Un projet de la Commission européenne, le règlement FiDA (Financial Data Access), proposé à l’été 2023, soulève de vives inquiétudes concernant la protection des consommateurs et la solidarité entre assurés.
C’est le message fort que souhaitent faire passer Jean-Philippe Dogneton, Directeur général de la MACIF, Pervenche Berès, Députée européenne de 1994 à 2019, et Benoît Hamon, Président d’ESS France, via un communiqué publié par l’Institut Delors. Selon eux, l’ouverture des données financières, telle qu’envisagée dans ce texte, menace l’un des piliers fondamentaux de l’assurance : la mutualisation des risques.
Une atteinte à la souveraineté européenne
Le règlement FiDA a pour objectif d’élargir l’accès aux données financières de manière à favoriser une plus grande concurrence sur le marché. Pour la Commission européenne, cela permettrait au consommateur de comparer plus facilement les offres, notamment en matière d’assurance, et espérer ainsi obtenir des prix plus avantageux.
Cependant, selon les signataires du communiqué, cette initiative, bien que prometteuse en apparence, comporte des dangers considérables pour les assurés. En touchant à la mutualisation, FiDA affaiblit un mécanisme essentiel qui repose sur la solidarité entre les assurés, et pourrait à terme dégrader la qualité de la protection offerte, tout en menaçant la confidentialité des données financières personnelles.
Une menace pour les plus vulnérables
Le règlement FiDA, bien qu’animé par des intentions louables, repose selon Jean-Philippe Dogneton, Pervenche Berès et Benoît Hamon sur des présupposés erronés qui risquent de nuire gravement aux consommateurs européens.
Le premier point soulevé par les signataires : la concurrence dans le secteur de l’assurance n’a rien d’insuffisante. Le marché français, en particulier, est un exemple éclatant de diversité et de dynamisme, avec plus d’une centaine d’acteurs dans le domaine de l’assurance automobile, des sociétés d’assurance aux banques en passant par les néo-assureurs en ligne. Cette diversité garantit aux consommateurs une compétitivité sans cesse renforcée, déjà appuyée par la possibilité pour les assurés de résilier leur contrat à tout moment. L’idée que FiDA pourrait stimuler un marché jugé peu concurrentiel n’est donc pas justifiée, selon eux.
Deuxième point d’inquiétude : le risque d’une standardisation excessive des contrats d’assurance. Contrairement à ce que laisse entendre la Commission européenne, les contrats d’assurance ne sont pas des produits indifférenciés. Ils sont élaborés pour répondre aux besoins spécifiques des consommateurs, prenant en compte leurs particularités personnelles et leur besoin de protection. Pour Jean-Philippe Dogneton, Pervenche Berès et Benoît Hamon, le danger avec FiDA réside dans la tentation de se focaliser sur les prix, au détriment de la qualité des garanties, en réduisant les contrats à des chiffres comparables dans des tableaux automatisés. Or, un contrat d’assurance ne se résume pas à son tarif.
Un risque pour la mutualisation
Pour Jean-Philippe Dogneton, Pervenche Berès et Benoît Hamon, l’instauration du règlement FiDA ne met pas seulement en péril la protection des consommateurs, elle menace aussi un principe fondamental des systèmes d’assurance : la mutualisation des risques. Ce modèle, qui repose sur la solidarité entre assurés, est au cœur de l’équilibre du marché, garantissant que chacun, y compris les plus vulnérables, puisse accéder à une couverture adaptée et abordable. Or, selon les signataires, FiDA pourrait gravement compromettre cette dynamique.
En facilitant l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché, ces derniers seraient incités à se concentrer uniquement sur les « bons risques », ceux qui présentent les profils les plus avantageux économiquement. Cette situation pourrait mener à l’exclusion de toute une partie de la population, identifiée comme présentant des risques plus élevés. Les consommateurs au profil considéré comme « mauvais », tels que les jeunes conducteurs, les personnes âgées ou les habitants de zones à risques climatiques, pourraient soit voir leurs primes s’envoler, soit être exclus des offres d’assurance standard. Cela provoquerait un effondrement du principe de mutualisation, qui permet aujourd’hui de répartir les risques et les coûts entre un large éventail d’assurés, maintenant ainsi des tarifs accessibles à tous.
Ce bouleversement pourrait également affecter des régions entières ou des segments spécifiques de la population, notamment dans un contexte où les conséquences du changement climatique se font de plus en plus pressantes. Avec FiDA, il deviendrait plus facile d’exclure certains assurés sur des critères géographiques ou liés à leur profil. Par exemple, les habitants de zones inondables, les propriétaires de véhicules à haut risque de vol, ou encore les jeunes conducteurs pourraient voir leurs primes augmenter de manière disproportionnée, voire se retrouver sans couverture.
