Si Cyrus Conseil est l’un des leaders français du conseil en gestion de patrimoine, Score Patrimoine de son côté est une structure classique de taille plus modeste. Mais toutes deux ont cependant préservé leur activité et leur relation client, notamment grâce à une bonne préparation en amont du travail à distance. Et chacune voit l’avenir avec un certain optimisme malgré les difficultés qui s’annoncent. L’Assurance en Mouvement continue sa série des sociétés de gestion de patrimoine en temps de crise avec Judith Sébillotte-Legris, associé-gérant de Score Patrimoine, et Meyer Azogui, président de Cyrus Conseil.
L’Assurance en Mouvement : Comment-vous êtes-vous organisés depuis la mi-mars pour continuer à exercer votre activité ?
Judith Sébillotte-Legris : Nous n’avons pas la prétention de penser que nous avions anticipé cette crise sanitaire et ses conséquences économiques. Cependant, du fait de notre forte croissance enregistrée depuis deux-trois ans, nous avions mis en place divers process dans le cadre du plan de continuité et de la sécurité de nos données. Aussi, nous nous étions préparés à des méthodes telles que le télétravail et les communications à distance tant entre nous qu’avec nos clients.
Cela nous a permis dès le 13 mars, de nous mettre en télétravail chacun à son domicile. Seul notre spécialiste financier a continué à venir au bureau pour pouvoir bénéficier de tous les outils qui y sont disponibles.
Nous disposons d’un accès sécurisé à toutes nos bases de données et à tous nos dossiers clients à distance, ce qui nous a permis de poursuivre notre calendrier opérationnel notamment en matière d’édition des rapports trimestriels à fin mars, de communication régulière avec nos clients, d’alertes et autres événements planifiés, mais aussi des mises à jour réglementaires.
Nous avons également expérimenté les réunions d’équipe par visioconférences que nous avons privilégiées par rapport au téléphone pour maintenir un lien social plus fort. Nous avons également pu entretenir les contacts clients par conférences téléphoniques.
Enfin, nous avons pu accompagner nos clients dans leurs problématiques patrimoniales par un renforcement de la pédagogie. Par exemple, nous avons expliqué à l’un de nos plus fidèles clients toute une démarche dématérialisée incluant la signature électronique et mobilisant différents intervenants interprofessionnels.
Meyer Azogui : Nous sommes à 100 % en télétravail depuis la première semaine du confinement et cela fonctionne parfaitement sur le plan technique grâce aux investissements massifs que nous avons réalisés ces quatre dernières années dans notre système d’information – CRM personnalisé, application mobile pour nos clients, SharePoint, réseau social interne Yammer … ainsi que tous les moyens de conférences téléphoniques, skipe, fuze, ou Teams. Ces moyens techniques nous ont permis d’organiser déjà plus d’une dizaine de conférences clients sur les marchés et produits ainsi que des réunions quotidiennes, animées par les directeurs de départements, avec les collaborateurs. Nous fonctionnons en mode flexible dans nos bureaux depuis deux ans et demi et une partie des salariés était déjà en télétravail quelques jours par mois. Nos outils étaient par conséquent déjà adaptés depuis un moment. De ce fait, à ce jour aucun des 200 salariés de Cyrus n’a été mis en chômage partiel.
Quelles sont les principales préoccupations de vos clients et êtes-vous en phase avec ces inquiétudes ?
J S-L : Les client, pour la grande majorité d’entre eux, sont plus préoccupés dans cette crise par les problématiques en matière de santé, de sécurité sanitaire, de solidarité familiale et sociétale que par les seuls aspects financiers.
Parallèlement, notre conception des équilibres à préserver dans la gestion de patrimoine nous a toujours amenés à ne pas céder aux sirènes des stars éphémères et à privilégier le long terme. C’est la raison pour laquelle nous considérons par exemple, le fond en euros comme un élément déterminant dans la mise en place d’allocations personnalisées tout comme nous ne poussons pas nos clients vers des placements que nous ne choisirions pas pour nous-mêmes.
