A Valbonne dans les Alpes-Maritimes, la société Iris Expertise fait face à la situation sanitaire et pense à l’avenir, tout comme Alpinia Finance basée à Paris qui continue son activité, notamment avec sa plateforme en ligne Activeseed. Les deux cabinets croient fortement à la combinaison du digital et de la relation personnalisée pour asseoir le développement de la gestion de patrimoine de demain. L’Assurance en Mouvement poursuit sa série des sociétés de gestion de patrimoine en temps de crise avec Florence Bicheray et Grégoire Dauge. Deux visions complémentaires du métier.
L’Assurance en Mouvement : Comment-vous êtes-vous organisés depuis la mi-mars pour continuer à exercer votre activité ?
Florence Bicheray : Depuis la mi-mars, je suis en arrêt d’activité pour ALD. Malgré cette situation un peu spécifique, je continue d’assurer le suivi des clients mais je ne fais plus d’affaires nouvelles ; les propositions d’investissements en cours début mars ont toutes été annulées ou reportées à des périodes plus sereines. Les échanges se font par e-mail et par téléphone. En cas de besoin, les souscriptions peuvent s’effectuer par voie digitale, solution déjà utilisée depuis deux ans au sein du cabinet avec des compagnies d’assurance.
Grégoire Dauge : Comme beaucoup de TPE/PME, et tout particulièrement dans notre secteur dit des « Fintech », nous avons mis le télétravail en place tout en gardant une présence dans nos bureaux parisiens pour toutes les opérations ne pouvant être exécutées à distance, telles que la gestion du courrier, le traitement des appels téléphoniques et les tâches comptables et juridiques qui ne sont pas encore totalement dématérialisées.
Quelles sont les principales préoccupations de vos clients et êtes-vous en phase avec ces inquiétudes ?
F B : Aucun de mes clients n’a manifesté le désir de racheter ses actifs. Avec certains j’ai pu effectuer des arbitrages du fonds euros vers les actions lorsque les marchés ont atteint des points bas, vers 3600 et 3800 points sur le CAC 40, pour lisser la performance. Cette crise étant d’abord sanitaire, les clients sont davantage sensibilisés par le risque santé et sont bien conscients que, par rapport aux marchés et aux pertes financières affichées, il faut être patient et attendre la reprise de confiance des investisseurs avec la fin du Covid-19. L’inquiétude porte sur la durée de la crise pour ceux qui ont besoin de revenus, à cause de la baisse des avoirs et donc de pertes actées sur les unités de compte ce qui limitera l’effet rebond lors de la reprise.
Quant à la solidité des compagnies d’assurance et aux inquiétudes qui seraient liées aux blocages éventuels des rachats, les clients n’y pensent pas vraiment, bien que je les aie sensibilisés sur cette question depuis quelques années. Cela ne semble pas être leur préoccupation première. Il est clair qu’il est important de connaître la solvabilité des compagnies d’Assurance et d’investir auprès de plusieurs compagnies en période de crise pour éviter de mettre les clients dans des situations de blocage de retraits.
G D : Il est fondamental de toujours considérer le ressenti des clients comme vrai, même s’il peut parfois être inexact. Cela permet d’identifier deux grandes sources d’inquiétudes pour y apporter des réponses adaptées.
Les premières sont liées aux conditions initiales de l’accord passé avec eux. Ce sont à mon avis les plus lourdes. Lorsqu’une épargne est mise en place dans le seul objectif de réaliser de la performance, alors il y a de fortes chances que son suivi dans le temps soit une source de tracas et reste sous la menace d’une rupture de confiance. Il conviendra alors de revoir le niveau de risque établi dans les solutions concernées.
Les secondes sources d’inquiétudes concernent les actions à mener face à la crise et à ses conséquences. C’est une démarche positive de la part du client. Sa confiance nous oblige à nous remettre en cause pour trouver de bonnes réponses à ses craintes et en toutes situations. N’oublions pas que l’un des éléments constitutifs de nos offres est la notion de risque dont les réponses ne sont pas de même nature pour un banquier ou un assureur. La gestion, l’orientation et le contrôle d’une solution d’épargne n’est pas un jeu mais repose sur une connaissance globale d’une personne, de son patrimoine et de ses objectifs. Si sa prise de risque est cohérente avec l’ensemble de ces éléments, le suivi client devient constructif et rassurant pour lui comme pour le conseiller. C’est une occasion d’échanges, d’écoutes et d’explications. Répondre à ces situations est la raison même de notre métier qui est d’apporter un service de conseil.
