Assurances et transition agricole : le rôle des coopératives

Nous continuons notre exploration du rapport de la Banque des Territoires sur la nécessité d’une « couverture assurantielle innovante pour soutenir la réduction des pesticides ».

Dans un précédent article nous avons analysé le « rôle des assureurs dans cette transition agricole. » Aujourd’hui, le rapport de la Banque des Territoires met en avant le rôle des acteurs amont et des coopératives agricoles pour le déploiement de nouveaux produits assurantiels destinés à soutenir cette transition écologique du secteur agricole Français. 

Cadre légal et rôle des coopératives

La séparation du conseil et de la vente, instaurée par la loi Egalim en 2021, marque un tournant important pour les coopératives agricoles. Cette réforme vise à réduire les conflits d’intérêts potentiels en dissociant les entités qui conseillent sur l’utilisation des produits phytosanitaires de celles qui les vendent. 

Les coopératives, en tant que structures majeures du secteur agricole, ont un rôle clé à jouer dans ce nouveau cadre, notamment en offrant des conseils indépendants et en soutenant financièrement les agriculteurs dans leur transition vers des pratiques moins dépendantes des intrants chimiques.

Biocontrôle et approches combinatoires

Le rapport souligne également les efforts en cours pour déployer des solutions de biocontrôle et des approches combinatoires, qui combinent l’utilisation de pesticides avec des techniques culturales et des OAD. Bien que ces solutions présentent des avantages en termes de réduction de l’utilisation de PPS, elles rencontrent encore des défis, notamment en termes d’efficacité, de coût et de complexité d’utilisation. 

Le taux d’efficacité des produits de biocontrôle reste en moyenne inférieur à celui des PPS traditionnels, et leur adoption nécessite des changements significatifs dans les pratiques agricoles et les structures de conseil.

Focus sur le grand défi biocontrôle et biostimulation pour l’agroécologie 

Le biocontrôle et la biostimulation pour l’Agroécologie représentent une initiative ambitieuse visant à soutenir le développement et la mise en œuvre de solutions écologiques pour une agriculture plus durable. Ce programme, orchestré par l’Association biocontrôle et biostimulation pour l’agroécologie (ABBA), dispose d’une enveloppe de 42 millions d’euros, allouée sur une période de six ans (2024-2029), gérée par l’Agence Nationale de la Recherche, avec un apport complémentaire de 18 millions d’euros provenant d’acteurs privés.

L’ABBA regroupe une diversité impressionnante de plus de 110 membres issus de différents secteurs, allant de l’enseignement et de la recherche aux entreprises de biocontrôle et biostimulation, en passant par des entreprises technologiques, des coopératives agricoles, des chambres d’agriculture, des instituts techniques, des acteurs de la transformation et de la distribution, et des représentants des consommateurs. Cette collaboration interdisciplinaire a pour objectif de créer un socle de connaissances communes sur les produits de biocontrôle, de mieux comprendre les risques associés à leur utilisation, et d’identifier les obstacles à leur adoption par les agriculteurs.

En plus de faciliter l’expérimentation et le développement rapide de ces solutions, l’initiative vise à intégrer les réflexions assurantielles dans ce cadre.

Cela pourrait se concrétiser par des appels à projets collaboratifs dès fin 2024, visant à explorer des modèles économiques innovants qui soutiennent la transition agroécologique tout en offrant une sécurité financière aux acteurs impliqués.

Les outils d’aide à la décision (OAD)

Les OAD jouent un rôle crucial dans l’optimisation de l’utilisation des PPS, en fournissant aux agriculteurs des recommandations précises sur les moments et les doses optimales pour les traitements phytosanitaires. Le rapport cite plusieurs études et expérimentations, comme celles menées dans le cadre du projet Vitirev, qui montrent que l’utilisation d’OAD peut réduire significativement l’indice de fréquence de traitement (IFT) sans compromettre la santé des cultures. 

Cependant, l’adoption des OAD reste limitée à certaines régions et types d’exploitations, et des efforts supplémentaires sont nécessaires pour améliorer leur fiabilité et leur accessibilité.

Bénéfices et défis

L’intégration des OAD et des solutions de biocontrôle dans les pratiques agricoles présente de nombreux avantages, notamment en termes de réduction des coûts et des risques associés aux traitements phytosanitaires. 

Toutefois, le rapport souligne que la réussite de ces initiatives dépend de plusieurs facteurs, tels que la disponibilité de données précises, la formation des agriculteurs et l’adaptation des outils aux spécificités locales. Le manque de données et de connaissances sur l’utilisation des OAD, ainsi que les défis liés à la diffusion de ces technologies, constituent des obstacles majeurs à leur adoption généralisée.