Les conséquences sur les placements de nos clients ont donc été largement amorties et ne dépassent guère les 10 % de pertes pour la plupart d’entre eux. Il nous a fallu bien évidemment les informer et proposer des solutions de rebond ou d’attente, voire de réinvestissement, en fonction de la personnalité et des capacités de chacun. Ainsi très rares sont ceux qui ont exprimé des inquiétudes fortes. Un seul a pensé au blocage des retraits ou rachats par les assureurs et il a été assez simple par beaucoup de pédagogie de le rassurer sur le sujet. Certains clients ont même bénéficié du rebond des marchés grâce aux arbitrages et propositions de réinvestissement que nous leur avons proposés.
Mais nous n’avons fait là que notre métier : informer, rassurer, accompagner…
M A : Nos première constatations font ressortir des réactions très matures de la part de nos clients avec quasiment aucun affolement. En effet, les préoccupations sont d’abord sanitaires. Au-delà, ils commencent à être habitués à cette volatilité depuis quelques années. Et puis, nos expositions aux marchés actions étaient très défensives depuis plusieurs mois avec des performances remarquables d’Invest AM, la société de gestion de Cyrus. Dans ce contexte pour nos fonds et nos gestions déléguées les performances sont très honorables en limitant en moyenne à un tiers la baisse du marché actions selon les profils. Par exemple, Invest Latitude patrimoine enregistre une performance positive de 2.3 % depuis le début de l’année arrêté au 27 avril.
A ce stade, il n’y a pas d’inquiétude sur les blocages mais une prise de conscience massive de la baisse des rendements des fonds en euros et du durcissement de leur accessibilité.
En ce qui concerne l’augmentation des impôts, on la sait inéluctable dans les prochains mois mais elle n’est pas encore la préoccupation de nos clients.
Comment voyez-vous à ce stade l’avenir des différents marchés et solutions ?
J S-L : La question est intéressante, mais nous n’avons aucune capacité à lire dans les boules de cristal. En revanche, ce dont nous sommes certains, c’est que contrairement à ce que nous avons pu connaître lors de certaines crises précédentes, les actions des gouvernements et des banques centrales ont été à la hauteur de l’urgence et des attentes de nos concitoyens et donc de nos clients. La mobilisation auprès des entreprises et des salariés a été sans précédent et nous semble de bon augure pour une reprise future.
Les marchés ont acquis une réelle capacité à jauger et anticiper les événements. A titre d’exemple, la crise que nous connaissons est bien plus profonde que celle de 2008 et pourtant, les marchés n’ont pas « dévissé » dans les mêmes proportions. Certes, nous ne sommes pas à l’abri d’un second coup de semonce après le déconfinement et le probable deuxième épisode de pandémie. Mais les marchés l’ont déjà intégré et anticipé, tant sur le plan financier qu’immobilier.
En revanche, il faudra être vigilant sur la reprise économique et sociale qui risque d’être plus lente et longue que nous pouvons l’imaginer.
Nous croyons également que la protection sociale au sens large, qui prend en compte la dimension humaine du patrimoine, la famille, la santé, et la prévoyance, va prendre une place bien plus importante dans l’approche de family office et de gestion de patrimoine. Nous l’avions anticipé depuis 18 mois déjà avec l’arrivée d’une spécialiste dans notre cabinet.
M A : Nous avons toujours adopté une approche patrimoniale avant de proposer des choix de produits qui nous amènent systématiquement à diversifier nos classes d’actifs et nos sous classes d’actifs, en veillant à la décorrélation entre elles. Actuellement nous avons beaucoup de liquidités dans nos allocations.
Notre sentiment de marché sur les actions nous amène encore dans une phase de sous pondération importante avec quelques positions tactiques (sur des actifs qui ont beaucoup soufferts par exemple) et avec une préférence pour le marché américain.
Pour le non coté, nous regardons de près certains fonds de dettes qui devraient offrir des opportunités avec des rendements très intéressants pour les années à venir.
Quant à l’immobilier, c’est une classe très large : bureaux, commerces, hôtels, biens médicaux- dont certains secteurs et gérants se sortiront mieux que d’autres.
Notre filiale immobilière Eternam est donc encore plus sélective et a déjà identifié quelques actifs qui feront l’objet d’acquisitions dans les prochaines semaines notamment au travers de certains de nos FPCI.
Pensez-vous que les outils de conseil, de suivi et de vente à distance vont prendre une place plus importante à l’avenir dans votre métier ?
