et du coup aussi des accidents de la circulation. En assurance cela s’appelle une baisse de la sinistralité et c’est autant de réparations que nous n’allons pas devoir prendre en charge, pour un montant que nous estimons à plus de 100 millions d’euros pour les 3,6 millions de véhicules assurés à la MAIF.
Nous avons décidé de rembourser ces 100 millions d’euros à nos 2,8 millions de sociétaires pour participer à l’effort de solidarité collectif. Et pour que la solidarité se démultiplie, nous avons donné la possibilité à nos assurés de reverser cette somme à des soutiens d’urgence dans le cadre de l’épidémie. La primeur de cette information a été réservée à nos salariés, nous leur avons envoyé un e-mail la veille de l’annonce aux sociétaires concernés. Beaucoup de nos salariés ont exprimé leur fierté d’appartenir au groupe sur notre réseau social interne et également en externe à la suite de l’annonce. Cette décision est avant tout guidée par les valeurs que nous portons depuis toujours. MAIF est un acteur engagé en faveur du mieux commun, c’est inscrit dans son ADN.
Comment organisez-vous la gouvernance de l’entreprise ?
Le comité de direction se réunit à raison de 2 fois par semaine à travers une cellule de crise.
En parallèle nous avons maintenu les différents comités de direction qui existaient avant la crise, nous les réalisons à distance via teams.
Les Français et probablement la grande majorité des salariés de votre entreprise sont actuellement en télétravail. Selon certaines études, une très grande majorité des Français salariés n’ont pas l’habitude de travailler à distance (89% selon une étude *) et ne disposent pas d’un espace réservé pour le home office (73% selon la même étude*), comment cela se passe dans votre entreprise ?
Encore une fois, il faut vraiment distinguer le télétravail classique du télétravail dans le contexte du confinement. A la MAIF dans le cadre du télétravail classique, nous demandons au salarié de disposer d’un environnement calme propice au travail et permettant de respecter la confidentialité des données. Nous sommes dans une logique de confiance donc nous n’allons pas au domicile du salarié pour vérifier que cela est bien le cas. Les managers et les salariés disposent également d’un accompagnement spécifique sur le sujet. Dans le cadre du télétravail de confinement il a fallu s’adapter, nous sommes conscients de ce qui est pointé dans l’étude, à savoir que certains salariés ne disposent pas d’un espace réservé pour le home office et que beaucoup d’entre eux n’avaient pas l’habitude de travailler à distance. Un autre risque que j’identifie est le sujet de « l’hyper-connexion » et de l’extrême porosité entre la sphère personnelle et professionnelle. En tant que manager, je suis par exemple attentive au fait de ne pas solliciter mes équipes le soir et/ou à l’heure de la pause méridienne pour permettre à chacun de pouvoir vraiment faire des coupures.
Pour accompagner l’ensemble de nos collaborateurs à ces nouvelles conditions de travail, nous avons prévu un dispositif adapté. En plus des formations à distance, pour les managers sur le management à distance, et pour tous les salariés sur l’organisation des différentes séquences de travail dans la journée, l’ensemble des collaborateurs ont accès sur notre intranet a une page dédiée, sur laquelle ils ont la possibilité d’avoir toutes les informations nécessaires pour pouvoir : travailler dans de bonnes conditions à distance, maîtriser les outils à distance et enfin garder la forme via par exemple des articles et des astuces pour cultiver son bien-être au quotidien.
Est-ce que le télétravail permet de gagner du temps, de la concentration et de l’énergie ? Pour vous, pour vos collaborateurs ?
Dans le cadre du télétravail classique, fin 2019 nous avons interrogés nos collaborateurs afin d’avoir un retour d’expérience. 97% de nos télétravailleurs soulignent une meilleure conciliation vie pro / vie perso, grâce au télétravail ils évoquent :
- Une concentration accrue (citée par 81% des télétravailleurs parmi les principaux bénéfices du télétravail)
- Une réduction du stress lié au temps de trajet (citée par 67%)
- Un bénéfice sur l’hygiène de vie avec la possibilité de reprendre une activité sportive grâce au temps de trajet dégagé.
97% des managers interrogés ont estimé que la performance individuelle est maintenue ou améliorée dans le cadre du télétravail. De manière générale, les collaborateurs MAIF sont reconnaissants envers l’entreprise et leur management et perçoivent le télétravail classique comme un gage de confiance et de reconnaissance. Le taux de satisfaction générale vis-à-vis de ce mode de télétravail est de 93%.
