Des salariés qui ne se limitent qu’au strict minimum, qui s’en tiennent qu’aux tâches inscrites dans la fiche de poste ou qui n’assurent que les obligations formelles : ces démissions discrètes interpellent les entreprises en quête de réponses managériales.
Le concept de « quiet quitting » – que l’on traduit parfois par « démission silencieuse » – est apparu aux États-Unis et a trouvé un écho grandissant en Europe à la suite de la crise sanitaire. Il se caractérise par l’adoption d’une attitude de retrait face au travail : l’employé ne fait que le strict minimum, refuse les tâches non comprises dans sa fiche de poste et limite sa présence aux obligations formelles. À la question de savoir si ce phénomène a marqué le pas en 2024, de récentes données apportent un éclairage nuancé.
Des chiffres qui interpellent
Selon l’édition 2024 du rapport « State of the Global Workplace » réalisé par Gallup, environ 62 % des salariés dans le monde se disent « désengagés » et 15 % « extrêmement désengagés ». En Europe, ces chiffres s’élèvent respectivement à 72 % et 16 %. Si l’ampleur du désengagement reste élevée, la notion de quiet quitting en est souvent la manifestation visible : baisse de l’implication, faible participation aux activités d’équipe et, parfois, absentéisme plus fréquent.
Cette situation n’est pas sans conséquence. D’après le même rapport, la perte de productivité associée à ce désengagement se chiffrerait à près de 8 900 milliards de dollars par an au niveau mondial. En filigrane, la question du bien-être des collaborateurs s’impose. En effet, le rapport souligne que quatre actifs sur dix ont été en proie à un stress intense sur la période récente, tandis qu’un travailleur sur cinq rapporte une profonde solitude, une colère ou une tristesse vive dans les derniers jours. Les moins de 35 ans semblent particulièrement exposés à ces risques de mal-être.
Les racines du désengagement
Le désengagement n’est pas seulement le fruit d’un manque d’enthousiasme passager : il traduit plus largement la quête d’un nouvel équilibre entre vie professionnelle et personnelle. La reconfiguration du travail à l’issue de la pandémie (télétravail, travail hybride) a redéfini les contours des journées : horaires, frontières plus floues entre espaces privé et professionnel, et sentiment parfois accru d’isolement.
Les tensions financières liées à l’inflation peuvent également renforcer ce phénomène : nombre d’employés jugent que leur rémunération n’évolue pas en adéquation avec la hausse du coût de la vie, ce qui peut les inciter à réduire leur investissement. L’éventuelle « démission silencieuse » offre alors un moyen de se protéger contre une surcharge de travail ou un manque de reconnaissance qui affecte la motivation.
Les conséquences pour les équipes et les salariés
Le quiet quitting peut se révéler coûteux, tant pour l’organisation que pour l’employé. Sur le plan collectif, il nuit à la performance de l’équipe, freine l’innovation et peut engendrer une atmosphère pesante où la démotivation devient contagieuse. Au fil du temps, cela mine l’image de l’entreprise en matière de marque employeur et complique l’embauche de nouveaux talents.
Pour le salarié, un engagement minimal diminue ses chances de progresser professionnellement, voire le place dans une spirale d’insatisfaction. S’en tenir au minimum peut soulager à court terme, mais à plus long terme, il est possible de ressentir de la frustration et de l’isolement, sans perspective concrète d’évolution.
Le rôle central du management
Si la question du quiet quitting invite à une réflexion sur le climat de travail, elle met tout particulièrement en lumière le rôle des managers. D’après le rapport Gallup, la qualité du management aurait, en effet, bien plus d’incidence sur l’engagement au travail et le bien-être des collaborateurs que le contexte économique. Or, seul un tiers des managers se définit comme « engagé » dans ses fonctions. Difficile d’inspirer et dynamiser des équipes, quand eux-mêmes ne se sentent pas pleinement investis.
Lorsque les managers sont plus mobilisés, la situation globale s’améliore. Le document précise : « Les pays qui affichent la part la plus élevée de managers engagés au travail sont également ceux où le nombre total d’employés engagés est le plus important […]. Pour améliorer la santé mentale des collaborateurs, il faut donc commencer par améliorer celle des managers. »
Quiet quitting : comment le détecter ?
Les signaux avant-coureurs du quiet quitting restent souvent discrets. Un changement de comportement soudain, une participation limitée aux réunions, une réticence à fournir des efforts au-delà de la simple description de poste : autant d’indicateurs qui suggèrent qu’un salarié s’éloigne progressivement de l’équipe.
Il s’agit d’agir en amont : écoute, dialogue, identification des sources de stress et ajustements personnalisés. Un manager vigilant peut observer, par exemple, si une personne s’isole ou exprime de manière détournée un mal-être lié à la surcharge ou à l’absence de perspectives d’évolution.
Agir tôt pour prévenir
Un entretien individuel constitue souvent la première étape lorsqu’un manager repère un changement d’attitude dans son équipe. L’objectif n’est pas de réprimander, mais d’échanger, de comprendre les difficultés et de déterminer des solutions réalistes (ajustement de la charge de travail, recherche de missions différentes, nouvelles formations, etc.).
En plus d’une écoute attentive, une proposition de solution représente la meilleure approche pour réengager votre collaborateur. En effet, chaque situation doit être appréhendée au cas par cas : un environnement de travail positif et une réelle prise en compte des ressentis peuvent aider à enrayer la baisse de motivation.
Le levier de l’implication
Certaines entreprises parviennent à maintenir un niveau d’engagement élevé. Gallup a étudié le fonctionnement d’organisations où trois quarts des managers et sept employés sur dix se disent « engagés ». Les enseignements sont les suivants :
- Un recrutement et un plan de formation qui positionnent les managers en véritables « coach ».
- Une stratégie globale qui met l’engagement et le bien-être des collaborateurs au cœur de toutes les étapes de la vie d’un employé dans l’entreprise : attraction, recrutement, onboarding, évolution de carrière.
- Des initiatives ciblées sur le bien-être des collaborateurs.
Le quiet quitting traduit un besoin de cohérence et de sens dans le quotidien professionnel. Les chiffres de Gallup rappellent l’ampleur du défi : un fort taux de désengagement, une santé mentale fragilisée et des pratiques managériales en question. Mais des leviers existent, comme le souligne le rapport en évoquant la stratégie qui place l’engagement et le bien-être des collaborateurs au cœur de toutes les étapes.