Tribune par Nicolas Thevenet, Directeur Assurances, EMEA, chez Earnix.
Devant l’augmentation des risques climatiques, les assureurs augmentent fortement leurs tarifs ou refusent d’assurer certains clients, telles que les collectivités locales. Grâce à l’IA, qui propose une approche plus pointue de la tarification des polices, par une meilleure évaluation des risques, les assureurs pourraient concevoir des contrats plus personnalisés et maintenir ainsi l’assurabilité dans les zones à plus haut risque.
En octobre 2024, Valence en Espagne a été victime des pires inondations de son histoire. Outre les pertes humaines, les infrastructures de la région ont été gravement touchées. Selon certains rapports, jusqu’à 100 000 voitures ont été détruites pendant les inondations.
La France elle-même n’est pas à l’abri des phénomènes météorologiques extrêmes et notamment fin 2024. L’Ardèche par exemple, a vu tomber environ 700 millimètres d’eau en 48 heures, soit l’équivalent d’une année de précipitations à Paris. Des voitures, des panneaux de signalisation et du bétail ont été emportés par les inondations.
Bien entendu, les inondations ne sont pas le seul problème lié au climat. En 2022, par exemple, 22 départements ont connu 10 fois plus de terres brûlées que la moyenne à la suite des incendies de forêt de cette année-là. En 2023, le glissement de terrain le plus important depuis 45 ans s’est produit à Saint-André à La Praz. Le principal poste frontière ferroviaire entre l’Italie et la France reste donc fermé.
Les risques climatiques, des coûts peu à peu hors de contrôle
Ces événements et d’autres similaires illustrent la rapidité avec laquelle notre climat change, et les conséquences de ce changement vont bien au-delà de l’élévation des températures. L’augmentation de la fréquence des catastrophes météorologiques s’accompagne d’une augmentation des risques pour les installations, la production agricole et la productivité du travail, ce qui peut entraîner de graves pertes économiques.
Du point de vue des assureurs, les coûts du changement climatique commencent à échapper à tout contrôle. Selon la fédération France Assureurs, par exemple, les sinistres liés au climat ont coûté aux assureurs français 6,5 milliards d’euros en 2023, ce qui en fait la troisième année la plus coûteuse pour le secteur depuis 1999. De même, la compagnie d’assurance des collectivités locales SMACL a déclaré que le coût des sinistres « a quadruplé entre 2021 et 2022 ».
Le risque assurantiel est tout simplement trop important pour les assureurs et certains d’entre eux choisissent d’augmenter drastiquement leurs prix ou de retirer leur couverture aux zones qu’ils jugent trop risquées. La commune de Vitry-en-Artois (Pas-de-Calais, Hauts-de-France), par exemple, a reçu au cours de l’été 2024 une lettre de résiliation de son contrat d’assurance responsabilité civile et flotte automobile au motif d’un « risque climatique accru. »
Des augmentations de prix importantes ou le retrait à long terme de couverture d’assurance sont clairement des conséquences indésirables. La perte de couverture laisse les communautés économiquement vulnérables, avec des coûts plus élevés, des biens immobiliers de moindre valeur et des options de réhabilitation limitées après les catastrophes climatiques. Elle renforce les inégalités sociales, pèse sur les ressources publiques et entrave la résilience à long terme et l’investissement dans les zones à haut risque.
Vers une meilleure compréhension et évaluation des risques
Pour éviter ces situations de perte de couverture – causées par le manque de concurrence actuel sur le marché des collectivités locales (de nombreux assureurs s’étant retirés suite à une sous-tarification des polices en 2010) – il s’agirait de façon plus générale, de donner aux assureurs les outils nécessaires pour différencier les risques assurables des risques non assurables, ce dont ils ne disposent pas toujours.
En conséquence, ils procèdent à des exclusions trop larges qui ne tiennent pas compte des nuances spécifiques des profils de risque. Ces exclusions générales dans de nombreuses zones géographiques sont à la fois inefficaces et contre-productives. Elles limitent la concurrence ainsi que le choix des consommateurs et ne permettent pas d’utiliser pleinement le potentiel du marché de l’assurance pour améliorer la sécurité de la société.
Les assureurs devraient chercher à comprendre et évaluer plus précisément le risque. L’accès à des données précises et de qualité est essentiel à cet égard, et plus l’ensemble de données est riche, mieux c’est. Munis d’informations détaillées, les assureurs peuvent comprendre, à partir d’événements passés, quels biens ou infrastructures étaient mieux protégés, ou quels lieux étaient plus résistants en raison d’une topologie favorable. Les données concernant, par exemple, le nombre de fenêtres d’une propriété, sa hauteur et sa largeur, ainsi que les matériaux utilisés pour sa construction, sont utiles.
Les modèles d’auto-apprentissage de l’IA constituent la deuxième pièce du puzzle. En recourant à cette technologie, les assureurs peuvent analyser les grands ensembles de données, qui incluent les modèles climatiques, les facteurs environnementaux et les dossiers de sinistres historiques. Cette analyse peut fournir des indications sur des domaines de risque spécifiques qui pourraient autrement passer inaperçus. En outre, l’IA peut utiliser des données synthétiques pour modéliser les risques émergents qui n’ont pas de précédents historiques, ce qui permet aux assureurs de créer des solutions sur mesure pour les nouveaux scénarios, plutôt que des exclusions générales.
L’IA permet une approche plus pointue de la souscription de polices, allant au-delà des exclusions générales afin de se tourner vers des segments de marché spécifiques. Cela permet aux assureurs d’identifier les « bons » risques, même dans des environnements difficiles, en utilisant des informations détaillées pour équilibrer la courbe des pertes et maintenir l’assurabilité dans les zones à plus haut risque. En caractérisant plus finement les risques, les assureurs peuvent concevoir des contrats plus adaptés qui répondent aux besoins de groupes démographiques particuliers, tout en maintenant un profil de risque durable.
C’est le moment de s’adapter
Les compagnies d’assurance qui avancent à grands pas dans ce sens se positionnent comme des leaders technologiques. Cependant, à mesure que le secteur évolue, ces capacités technologiques deviennent essentielles plus qu’optionnelles – et sont une condition sine qua non pour rester compétitif. Les assureurs qui n’ont pas la capacité de fonctionner en s’appuyant sur des données, de manière agile et réactive, auront inévitablement du mal à égaler la compétitivité et la rentabilité de leurs homologues plus avancés.