Cela bouge sur le terrain juridique. La crise sanitaire a entraîné un recours sans précédent au chômage partiel dont l’impact sur les couvertures de santé, prévoyance et retraite supplémentaire en entreprise a vite inquiété les assureurs et les partenaires sociaux. Les premiers ont émis des recommandations et les seconds ont rédigé un projet d’ANI. Le gouvernement pourrait venir sécuriser le processus par ordonnance. Florence Duprat-Cerri, avocat Councel au sein du département Droit social de CMS Francis Lefebvre Avocat décrypte cette actualité pour L’Assurance en Mouvement.
L’Assurance en Mouvement : où se situe concrètement le problème du maintien des garanties de complémentaire santé, prévoyance et retraite supplémentaire en cas d’activité partielle ?
Florence Duprat-Cerri : La difficulté est liée au fait que les allocations versées aux salariés en cas de chômage partiel ne sont pas assujetties à cotisations de sécurité sociale mais seulement à CSG-CRDS.
Plus précisément, pour la prévoyance complémentaire et la retraite supplémentaire collectives, les cotisations sociales sont toujours assises sur la rémunération entrant dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale. Toutefois, l’allocation de chômage partiel n’est pas considérée comme un salaire mais comme un revenu de remplacement, de surcroît non assujetti à cotisations de sécurité sociale.
En matière de frais de santé, le problème se pose moins car, en général, les cotisations des contrats collectifs sont calculées en pourcentage du plafond mensuel de la Sécurité sociale, donc sur une base indépendante de la rémunération des salariés.
Dès lors, en l’absence de cotisations, la question s’est posée du droit à prestations. En effet, le chômage partiel entraine une suspension du contrat de travail n’entrant pas en général dans les cas où un maintien de couverture est prévu par le contrat, l’assureur n’étant pas alors dans l’obligation d’indemniser l’assuré, sous réserve bien entendu, des dispositions contractuelles qui peuvent être plus favorables.
Les différentes familles de l’assurance ont pris une position commune début avril, que dit-elle ?
F D-C : Les représentants des différentes familles d’organismes assureurs (FFA, CTIP et FNMF) ont en effet émis une recommandation à leurs membres pour favoriser la mise en place d’un calcul des cotisations en santé et prévoyance assises sur les indemnités de remplacement au titre de l’activité partielle, afin de maintenir les garanties aux salariés. Cette position est applicable sauf si des dispositions contractuelles ou conventionnelles prévoient dans ce cas une dispense partielle ou totale de cotisations. On notera que certaines URSSAF admettent que la cotisation peut être appelée sur la base d’une l’assiette reconstituée.
Pour permettre l’application de ce maintien des garanties, deux notes ont été diffusées par ces représentants pour donner les consignes en matière de déclaration des cotisations complémentaires par les entreprises.
Quant aux niveaux des prestations, notamment en prévoyance, elles sont en principe liées au montant des cotisations, ce qui signifie qu’elles peuvent être diminuées dans la mesure où celles-ci sont appelées sur une base plus faible que celle de la rémunération.
Il s’agit toutefois d’une position de place qui ne peut avoir un caractère contraignant vis à vis des assureurs et qui ne s’adresse qu’à eux seuls, et non aux employeurs.
D’où le projet d’ANI. Que prévoit-il ?
F D-C : Pour l’heure, le maintien des garanties semble ne pas poser de difficultés majeures dans la majorité des entreprises, mais il est vrai que le dispositif n’est pas totalement sécurisé
C’est pourquoi un projet d’accord national interprofessionnel – ANI -, rédigé par les partenaires sociaux, circule pour sécuriser le dispositif. Son objectif est de contraindre juridiquement les employeurs à cotiser pour rendre obligatoire le maintien des garanties. Il est vrai que les situations sont très hétérogènes avec d’un côté des branches qui n’ont rien prévu et d’autres, comme celle des hôtels, cafés, restaurants ou encore celle du bâtiment et travaux publics où les couvertures sont maintenues gratuitement. Cet accord serait toutefois au point mort en raison de la réticence de certaines organisations patronales à imposer une telle obligation pour les entreprises, dont certains sont déjà en grande difficulté financière.
C’est la raison pour laquelle, le Conseil des ministres a adopté, aujourd’hui 7 mai 2020, un nouveau projet de loi comportant notamment des dispositions relatives à la protection sociale .Ce texte est inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, pour être examiné en séance publique à compter du jeudi 14 mai. Ce projet de loi devrait habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance toutes mesures utiles permettant notamment aux salariés placés en activité partielle de se constituer des droits à retraite dans les régimes obligatoires de base et de bénéficier d’un maintien des garanties de protection sociale complémentaire pendant toute la durée de l’activité partielle, indépendamment des dispositions conventionnelles et contractuelles prises en la matière dans le contexte actuel de crise sanitaire. A cette occasion, le régime fiscal et social de la part patronale des cotisations devrait être également précisé.
Le plus probable, à notre sens, est que le Gouvernement impose par ordonnance à l’ensemble des employeurs (voire aux assureurs) de maintenir la couverture complémentaire de leurs salariés aussi longtemps que durera la période d’activité partielle, ce qui n’était pas forcément son projet au départ, en prévoyant une date d’application rétroactive dès lors que les dispositifs d’activité partielle sont déjà en place. Une incertitude demeure néanmoins sur l’assiette qui sera retenue pour le calcul des cotisations y afférentes, (cotisations calculées sur la base du montant de l’indemnité d’activité partielle ou bien sur une assiette reconstituée égale au salaire précédant la mise au chômage partiel).
Jean-Charles Naimi, journaliste indépendant