Une nouvelle menace pour la protection des données personnelles
Au-delà des dangers qu’il fait peser sur la solidarité assurantielle, le règlement FiDA suscite de vives inquiétudes quant à la protection des données personnelles des consommateurs. Jean-Philippe Dogneton, Pervenche Berès et Benoît Hamon tirent la sonnette d’alarme sur une autre dimension critique : la gestion des informations sensibles dans un cadre pourtant strictement encadré par le règlement général sur la protection des données (RGPD).
Aujourd’hui, les consommateurs, particulièrement en France, se montrent de plus en plus préoccupés par l’usage de leurs données personnelles. Une étude ELABE menée pour France Assureurs en mars 2024 révèle que 67 % des Français se sentent vulnérables face à la cybercriminalité, une hausse significative par rapport à l’année précédente. La perspective qu’ouvre FiDA, en permettant le croisement entre données personnelles et financières, alimente encore davantage cette inquiétude. Selon les signataires, il est légitime de se demander si les acteurs financiers non européens, et plus spécifiquement les géants de la technologie, feront preuve de rigueur éthique dans l’exploitation de ces données sensibles. FiDA pourrait ainsi permettre à ces acteurs d’accéder à une quantité inédite d’informations, au risque de compromettre la confidentialité des données des consommateurs européens.
Pour Jean-Philippe Dogneton, Pervenche Berès et Benoît Hamon, ce règlement va à l’encontre de la protection des citoyens qu’il prétend promouvoir. Le croisement des données financières avec des informations personnelles, combiné à la possibilité pour des acteurs non européens de s’y infiltrer, mettrait gravement en danger la souveraineté européenne. Des entreprises telles qu’Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta et Microsoft, souvent qualifiées de « gatekeepers », sont déjà au cœur du contrôle mondial des données. Or, selon les signataires, FiDA ouvre largement la porte à ces plateformes numériques, qui ne sont pas toutes soumises aux réglementations européennes, en leur permettant d’accéder à des données financières sensibles sans garantie suffisante de respect des règles en vigueur.
Une précipitation inquiétante pour un texte aux multiples dangers
Alors que les institutions européennes ont récemment été renouvelées, avec une nouvelle mandature du Parlement européen, une Commission remaniée et la Présidence hongroise à la tête des négociations, le règlement FiDA avance à marche forcée. Selon Jean-Philippe Dogneton, Pervenche Berès et Benoît Hamon, cette précipitation constitue une menace sérieuse pour la protection des consommateurs. Le compromis en vue semble être élaboré à toute vitesse, au détriment d’un débat approfondi sur les risques que comporte ce texte.
Les signataires soulignent que, malgré les appels à la prudence, notamment de la part de la Direction générale du Trésor en France, qui préconise de prendre le temps nécessaire pour examiner les nombreux problèmes soulevés par FiDA, la Présidence hongroise s’acharne à finaliser les négociations. La dernière réunion technique, prévue pour le 30 septembre, pourrait sceller l’adoption d’un texte dont l’imprécision et les conséquences préoccupent largement les assureurs mutualistes et d’autres acteurs du secteur. Depuis le début des discussions, ces acteurs n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme sur le caractère irréaliste de la mise en œuvre du règlement et les dangers d’exclusion qu’il fait peser sur les citoyens européens.
FiDA : un appel à l’action pour protéger les assurés et leurs données
Face aux menaces posées par le règlement FiDA, Jean-Philippe Dogneton, Pervenche Berès et Benoît Hamon affirment leur volonté de protéger les assurés tout en défendant un cadre strict pour la gestion des données personnelles. Leur objectif est de continuer à offrir aux consommateurs la meilleure protection possible, au prix le plus juste, tout en préservant la confidentialité et la sécurité des données.
Parmi les propositions qu’ils avancent figurent des mesures clés : exiger un consentement explicite et éclairé du consommateur, réduire le champ des données couvertes et définir ces dernières de manière précise. Ils plaident également pour que tous les acteurs entrant sur le marché soient soumis aux mêmes règles que les entreprises européennes, notamment en imposant un établissement stable dans l’UE. Autre point crucial : l’exclusion du secteur de l’assurance non-vie, trop hétérogène à travers l’Union européenne, afin de préserver les spécificités locales et éviter une harmonisation inappropriée.
Pour les signataires, une étude d’impact objective, impliquant toutes les parties prenantes, est indispensable pour corriger les biais évidents du projet. Ils appellent donc les citoyens à se mobiliser aux côtés des assureurs mutualistes pour défendre leurs droits, protéger leurs données et préserver le principe de mutualisation, qui reste au cœur de la solidarité entre assurés. Selon eux, seul un effort collectif permettra de garantir que la voix des consommateurs soit entendue et que FiDA ne nuise pas aux intérêts de ceux qu’il prétend protéger.