Assurances anti-pesticides : rôle des collectivités locales

Nous poursuivons notre réflexion sur le déploiement d’une couverture assurantielle innovante destinées à accompagner les agriculteurs dans la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires (PPS), à travers le troisième volet de l’étude de la Banque des Territoires.

Cette partie du rapport met en lumière l’importance de la commande publique comme levier stratégique, en complément des outils assurantiels, pour favoriser le développement de filières locales à bas niveaux d’intrants.

Objectif du rapport de la Banque des Territoires

L’objectif principal du rapport de la banque des Territoire est de démontrer comment les dispositifs d’assurance peuvent être articulés avec d’autres mesures en faveur de la réduction de l’utilisation des PPS. Tout d’abord en définissant le rôle des assureurs dans cette transition, comme nous l’avons abordé dans notre article « Réduction des PPS : le rôle des assurances ». Puis en impliquant les acteurs amont et « les coopératives agricoles dans le déploiement de nouveaux produits assurantiels. »

Le troisième volet de ce rapport vise à fournir des exemples de bonnes pratiques aux collectivités locales désireuses de s’engager dans cette démarche. Il explore également les possibilités d’accompagnement par la Banque des Territoires, un acteur clé dans le soutien aux projets locaux.

Propositions et objectifs

  1. Déploiement d’outils assurantiels en complément des Paiements pour Services Environnementaux (PSE)
    Les Paiements pour Services Environnementaux (PSE) sont des dispositifs qui rémunèrent les agriculteurs pour les services écosystémiques qu’ils rendent, tels que la réduction des intrants chimiques. L’étude propose de compléter ces dispositifs par des outils assurantiels, afin de couvrir les pertes éventuelles associées à cette transition. Ces assurances peuvent ainsi jouer un rôle crucial en offrant une sécurité financière aux agriculteurs, encourageant ainsi une adoption plus large de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.
  2. Mobilisation du levier de la commande publique
    En complément des outils assurantiels, l’étude souligne l’importance de la commande publique comme levier pour encourager le développement de filières locales à bas niveaux d’intrants. Les collectivités peuvent utiliser leur pouvoir d’achat pour soutenir la production et la commercialisation de cultures « à risques », c’est-à-dire des cultures nécessitant moins de pesticides mais étant plus coûteuses et moins résistantes. Cette démarche permet non seulement de réduire l’utilisation des PPS, mais aussi de promouvoir des filières locales durables.

Les enjeux et les bénéfices

L’un des principaux défis identifiés dans cette étude est la nécessité de concevoir des dispositifs d’assurance à une échelle territoriale, dans une logique collective regroupant plusieurs agriculteurs. 

Par exemple, ces dispositifs pourraient être particulièrement pertinents dans les aires d’alimentation de captage, où la qualité de l’eau est une préoccupation majeure. En outre, la couverture des pertes associées à la réduction des PPS par ces dispositifs pourrait être un facteur déterminant pour convaincre un plus grand nombre d’agriculteurs d’adopter des pratiques plus durables.

L’assurance : un complément stratégique aux Paiements pour Services Environnementaux (PSE)

Les Paiements pour Services Environnementaux (PSE), introduits par le Ministère de la Transition écologique en 2018, sont conçus pour récompenser les agriculteurs qui contribuent à la préservation des écosystèmes. Financé à hauteur de 150 millions d’euros, ce dispositif a pour objectif de pérenniser des services essentiels tels que la régulation du climat, l’amélioration de la qualité de l’eau, et le maintien des habitats naturels pour la faune et la flore. 

Les agriculteurs participant à ce programme sont rémunérés sur une période de cinq ans, en fonction de leur performance environnementale évaluée annuellement à l’échelle de l’exploitation.

Mesures d’évaluation et d’incitation

L’évaluation de la performance environnementale repose sur des indicateurs nationaux adaptés aux spécificités locales. Ces indicateurs, notamment ceux qui mesurent l’usage des intrants comme les engrais minéraux et les produits phytosanitaires, sont déterminants pour le calcul de la rémunération des agriculteurs. 

En 2024, 175 PSE étaient en cours de déploiement, impliquant plus de 2 700 exploitations agricoles sur près de 250 000 hectares. La rémunération annuelle varie entre 90 et 130 €/hectare, ce qui reflète l’engagement des exploitations à réduire leur impact environnemental.

Mise en œuvre d’un outil d’assurance complémentaire

L’étude propose d’intégrer un outil d’assurance au dispositif des PSE pour offrir une sécurité financière supplémentaire aux agriculteurs. Cette assurance viserait à compenser les pertes de rendement associées au changement de pratiques agricoles, permettant ainsi aux agriculteurs les plus réticents, souvent par aversion au risque, de s’engager dans une transition agroécologique.

Deux options principales sont envisagées par la banque des territoires :

  1. Couvrir les baisses de rendement pendant la durée du PSE (5 ans) pour inciter un plus grand nombre d’agriculteurs à réduire l’utilisation des PPS.
  2. Couvrir les pertes exceptionnelles après la phase de transition agroécologique (également de 5 ans) pour encourager la pérennisation des pratiques économes en intrants.

