L’assurance et les Français à l’ère de l’IA ?

Dans un contexte de bouleversements économiques, climatiques et technologiques, une récente étude* révèle que les Français montrent une relative familiarité avec l’intelligence artificielle dans le secteur de l’assurance.

Bien que 41 % des assurés se disent favorables à l’utilisation de l’IA, notamment pour l’aide à la documentation, leur prudence reste notable, surtout en ce qui concerne la tarification des polices. Les professionnels de l’assurance partagent cette prudence, voyant en l’IA un potentiel à exploiter de manière éthique et transparente.

Par ailleurs, cette étude souligne l’attractivité croissante du secteur pour les jeunes, ainsi qu’un intérêt accru pour une assurance préventive, indiquant de nouvelles perspectives pour les acteurs du marché. Nous avons échangé Patrick Soulignac – Solution Consultant Manager – Guidewire.

Dans un contexte de multiples transformations du secteur de l’assurance, d’évolution du comportement des Français en matière d’assurance dans un contexte d’incertitude globale entraînée par les récents bouleversements économiques, climatiques, technologiques et géopolitiques, vous avez publié récemment une étude* sur les habitudes, les pratiques et la perception des Français à l’égard de l’assurance en 2024. Vous avez focusé sur l’usage des nouvelles technologies. Quels sont les principaux enseignements ?

Ce qui nous a d’abord surpris, c’est la relative familiarité, voire l’acceptation de l’Intelligence Artificielle par les assurés, ainsi que par le grand public. Un nombre important de personnes utilise régulièrement des outils d’IA. En effet, 41 % des répondants sont d’accord pour que les assureurs utilisent l’IA, ce qui est extrêmement positif, surtout en considérant la tendance des assurés à être très protecteurs de leurs données. Cependant, il existe une certaine réticence concernant d’autres aspects de l’utilisation de l’IA, notamment pour la tarification, où seulement 30 % des sondés sont favorables à l’utilisation de l’IA.

Vous disiez que l’objectif de cette enquête était d’avoir une meilleure connaissance du marché de l’IARD vu par le prisme des Français. Qu’est-ce qui vous a motivé à avoir le point de vue des Français ?

On parle beaucoup aux professionnels de l’IARD, mais l’intérêt pour nous était de comprendre quelles sont les tendances et parmi ces tendances, quelles sont celles qui peuvent intéresser nos clients sous un angle technologique.

Revenons sur l’usage de l’intelligence artificielle, comment les Français voient-ils l’utilisation de l’IA avec leurs assureurs ?

Au cours de l’année qui vient de s’écouler, l’avènement de l’IA et de l’IA générative a été un facteur de bouleversement pour l’ensemble des secteurs et son adoption par les entreprises et les particuliers n’a fait que s’accélérer. Selon l’étude de Guidewire, 60 % des assurés français interrogés déclarent avoir déjà utilisé un outil d’IA dans leur vie de tous les jours – une proportion légèrement inférieure aux résultats de l’Allemagne (71 %) ou de l’Espagne (65 %), mais bien supérieure à ceux du Royaume-Uni (45 %).

Si ces nouvelles technologies ouvrent indéniablement de nouvelles opportunités pour les acteurs du secteur assurantiel, elles ne sont pas exemptes de risques et peuvent susciter une certaine méfiance chez les clients finaux, en attendant l’application effective de l’AI Act, récemment voté par les Etats membres de l’Union Européenne, et dont les règles et restrictions viendront encadrer l’utilisation de l’IA. Ainsi, si près d’un tiers des personnes interrogées considèrent que rien ne saurait renforcer leur confiance dans cette technologie, l’idée de l’adoption des outils d’IA par les assureurs semble susciter des réactions positives chez les assurés français, même si ceux-ci restent circonspects :

41 % des répondants français se disent à l’aise avec l’idée que l’IA puisse les aider à remplir la documentation et à compléter leur demande d’assurance ou qu’elle assiste leurs interlocuteurs humains pour répondre à leurs questions, tandis que seuls 36 % y sont opposés.

  • 30 % des assurés français approuvent une utilisation de l’IA sans intervention humaine pour fixer le tarif des polices ou traiter et évaluer le montant des sinistres, tandis que 48 % sont réfractaires à cette idée.
  • 37 % des sondés seraient rassurés par la possibilité de s’adresser à un interlocuteur humain en cas de désaccord avec les décisions prises par l’IA
  • 21 % d’entre eux auraient davantage confiance dans la technologie si les décisions d’IA étaient expliquées ou si son usage était régulé par un organe indépendant.