Comment voyez-vous à ce stade l’avenir des différents marchés et solutions ?
F B : Des mouvements vont à mon avis se dessiner. L’activité de prévoyance sera dopée. La crainte de contracter le virus aura un effet positif en termes de nouvelles adhésions dans le sens où les chefs d’entreprises seront plus fortement sensibilisés par le risque vécu et ses conséquences financières. L’or physique pourrait trouver un regain d’intérêt en tant que traditionnelle valeur refuge. L’immobilier est une classe d’actif qui peut être différemment touchée selon le secteur d’activité et le véhicule de détention ainsi que selon la part détenue par ces derniers en liquidités permettant de bénéficier ou non du rebond des marchés financiers (OPCI). D’une manière générale je pense que l’immobilier sera à moyen terme touché, compte tenu des retards et des non-paiements de loyers. Par contre, lors de la reprise de confiance et en cas d’inflation galopante, ce marché pourrait connaître un regain de valorisation.
L’Assurance-vie, grâce à sa fiscalité avantageuse devrait conserver son attrait. Côté financier en revanche, les clients vont garder en mémoire la chute brutale des valorisations et le risque pris sur les investissements en unités de compte y compris sur les fonds dits patrimoniaux. Il sera plus difficile de convaincre les profils « prudents » d’aller sur les marchés. Les mandats de gestion peuvent apporter une réactivité que le CGP n’aura pas, et me semblent apparaître comme une solution pour rassurer les clients et leur offrir plus de rendement, au moins sur une partie de portefeuille, en complément d’une poche sur fonds euro ou sur fonds euro croissance et d’une poche en immobilier.
Je reste prudente sur le Private Equity en général et très sélective sur les FCPI. Quant aux fonds structurés, vendus en masse à l’heure actuelle pour ceux qui recherchent un parachute, j’émets des doutes sur le rendement final et la sécurité annoncée de certains.
G D : Ayons du bon sens pour sortir de la complexité dans laquelle nous met la crise, mesurer la fragilité de certaines solutions et perdre confiance dans des usages classiques devenus inadaptés. Il faut sortir des certitudes et appliquer des règles incontournables de l’investissement à savoir la diversification, la souplesse des solutions pour tenir compte des séquencements prévus et imprévus dans la gestion d’un patrimoine. Nous devons aussi convaincre nos clients de cesser de penser qu’ils sont incapables de comprendre et de contrôler la gestion de leurs avoirs. Aider nos clients à avoir confiance en eux est la meilleure manière d’aborder les solutions à venir. Mais il faudra être beaucoup plus exigeant.
Pensez-vous que les outils de conseil, de suivi et de vente à distance vont prendre une place plus importante à l’avenir dans votre métier ?
FB : Il faut à mon sens distinguer les outils patrimoniaux des outils permettant les souscriptions en mode digital. Les premiers qui sont des logiciels d’audit et d’optimisation sont déjà largement diffusés et seront toujours utilisés pour produire des bilans complets.
Les outils digitaux de souscription ont commencé leur essor il y a 2 ans et sont fortement développés et mis en place par les compagnies pour faire face à l’obligation de confinement, afin d’assurer un plan de continuité d’activité. Ces solutions ne cesseront de s’améliorer à l’avenir et seront devenues irremplaçables. Ce mode de souscription est tellement fonctionnel, pratique et efficace qu’il va se développer et s’améliorer dans l’intérêt de tous, partenaires et CGP ou courtiers. Et c’est tant mieux car il fait gagner un temps précieux et permet d’optimiser l’efficacité du cabinet. Attention cependant, le 100 % digital n’est pas la solution miracle. L’approche conseil qui est notre valeur ajoutée ne doit pas s’effacer ou disparaître sous prétexte que nous aurons pris l’habitude de tout faire à distance, sinon le métier de GCP n’aura plus de raison d’être.
G D : Oui bien sûr et c’est la concrétisation de ma réponse précédente: les moyens que nous offre la technologie, tant dans les parcours et outils mis à disposition des utilisateurs que dans la construction de nouveaux supports, nous donnent les moyens de répondre positivement à la fragilité que révèlent ces temps de crise. A nous professionnels de le faire savoir et aux clients de considérer que l’on peut faire autrement et qu’il existe de vraies solutions alternatives.