J S-L : S’il est une certitude, c’est que le monde de demain ne pourra en aucun cas ressembler à celui d’hier. Toute la dimension sociale va s’en trouver profondément modifiée. Toutes les relations sociétales vont être bouleversées. Nous allons devoir apprendre à vivre dans un contexte d’échanges plus protégés, dans une distanciation sociale imposée. Le discours du premier ministre le 28 avril en est le signe le plus fort qui nous invite à maintenir le télétravail au moins jusqu’à la fin du mois de juillet voire la fin de l’été.
Nous allons donc devoir intégrer les outils de conseil, de suivi et d’accompagnement à distance dans nos process. Nous allons devoir apprendre à pratiquer la visioconférence ou les échanges à distance avec nos clients comme avec nos partenaires et nos fournisseurs.
Par ailleurs, l’image du confident patrimonial que nous devons être à l’égard de nos clients, va se trouver renforcée, car demain nous allons devoir intégrer toute la dimension de protection du patrimoine humain qui s’est trouvée heurtée dans la période que nous avons traversée.
M A : C’est une évidence ! notamment pour toutes les opérations courantes et à faible valeur ajoutée. Nos solutions de signatures électroniques ont fait un pas de géant en quelques semaines et je tiens à remercier ceux de nos partenaires qui ont été très réactifs et agiles, ça n’est malheureusement pas le cas de tous.
Pour autant le contact humain pour les décisions plus stratégiques de nos clients devront toujours se faire, le plus possible, en rendez-vous physiques.
Parallèlement, nous sommes en train de réfléchir à l’expérience client qui est à réinventer dans ce contexte, aussi bien dans la forme de la relation qu’en ce qui concerne les sous-jacents d’investissements, notamment la proportion des placements donnant du sens par rapport aux aspirations de nos clients/ investisseurs.
Vous projetez-vous pour la fin de l’année ou pour 2021 sur votre activité ? Si oui quelles seront les évolutions, transformations éventuelles liées au contexte de crise sanitaire et probablement financière et économique ?
J S-L : Nous allons renforcer encore davantage les notions de service et d’accompagnement de nos clients dans toutes les étapes de leur cycle de vie patrimoniale. Nous avons ainsi profité de la période récente pour mettre à jour toutes nos bases de données, revoir nos modes d’organisation et de communication, anticiper le planning de services pour les mois à venir, car n’oublions pas que nous entrons notamment en pleine période fiscale, et renforcer nos expertises.
Nous allons ainsi nous doter d’une compétence complémentaire dans les semaines à venir par le recrutement d’une personne en charge du back-office et de la dimension administrative de notre cabinet. C’est vous dire à quel point nous sommes confiants dans l’avenir. Nous pensons qu’il y aura des opportunités.
M A : Cyrus a la conviction que, pour de nombreuses raisons, cette crise va renforcer la part de marché des CGP entrepreneurs pour les années à venir. Cependant, en termes d’évolution de chiffre d’affaires, 2020 devrait être en retrait par rapport à 2019 qui pour beaucoup d’acteurs a été une année historique. Par ailleurs, nous continuons de croire à la nécessité d’un regroupement capitalistique d’acteurs de tailles moyennes autour d’une marque forte commune avec des moyens humains et technologiques importants.
Quelles seront les valeurs que vous allez mettre en avant demain ?
J S-L : Nous allons poursuivre notre métier dans le même esprit que celui qui nous anime depuis la création du cabinet, il y a 13 ans. Nous sommes confortés dans nos valeurs qui reposent sur trois mots clés : anticiper, conseiller et accompagner. Nous entretenons avec nos clients une relation qui dépasse largement le cadre classique de la gestion de patrimoine et des placements financiers. Mon passé d’avocate et mes aspirations et valeurs personnelles m’ont toujours conduite à placer l’exercice de mon activité professionnelle sur un plan bien plus large.
M A : Nous conservons celles que nous développons depuis plus de 30 ans au travers de notre modèle intrapreneuriale de partage de la création de valeur avec les collaborateurs : confiance, excellence et épanouissement pour rester une entreprise où il fait bon vivre et qui est en adéquation avec le nouveau rôle sociétal et environnemental qui incombe à chaque société.
Jean-Charles Naimi, journaliste indépendant