Paradoxalement, près de deux personnes sur cinq (38 %) déclarent comprendre l’intérêt de la collecte de données à l’aide de capteurs, mais préfèrent que celles-ci ne soient pas collectées. Il est toutefois positif de constater que cette défiance est en recul de 5 points par rapport à 2023, tandis que la proportion de sondés qui considèrent qu’il s’agit d’une bonne chose (36 %) augmente de 4 points par rapport à l’année précédente. Cela semble augurer d’un avenir tourné vers davantage de données collectées au profit des produits et services de l’assurance.

Ainsi, l’acceptation des nouvelles technologies par les assurés nécessite que les assureurs fassent preuve de transparence, de responsabilité et qu’ils communiquent davantage sur les raisons qui les poussent à exploiter ces technologies, sur l’utilisation qui en est faite et sur les bénéfices que celles-ci pourraient apporter aux assurés.

Est-ce qu’on peut faire un petit parallèle avec la vision des professionnels de l’assurance que vous côtoyez au quotidien ?

Je dirais que nous sommes au début, notamment sur les IA génératives. La relative prudence des assurés est aussi celle des assureurs. Les professionnels, que ce soit des directions métiers ou informatiques, pensent souvent que l’IA a un énorme potentiel, mais qu’il faut bien l’utiliser. Notamment en étant très attentif aux aspects d’éthique, de transparence ou de fiabilité. Je trouve cela rassurant que les professionnels ne soient pas dans une espèce d’adoption aveugle, mais plutôt dans une démarche prudente et respectueuse.

L’IA a commencé à être développée sur des fonctions back-office, plutôt que directement sur de la relation client. Avant que l’IA réponde directement à un assuré, prenne des décisions, paye un sinistre ou émette un contrat, il faut se donner le temps de s’assurer que l’organisation a un droit de regard sur ce qu’il se passe. Il faut se dire que j’aide mes utilisateurs à être plus efficaces, plus réactifs, à analyser plus d’informations, à avoir des retours qui seraient difficiles à avoir, dans un temps raisonnable, pour les aider. Ce qui prévaut pour le moment est une approche “d’assureur augmenté”, et non d’interaction directe entre l’IA et l’assuré. Cela ne veut pas dire que ça ne se développera pas de manière plus directe par la suite, mais il faut s’assurer que l’on aborde les choses correctement.

Depuis plusieurs mois, nous parlons beaucoup d’IA générative dans le secteur de l’assurance. Vous êtes « baigné » dans cette nouvelle technologie. Comment percevez-vous cette évolution ?

J’ai d’abord pu voir une sorte d’excitation. Les entreprises ont souvent mis à disposition de leurs collaborateurs des outils d’IA génératives pour pouvoir commencer à “jouer” un peu, comme ce qu’on a pu voir à travers l’enquête sur le grand public. Finalement, beaucoup de personnes sont entrées dans un mode d’expérimentation.  Nous en sommes à un stade où il y a un certain nombre de cas d’usage relativement évidents, que l’on identifie et que l’on met en place par la suite. L’IA est utilisée pour améliorer ce que nous faisons. Mais maintenant, la question est de voir quels sont les cas d’usage qui vont vraiment permettre de changer les choses.

Ce n’est pas facile, mais est-ce qu’on ne pourrait pas changer certaines approches ? Par exemple sur la gestion de sinistre, l’évaluation des dommages… Peut-on transformer la façon dont on gère le sinistre. Est-ce que l’on est prêt à laisser l’IA décider d’une indemnisation sur la base des informations qui sont transmises ? Ce sont des choses qui peuvent accélérer nettement un sinistre. Mais il y a aussi une complexité dans cette multitude de cas d’usage qu’il faut intégrer les uns aux autres.

Il faut « Embarquer et savoir agencer », pour trouver les modèles qui permettent d’avoir, soit des gains de productivité, soit des gains de facilité pour l’assuré, qui verrait un impact sur la facilité avec laquelle il peut interagir avec l’entreprise.

Ce sont les gains de productivité qui monitorent le déploiement des cas d’usage, selon vous ?

Pour l’instant, je vois surtout des interrogations ou des tentatives autour de la productivité. C’est probablement lié, encore une fois, à cette prudence que je trouve assez légitime.

L’objectif est, à la fois de la productivité, mais aussi à travers ça, de l’accélération de la satisfaction client. C’est-à-dire, si on sait régler rapidement les sinistres, en quelques heures plutôt qu’en quelques semaines ou mois dans certains cas.