Vous projetez-vous pour la fin de l’année ou pour 2021 sur votre activité ? Si oui quelles seront les évolutions, transformations éventuelles liées au contexte de crise, sanitaire et probablement financière et économique ?
FB : Je pense que malheureusement l’année 2020 est sacrifiée en termes de chiffre d’affaires, d’autant plus pour moi qui vit une situation particulière d’arrêt pour quelques mois, et du fait de la baisse mécanique des encours. A mon avis, la reprise de l’activité ne se fera réellement que lorsque la clientèle sera rassurée sur le plan sanitaire. Si bon nombre de nos clients chefs d’entreprises sont impactés par l’arrêt d’activité, ils ne seront plus enclins à verser sur des PEI PERECOI ou sur des comptes titres mais plutôt préoccupés par leur besoin en fonds de roulement et en trésorerie.
G D : Soyons fidèles à notre cap. Nous considérons que la première qualité d’un métier de conseil est de proposer des solutions suffisamment souples pour s’adapter au pire comme au meilleur. Ainsi, la meilleure façon de se projeter en 2021 est de bien vivre l’année 2020 et de se concentrer sur ce qui est source d’opportunités et de valeurs ajoutées. Cela passe par une prise de conscience de ce que l’on ne veut plus et par l’identification de ce qui nous ressemble le mieux. Je crois sincèrement qu’il faut redonner du sens à ce que l’on fait et particulièrement dans l’univers financier.
Quelles seront les valeurs que vous allez mettre en avant demain ?
F B : Cette crise sanitaire qui est devenue également une crise économique et financière se démarque des autres. La peur collective est générée par un domaine qui nous touche tous en premier lieu, celui de la santé. Ce sentiment collectif nous unit pour un même combat, celui de rester en bonne santé et de sortir d’un phénomène lié à un événement exogène, contrairement aux autres crises qui étaient financières et économiques.
La reprise sera sans doute plus longue que prévue, mais je suis convaincue que notre métier reste précieux pour accompagner les clients dans leurs projets en toutes circonstances, et que le savoir-faire du CGP multi casquettes lui permettra de rebondir, notamment en s’adaptant aux nouveaux outils. Le rôle du CGP est également d’apporter une culture financière à ses clients, et cela d’autant plus dans les mois à venir.
G D : Faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait. Il me semble que l’on n’est jamais aussi fort que lorsque l’on est authentique.
La SARL IRIS EXPERTISES a été créée en septembre 2009. Actuellement gérante et associée unique de la SARL, diplômée d’un MASTER 2 spécialité « gestion de Patrimoine », Florence Bicheray exerce l’activité de CGP au travers de l’ensemble des statuts règlementés : CIF, IOBSP, IAS, agent Immobilier avec détention de la CJA. Elle est fortement impliquée au sein de l’ANACOFI, notamment en étant administrateur de l’ANACOFI IMMO et trésorière depuis 2017. Florence Bicheray a aussi mené une étude sur les outils patrimoniaux, digitaux et outils de facturation dans le cadre de l’Observatoire de l’ANACOFI. Elle est également membre d’un réseau indépendant de chefs d’entreprises du bassin Cannois : Cannes Business Club. Elle envisage à présent de s’associer avec un expert-comptable.
En 2013, les collaborateurs et les actionnaires d’Alpinia Finance ont décidé d’orienter leur activité de Conseil en Investissements Financiers dans le développement d’une plateforme digitale proposant un acte d’épargne concrétisant une vision innovante. Après un long travail de recherche et d’analyse des comportements de l’épargnant français, la société a choisi un axe de revalorisation de la personne de l’épargnant, de son rapport à l’argent et de son désir de sortir des usages classiques dont il se sent exclu voire trompé. Alpinia Finance a vu l’essor du digital comme une chance historique d’amorcer un profond changement d’usage dans la gestion individuelle de l’épargne. La société de gestion de patrimoine a ainsi créé la plateforme ActiveSeed permettant de concrétiser son message de marque : « nous pouvons faire autrement et reprendre la main sur la gestion de notre argent ».
Jean-Charles Naimi, journaliste indépendant