En France, on estime autour de 1,5 million le nombre de personnes en situation de handicap moteur, dont environ un million sont utilisatrices d’un fauteuil roulant. Pourtant, malgré les avancées technologiques, aucun dispositif ne permet encore de combiner la liberté du mouvement vertical à la praticité du déplacement en fauteuil roulant… jusqu’à aujourd’hui.
Hexowheel, lauréat du Handitech Trophy 2024 propose une véritable innovation : le tout premier hybride fauteuil/exosquelette. Ce robot d’assistance à la mobilité permet de se lever, s’asseoir, marcher, courir et même de monter des escaliers avec une autonomie proche de celle d’une personne valide.
Pensé pour les usages quotidiens, aussi bien en ville qu’à domicile ou en entreprise, Hexowheel ambitionne de transformer la mobilité des personnes en situation de handicap moteur.
Nous avons échangé avec Rodolphe Linon, ingénieur et PDG/co-fondateur de Hexowheel, pour revenir sur cette innovation à fort impact.
Comment est née l’idée d’Hexowheel ?
En 2015, je suis parti travailler durant plusieurs mois dans un laboratoire de robotique nommé IHMC (Institute of Human and Machine Cognition), aux Etats-Unis, en Floride. L’objectif était de motoriser les chevilles d’un exosquelette de la NASA (nommé Mina), à l’origine destiné aux astronautes.
De retour sur terre, mon travail dans ce laboratoire consistait à permettre la marche de personnes en situation de handicap moteur grâce à l’ajout sur Mina de plateaux repose-pieds et de chevilles motorisées. Le résultat fut…médiocre, pour plusieurs raisons : marche difficile, pas d’autonomie, équilibre précaire…
Le bilan des utilisateurs était mitigé sur l’appareil pour des raisons propres à chacun selon leur pathologie, mais ils étaient unanimes sur une chose : aucun d’entre eux n’aurait abandonné son fauteuil même si on leur avait offert l’exosquelette !
En rentrant en France, je me suis rapproché de l’hôpital de Garches. Avec une équipe de médecins et de kinés, et l’aide du CEREMH, nous avons créé des focus groupes de personnes en fauteuil roulant, en leur demandant les fonctionnalités dont ils avaient besoin au quotidien. Cela nous a permis d’élaborer le cahier des charges d’Hexowheel. Cette méthode, consistant à demander à chaque étape l’opinion de personnes concernés, nous a permis d’éviter l’erreur classique du magnifique outil d’ingénieur pensé et créé par une personne valide qui fantasme le handicap et ses problématiques. Leurs avis sur les exosquelettes étaient différents mais la conclusion était la même qu’en Floride.
Fort de ces conclusions, j’ai donc travaillé chez moi à la symbiose des 2 technologies durant plusieurs mois. Lorsqu’il m’a semblé avoir obtenu un appareil satisfaisant aux demandes et aux contraintes de chacun et mécaniquement viable, j’ai déposé une demande de brevet en France, qui a été validé, puis l’ai étendu en Europe et enfin à d’autres pays que je pensais concernés par le sujet. Hexowheel était né !
En quoi Hexowheel se distingue-t-il des fauteuils roulants ou des exosquelettes existants ?
Hexowheel se distingue des fauteuils roulants par une fonctionnalité supplémentaire : le déplacement bipède (marche) sécurisé par les bras articulés finissant par une roue assurant le maintien de l’équilibre de l’utilisateur. Dans une société créée par et pour l’Homme valide, ce déplacement est nécessaire pour affronter les obstacles d’un environnement urbain (trottoirs, marches, escaliers). Cette fonctionnalité permettra la rééducation mais également l’insertion sociale et professionnelle. Je rappelle qu’à ce jour, 50% des ERP (Etablissements Recevant du Public) en France sont toujours inaccessibles au fauteuil roulant !
Par ailleurs, Hexowheel se distingue également des exosquelettes par :
- Une vitesse de déplacement élevé : l’utilisateur peut marcher jusqu’à 5km/h avec Hexowheel, les roues assurant son équilibre.
- Un confort non négligeable : il n’est pas envisageable de passer une journée, membres attachés dans un exosquelette (cela peut causer des problèmes de circulations sanguines). Hexowheel permet de revenir en position assise et confortable, libre de toute attache.