Nous avons lancé il y a deux ans, Les talents de l’assurance dont l’objectif est de valoriser le talent et l’attractivité du secteur et des métiers de l’assurance. Dans votre étude, vous évoquez également, l’attractivité du secteur de l’assurance, en particulier dans le contexte de pénurie de talents. Qu’en pensent les Français ?

La pénurie de talents et le déficit de compétences spécialisées liés à l’évolution du monde du travail, à l’introduction de nouvelles technologies et à la conjoncture actuelle représentent un défi majeur pour les assureurs, à l’instar de nombreux secteurs d’activité. Au cours de cette étude, Guidewire s’est donc intéressé à l’attractivité du secteur aux yeux des personnes interrogées.

Les résultats se sont révélés flatteurs pour le secteur de l’assurance, en particulier parmi les tranches d’âge de 18 à 34 ans. En effet, les 18-24 ans sont 48 % à considérer l’assurance comme un secteur attractif et innovant, juste avant les 25-34 ans (45 %). En outre, les 25-34 ans sont 64 % à considérer qu’il s’agit d’un secteur qui promeut la diversité (54 % pour l’ensemble des répondants). Ces conclusions sont particulièrement intéressantes pour un domaine qui s’efforce d’attirer de nouveaux talents et de renouveler son réservoir de compétences en attirant une main-d’œuvre plus jeune et davantage formée aux nouvelles technologies.

L’enquête de cette année fait également état d’une hausse de la proportion de répondants qui estiment que les actions des assureurs ont contribué à rehausser leur image du secteur par rapport à 2023 (de 14 à 20 %). Paradoxalement, ils sont aussi plus nombreux (33 % contre 23 % l’année dernière) à considérer que le secteur n’en fait pas assez pour aider les gens dans le besoin. Cela laisse entendre que les acteurs du secteur devraient poursuivre et redoubler leurs efforts de communication afin de renforcer leur image auprès des assurés.

Vous signalez que les Français semblent moins susceptibles de réduire leurs dépenses en matière d’assurance en raison de la hausse du coût de la vie (52% contre 58 % en 2023). C’est un bon signal pour les assureurs ?

Selon les résultats de l’étude, si le nombre d’assurés français qui partagent leur inquiétude face à l’inflation et à la hausse du coût de la vie reste très élevé (89 %), la proportion de répondants susceptibles de réduire leurs dépenses en matière d’assurance en raison de cette hausse du coût de la vie (52 %) est quant à lui en recul de six points par rapport à 2023 (58 %). Si cette diminution est un bon signe, il n’en demeure pas moins que plus de la moitié des Français envisagent de minimiser leurs dépenses en produits et services d’assurance et que les assureurs devraient concentrer leurs efforts pour augmenter le taux d’engagement et renforcer la fidélité des clients.

Le rapport révèle également qu’une vaste majorité de Français (87 %) prend ses décisions en matière d’assurance dans la sphère privée, tandis que seul un ménage sur dix (10 %) fait appel aux services d’un courtier en assurance. Les principaux critères de choix sont : la renommée de l’assureur (36 %), la loyauté à un assureur connu (32 %), les recommandations des proches, comme les conjoints (17 %), les amis et la familles (23 %). Seuls 11 % des répondants s’en remettent aux conseils de courtiers. Il en découle que ces acteurs de l’assurance pourraient gagner des parts de marché en mettant en avant l’importance du recours à un expert.

Dans ces contextes évoqués, que pourriez-vous « conseiller » aux acteurs du secteur de l’assurance ?

D’abord sur l’IA, je pense qu’il y a un vrai potentiel de transformation et les assureurs, me semble-t-il, en sont largement conscients. Il y a vraiment une approche, on va dire prudente, mais optimiste à mettre en place. Ce genre d’innovation technologique, c’est typiquement le genre de choses qui va prendre des années. Il ne faut pas croire que, du jour au lendemain, tout va changer, mais en même temps, je pense que c’est vraiment quelque chose qui va s’imposer comme une sorte d’évidence.

Ensuite, beaucoup d’assureurs sont confrontés à une pyramide des âges vieillissante, à ces questions de pénurie de talent etc. L’un des enjeux pour moi est vraiment d’accompagner la politique RH. La technologie est un élément d’attractivité. C’est à la fois une difficulté parce qu’il faut recruter les bons profils, trouver potentiellement des profils assez pointus, assez rares mais c’est aussi un facteur d’attractivité qui permet de donner de l’ambition aux jeunes et moins jeunes qui rejoignent une compagnie d’assurances. Je pense que l’innovation est quelque chose de positif pour recruter et pour conserver ces nouveaux entrants dans le secteur.

