Si les innovations préventives ouvrent de nouvelles voies, leur adoption soulève des questions économiques, éthiques et sociales pour l’avenir de la santé.
La France, bien classée parmi les pays au meilleur classement d’espérance de vie après 65 ans, reste cependant confrontée à une problématique majeure : l’espérance de vie en bonne santé reste bien inférieure, en raison, notamment, de son modèle de soins centré sur le curatif. Face à cette réalité, l’essor de la prévention algorithmique, alimentée par l’intelligence artificielle, pourrait bien redéfinir les priorités du système de santé, en agissant en amont pour détecter et prévenir les risques avant qu’ils ne deviennent des maladies chroniques, en sachant que plus d’un tiers des assurés (36%) sont concernés par ces dépenses.
La prévention algorithmique pour un changement de paradigme
L’un des domaines où l’IA se distingue particulièrement est le dépistage des pathologies à un stade précoce. Le programme Interception du centre Gustave-Roussy, par exemple, identifie les personnes présentant un risque accru de cancer en fonction de critères tels que les antécédents familiaux ou l’exposition à des substances toxiques.
Autre innovation, le logiciel Face2Gene analyse des photos de visages pour repérer des signes de maladies génétiques rares, souvent difficiles à diagnostiquer. En parallèle, des initiatives comme Icope, portée par l’Organisation mondiale de la santé, misent sur des plateformes et un suivi individuel numériques pour évaluer les fragilités des personnes âgées, qui peuvent déboucher sur un plan de soins personnalisé. Ces innovations marquent un tournant majeur dans le secteur de la santé et montrent que la combinaison de technologies et de suivi précoce transforme ainsi un modèle médical réactif en un modèle proactif.
Des défis éthiques et organisationnels
Ces innovations, bien qu’impressionnantes, posent des questions fondamentales. Sur le plan éthique, d’abord : que faire lorsqu’un algorithme identifie un risque de maladie sans qu’il n’existe de solution curative ? Les réponses varient selon les individus, mais la communication au patient reste cruciale, tout comme le respect de son choix de connaître – ou non – les diagnostics.
Ensuite, se pose la question des inégalités d’accès. En France, où par exemple le dépistage du cancer du sein atteint à peine 50 %, les technologies basées sur l’IA risquent d’aggraver les fractures numériques et sociales, notamment pour les populations vulnérables alors qu’elles sont les plus vulnérables à l’apparition de pathologies.
Enfin, l’intégration de ces outils bouleverse les pratiques médicales. Si l’IA promet de soulager les soignants en analysant de vastes ensembles de données, elle nécessite des formations spécifiques et impose une clarification des responsabilités juridiques.
Complémentarité et prudence
Les experts s’accordent à dire que la prévention algorithmique doit être complémentaire des campagnes classiques. Le défi réside aussi dans la manière dont le message de prévention est délivré, afin de lever des barrières d’appréhension et de confiance dans la technologie. Cela implique d’investir dans les sciences comportementales pour mieux comprendre les facteurs qui motivent l’adhésion des individus aux stratégies de prévention.
Et si désormais, les outils numériques permettent d’élaborer des stratégies préventives individualisées, ils sont fondés sur une analyse fine de données de santé dont la disponibilité doit être fiable et diversifiée. Or la mise à l’échelle reste un défi. Selon l’OMS, les systèmes de santé numériques ne sont pas encore pleinement interopérables pour soutenir des initiatives de prévention ciblées.
Cependant, investir massivement dans ces innovations implique un pari à long terme, avec des résultats souvent visibles à une échelle de dix ou vingt ans. Avec ses promesses et ses limites, la prévention algorithmique apparaît comme une révolution en devenir, mais ’évolution vers une santé de plus en plus personnalisée soulève un enjeu majeur : comment concilier des soins sur mesure avec le principe de solidarité qui sous-tend les systèmes des mutuelles ?