- Une économie de batterie colossale.
- Une démarche plus anthropomorphique car l’équilibre est assuré par les bras articulés avec roues.
Le coût d’Hexowheel (environ 40 000 €) est comparable à celui d’un fauteuil roulant haut de gamme, bien inférieur aux exosquelettes actuels (entre 80 000 € et 300 000 €), et il sera remboursé à 100 %. Comment avez-vous rendu cela possible ?
L’association des 2 technologies (fauteuil et exosquelette) simplifie la mécanique de l’exosquelette car il n’a pas à assurer son propre équilibre (ce qui implique des pièces miniatures intégrées, fabriquées par injection dans des moules très onéreux). Nous avons utilisé uniquement des composants présents « sur étagères » sans avoir à créer ces moules. Cette démarche de construction nous a permis de fabriquer ou commander nos pièces et d’assembler le prototype nous-même réduisant ainsi les coûts. Il s’agit cependant d’une version de base qui ne prend pas en compte les pathologies particulières, qui nécessiteront des options adaptées à ajouter au fauteuil.
Hexowheel souhaite redonner une mobilité comparable à celle d’un individu valide aux personnes en situation de handicap moteur. Selon vous, qu’est-ce que cela change concrètement dans leur inclusion sociale et professionnelle ?
La mobilité est le premier facteur d’inclusion sociale et professionnelle pour les personnes en situation de handicap.
Dans les 50% d’ERP, il y a bien sûr des organismes publics accueillant des salariés qui ne sont toujours pas adaptés à des utilisateurs de fauteuils roulants, mais également des entreprises privées. Il est plus simple de tourner la tête et d’embaucher une personne valide plutôt que d’essayer de se confronter au problème et de le résoudre. A leur décharge, les investissements à réaliser seraient parfois inenvisageables pour des TPE ou PME…
S’ajoute à cela, les préjugés. Une personne en fauteuil roulant sera-t-elle aussi compétente qu’une personne valide ? Cette croyance vient probablement du fait que vous n’en côtoyez pas ; ce qui ne vous permet pas de réaliser qu’elles sont tout aussi compétentes que les personnes ayant des jambes fonctionnelles.
Hexowheel pourra résoudre ces problématiques d’accessibilités, en évitant des centaines de millions de travaux pour mettre tous les établissements aux normes. Pour le métro (qu’Hexowheel compte bien conquérir), cela se compte en milliards ! Mais aussi, la frustration, évoquée par les utilisateurs, de s’adresser aux gens, assis dans un fauteuil, de ne pas pouvoir les regarder à hauteur d’homme.
Enfin, en quoi cette innovation peut-elle faire évoluer le regard sur le handicap ?
Au-delà de l’accessibilité, Hexowheel va permettre aux utilisateurs de reconquérir l’espace public de façon global et, ainsi, d’être visibles dans l’environnement quotidien des valides. Cette visibilité est essentielle pour que chacun pense à la problématique de l’accessibilité et s’en saisisse à son niveau. Les JO nous l’ont prouvé. Les différents handicaps rendus visibles ont permis aux gens de comprendre, d’intégrer, d’accepter voire d’admirer ce qui avait tendance à les effrayer, faute de connaissances sur le sujet. Un Brésilien sans bras ni jambes qui remporte une compétition de natation ! Qui l’eut crû avant de le voir ! Cela nous prouve les capacités parfois exceptionnelles possibles et donc diminue notre frein à les embaucher ou à les côtoyer.
Posez-vous la question : avez-vous un ami ou une connaissance en fauteuil roulant ? Non et pourtant vous n’avez pas particulièrement de préjugés. C’est simplement qu’ils ne fréquentent pas les mêmes endroits que vous. Savoir s’il y aura des marches, un ascenseur, une rampe, un obstacle quelconque, un transport pour vous y rendre, vous dissuade d’aller dans des endroits que vous ne connaissez pas lorsque vous êtes en fauteuil roulant. Cette angoisse peut rendre votre monde tout petit. C’est cet horizon infini, cette liberté qu’Hexowheel souhaite rendre ou apporter à ses usagers.