Concernant le télétravail en période de confinement, comme indiqué précédemment les modalités sont totalement différentes, nos collaborateurs vont donc être prochainement interrogés afin de partager avec nous leurs ressentis. Nous pourrons ainsi disposer d’informations qui nous permettrons de mieux identifier ce qui va bien pour eux, les difficultés qu’ils rencontrent, leurs besoins et attentes prioritaires. Ces éléments précieux vont également servir à construire l’après. Au-delà de l’enquête, nous avons bien évidement des retours par la ligne managériale et ces derniers sont contrastés en fonction des conditions de confinement et de l’endurance de chacun face au travail à distance dans la durée. Certains jours nous pouvons avoir le sentiment que le télétravail nous a permis de gagner en concentration et donc d’être efficace et d’autres jours, nous pouvons avoir le sentiment d’une grande lassitude après un enchainement de réunions virtuelles à travers une multitude d’outils.
Stress, surcharge de travail, isolement social, incertitude… Le télétravail en contexte de confinement n’est pas sans risque. Or, le travail à distance n’exonère pas les employeurs de leurs obligations de protection de la santé de leurs salariés. Est-ce conciliable ?
Effectivement, la question aujourd’hui est de savoir comment continuer à travailler dans des conditions de travail à distance sur la durée, tout en continuant à protéger nos salariés face aux risques de stress, de dépression, des troubles musculosquelettiques ? L’ensemble de ces risques sont réels. Nous devons faire en sorte que les actions nécessaires soient appliquées pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale et physique de nos salariés. Cela passe évidement par des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation.
A la MAIF, nous avons activé notre cellule de soutien psychologique, et les salariés peuvent compter sur nos infirmières, notre assistante sociale et leur RH de proximité. Les managers sont évidemment les mieux placés pour identifier et prévenir les situations à risques. Nous nous appuyons beaucoup sur eux. Nous pouvons aussi parler des nombreuses initiatives individuelles ou collectives lancées par nos salariés au sein de leurs équipes, grâce aux nombreux outils à notre disposition, cela permet de garder le lien et de lutter contre l’isolement social. L’enquête que nous allons envoyer prochainement, va nous permettre d’identifier nos axes d’amélioration sur le sujet du bien-être de nos salariés et mettre en place si besoin des actions complémentaires. Nous nous préparons à travailler autrement encore plusieurs mois, la capacité à réussir à équilibrer vie privée et la vie professionnelle sera un critère très important dans les décisions que nous prendrons.
La technologie permet de maintenir l’activité professionnelle, de garder un peu de lien social… avez-vous découvert ou utilisé de nouveaux outils dans ce contexte ?
MAIF a lancé sa transformation numérique il y a de cela plusieurs années. Dans ce cadre nous avons mis en place la suite office 365. Le contexte actuel a sans doute permis à un certain nombre de salariés de franchir une barrière technologique et à tous d’aller plus loin dans l’usage des outils collaboratifs que nous avions déjà à notre disposition, notamment, Teams, Skype entreprise ou encore notre réseau social « Yammer » qui étaient déjà déployés. Pour ma part je suis devenue experte de teams en 24H après des mois de résistance. Je trouve cet outil vraiment formidable !
Voyez-vous des conséquences positives de cette quasi-généralisation du télétravail ?
Je suis frappée par la vitesse à laquelle nos salariés se sont adaptés à la situation et la rapidité à laquelle nous avons réussi à prendre des décisions. On gagne en efficacité quand nous sommes dans l’urgence, car la priorité qui s’impose à nous est de faire même si c’est imparfait !
Pensez-vous, à terme, que cela risque d’augmenter le nombre de « télétravailleurs » une fois la période de confinement terminée ? Plus de demande de la part des entreprises, des salariés ?
Personnellement, je ne vois pas le sujet comme « un risque ». Certes la situation de confinement que nous vivons a bousculé la vision que nous avions du travail à distance : cela nous a fait découvrir des choses insoupçonnables et notamment notre capacité d’adaptation face à de nouvelles modalités de travail, mais cela nous a aussi permis d’expérimenter les limites du travail à distance. Nous pouvons tout faire en virtuel sauf l’essentiel : laisser la place à la rencontre et à l’imprévu.
*Deskeo a interrogé le 26/03/2020 2 736 professionnels au sujet de leurs conditions de télétravail.
Par Jean-Luc Gambey – Vovoxx
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