Et je dirais qu’il faut investir sur la formation, investir sur l’innovation.

Enfin, sur la dimension des prix, nous sommes sur un sujet délicat puisque chaque assureur va avoir sa stratégie commerciale. Je pense que chacun jouera sa propre partition en fonction de son positionnement de marché.

La part de l’assurance directe en France est vraiment extrêmement faible et si on compare à des marchés comme l’Italie, ce n’est pas un marché du direct et du comparateur. Ce sera intéressant de voir si cette vague d’inflation, cette période économiquement difficile, se révèle être un accélérateur pour le direct et lui permettra de gagner ses parts de marché ou si, malgré ça les Français restent dans un schéma où ils passent par des intermédiaires et comptent sur eux pour leur proposer des solutions les plus adaptées.

Pour conclure ?

Une autre dimension que l’on n’a pas abordée, mais qui, je trouve est intéressante, est qu’il y a une vraie attente, me semble-t-il, des Français sur l’aspect de la prévention des risques.

Nous avons 70% des répondants qui disent qu’ils souhaitent une assurance préventive et c’est quelque chose qui est en croissance (de trois points) par rapport à l’année précédente.

Une dimension qui complète ce que l’on a évoqué est celle des services des assureurs qui, pour moi, va avec la question des talents, de l’offre mais également des technologies. Comment est-ce que les assureurs peuvent accompagner ? En tout cas, il y a une vraie légitimité, vu des Français, à ce que les assureurs les accompagnent face aux risques, et je pense que le changement climatique ou un certain nombre d’autres événements marquants qu’on a pu avoir ces derniers temps sont probablement présents dans tous les esprits. Il y a un vrai potentiel pour se poser cette question de comment accompagner et pas simplement régler les sinistres. Cela me paraît quelque chose qui est encore assez peu développé. Ce n’est pas ignoré, il y a un effort qui est fait, mais c’est encore peu au centre de la stratégie opérationnelle des assureurs.

Il faudrait savoir évaluer un risque, mais pas seulement à un instant T. Il faudrait se poser la question de ce qui pourrait être utile pour améliorer ce risque à l’avenir, et donner lieu à un travail plus personnalisé.

Parce que la prévention aujourd’hui, me semble-t-il, est très souvent prise sous un prisme – qui est complètement légitime et compréhensible – qui est de donner les bonnes pratiques et les diffuser le plus largement possible. La dimension de personnalisation n’est pas encore là et pourrait peut-être, à la fois améliorer la perception de l’assuré mais également avoir un vrai impact sur les dommages futurs.

*Méthodologie

L’étude a été réalisée auprès d’un échantillon représentatif de la population française ayant souscrit ou renouvelé un contrat d’assurance, ou encore déclaré un sinistre au cours des 12 derniers mois : 1 058 hommes et femmes répartis sur les zones géographiques Centre, Est, Nord, Ouest, Paris et région parisienne, Sud-Est et Sud-Ouest, ainsi que dans les principales villes de France, divisés en tranches d’âge 18-24 ans, 25-34 ans, 35-44 ans, 45-54 ans et 55 ans et plus.

L’étude s’intéresse à la perception du secteur et au comportement des assurés dans un contexte d’incertitude face aux multiples transformations que connaît le marché de l’assurance. Elle se penche plus particulièrement sur leur opinion concernant l’utilisation des nouvelles technologies disponibles par les acteurs de l’assurance, l’attractivité du secteur assurantiel, l’impact de l’inflation sur leurs décisions en matière d’assurance, l’évolution de leur perception des nouveaux produits et services offerts par le secteur, ou encore leur manière de sélectionner leur assureur.

Commandée par Guidewire, cette enquête a été réalisée en février 2024 par Censuswide, institut international d’études basé à Londres, dans le respect des principes de l’Association européenne pour les études d’opinion et de marketing (ESOMAR). L’étude a été menée en parallèle au Royaume-Uni, en Espagne et en Allemagne, suivant le même cadre méthodologique.

*Extrait dernier magazine #8 Dessine-Moi L’assurance produit par Vovoxx Média et diffusé en Octobre 2024.

Vous souhaitez être contacté par notre rédaction ?

    Vous souhaitez être contacté par notre service commercial ?