Initiatives de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne

L’Agence de l’Eau Adour-Garonne, qui finance des aides directes aux agriculteurs à hauteur de 30 millions d’euros par an, a mis en place un groupe de travail sur la « Rémunération du risque financier pour la transition ». Ce groupe explore les synergies possibles entre les PSE et un outil d’assurance, en collaboration avec des coopératives. Les initiatives incluent des aides pour la conversion, l’acquisition foncière sur des zones de captage, et le soutien aux filières agroécologiques à faible usage d’intrants.

Le PSE proposé par l’Agence repose sur trois critères clés : la rotation des cultures, l’intensification des pratiques durables, et la présence d’infrastructures agroécologiques. Chaque critère est noté sur 10 points, et les exploitations obtenant un minimum de 14 points peuvent bénéficier d’un accompagnement financier allant jusqu’à 7 600 €/an/exploitation.

Proposition de fonctionnement de l’assurance

L’outil d’assurance proposé pourrait fonctionner de manière similaire aux PSE, avec des critères de déclenchement conditionnant l’indemnisation à l’atteinte d’objectifs environnementaux ambitieux mais réalistes. Pour éviter l’aléa moral, les primes d’assurance et les coûts d’indemnisation seraient adaptés aux caractéristiques spécifiques de chaque exploitation. Ainsi, en cas de pertes de rendement supérieures à un seuil prédéfini, l’assurance interviendrait pour couvrir les pertes, offrant ainsi un filet de sécurité aux agriculteurs engagés dans la transition.

La commande publique : un levier stratégique 

Dans un contexte où la transition agroécologique devient une priorité, la commande publique se révèle être un outil puissant pour soutenir les filières agricoles locales tout en encourageant la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires (PPS). L’objectif principal est double : sécuriser les débouchés pour les exploitants agricoles locaux via des contrats publics, et encourager ces exploitants à adopter des pratiques agricoles plus durables, soutenues par un mécanisme assurantiel complémentaire. Ce dernier joue un rôle crucial, notamment pendant la phase de transition vers des systèmes de production à bas niveaux d’intrants.

Proposition de fonctionnement

La proposition centrale consiste en la souscription par les collectivités locales d’une assurance destinée aux agriculteurs qui hésitent à s’engager dans des filières locales, notamment par le biais de la commande publique. Ce mécanisme assurerait une protection financière aux agriculteurs, leur permettant de valoriser localement leur production tout en réduisant progressivement leur utilisation de PPS. En outre, cette assurance offrirait une sécurité supplémentaire, encourageant ainsi les agriculteurs à adopter des pratiques plus écologiques sans craindre les pertes économiques potentielles.

L’exemple de Terres de Sources

Un exemple concret de cette approche est illustré par l’initiative Terres de Sources, lancée par Eau du Bassin Rennais. Ce programme soutient les agriculteurs locaux en promouvant des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, avec un accent particulier sur la protection de l’eau potable. Terres de Sources propose aux agriculteurs des débouchés nouveaux et une valorisation de leurs produits par le biais d’un label, tout en garantissant une juste rémunération pour les services environnementaux qu’ils fournissent.

Le label Terres de Sources repose sur quatre fondamentaux :

  1. Progrès environnemental : Encourager une amélioration continue des systèmes de production pour restaurer la qualité de l’eau.
  2. Rémunération équitable : Assurer une rémunération juste pour les services environnementaux rendus par les agriculteurs.
  3. Produits locaux accessibles : Offrir aux consommateurs des produits locaux de qualité à des prix abordables.
  4. Gouvernance partagée : Impliquer les habitants, les producteurs, les transformateurs et les collectivités dans une gouvernance partagée pour une consommation responsable.

Encouragement à des pratiques plus écologiques

Terres de Sources incite à l’adoption de pratiques agricoles plus écologiques en favorisant la diversification des rotations culturales et la création de filières à bas niveaux d’intrants. L’initiative va plus loin en proposant des dispositifs financiers incitatifs pour accompagner les agriculteurs dans cette transition. En complément, la mise en place d’une assurance pour les exploitants s’engageant dans le label Terres de Sources permettrait de sécuriser cette transition, réduisant ainsi les risques financiers associés à la réduction des intrants chimiques.

Transition agricole : le partenariat gagnant entre assurance et commande publique

En conclusion, l’articulation des dispositifs assurantiels avec la commande publique se présente comme une stratégie clé pour soutenir la transition agricole et la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires. En offrant aux agriculteurs une sécurité financière à travers des outils d’assurance et en garantissant des débouchés via la commande publique, les collectivités locales peuvent jouer un rôle central dans le développement de filières agricoles durables à bas niveaux d’intrants.

 L’initiative Terres de Sources illustre parfaitement cette synergie, démontrant qu’il est possible de concilier performance environnementale, valorisation économique et engagement des acteurs locaux.

À travers ces dispositifs, les collectivités contribuent non seulement à la protection des ressources naturelles, mais aussi à la pérennisation d’une agriculture locale résiliente et responsable, bénéfique tant pour les producteurs que pour les consommateurs.

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