Enjeux et objectifs de l’engagement des acteurs de l’amont et des coopératives dans la réduction des PPS

L’un des principaux enjeux identifiés est l’implication des coopératives dans le partage du risque lié à la réduction des PPS. Il est essentiel que ces entités offrent à leurs adhérents des solutions de couverture adaptées, afin de sécuriser financièrement les agriculteurs engagés dans des démarches de réduction des intrants chimiques. 

Cela pourrait se traduire par la création de dispositifs assurantiels spécifiques qui encouragent la mise en œuvre de mesures prophylactiques, tout en intégrant les distributeurs de PPS dans cette dynamique.

Modalités financières et assurantielles incitatives

Pour encourager l’adoption de pratiques plus respectueuses de l’environnement, il est nécessaire de concevoir des modalités financières et assurantielles attractives. Ces dispositifs doivent non seulement réduire les risques perçus par les agriculteurs, mais aussi les inciter à investir dans des pratiques prophylactiques et d’autres méthodes alternatives aux PPS. L’implication des distributeurs de PPS dans ce processus est également un facteur clé, car ils jouent un rôle direct dans la chaîne d’approvisionnement et peuvent influencer les choix des agriculteurs.

Identification et diffusion des bonnes pratiques

Les coopératives sont idéalement placées pour identifier et promouvoir les « bonnes pratiques » agricoles, adaptées aux spécificités des filières et aux conditions pédoclimatiques locales. En élaborant des cahiers des charges qui prennent en compte ces spécificités, les coopératives peuvent jouer un rôle décisif dans la standardisation et la diffusion de pratiques agricoles durables. 

Cette approche doit s’accompagner d’une valorisation commerciale des produits issus de ces filières, ainsi que d’une sécurisation des débouchés pour garantir la viabilité économique des exploitations engagées dans la réduction des PPS.

Déploiement des outils d’assurance et intégration des OAD

Un autre objectif crucial est de garantir aux coopératives une marge de manœuvre suffisante pour déployer des outils d’assurance efficaces. Ces outils doivent être conçus pour prendre en compte les phénomènes d’aversion au risque, fréquents chez les agriculteurs. Cela inclut la valorisation des produits, la sécurisation de leur qualité, ainsi que la gestion des outils logistiques et de stockage.

Enfin, le rapport insiste sur l’importance d’une articulation efficace entre les outils d’aide à la décision (OAD) existants et les mécanismes d’assurance. Cette intégration est essentielle pour maximiser les bénéfices de la réduction des PPS, en fournissant aux agriculteurs des recommandations précises tout en les assurant contre les risques inhérents à ces nouvelles pratiques.

Propositions de la Banque des Territoires pour renforcer les outils assurantiels

La Banque des Territoires a formulé des propositions concrètes pour renforcer les outils assurantiels, dans le cadre de la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires (PPS). Ces initiatives visent à accompagner la transition agricole vers des pratiques plus durables tout en réduisant les risques financiers pour les agriculteurs et en mobilisant divers acteurs du secteur.

1. Déployer un outil d’assurance pour l’utilisation d’outils d’aide à la décision (OAD)

L’une des principales propositions consiste à déployer un outil d’assurance dédié à l’utilisation des outils d’aide à la décision (OAD). Ce dispositif couvrirait les pertes de rendement qui pourraient survenir malgré le respect des recommandations formulées par ces outils. L’objectif est de protéger les agriculteurs qui s’efforcent d’optimiser leurs pratiques grâce aux OAD, mais qui rencontrent néanmoins des difficultés. 

Pour concrétiser cette initiative, il est essentiel de produire des données précises sur les risques associés à la réduction des PPS. Les instituts techniques seraient mobilisés pour fournir ces informations, tandis que les sociétés d’assurance contribueraient à la mutualisation des efforts de recherche et développement (R&D) afin de développer des modèles actuariels adaptés. En outre, le Bulletin de Santé du Végétal (BSV) pourrait être amélioré pour intégrer des données plus complètes sur les pratiques agricoles et les calendriers de traitement, permettant ainsi une modélisation plus fine des risques phytosanitaires. 

Pour diffuser une véritable culture du risque, les chambres d’agriculture joueraient un rôle clé en accompagnant les agriculteurs dans l’utilisation des OAD, tandis que les fournisseurs de ces outils seraient encouragés à souscrire des assurances pour couvrir les risques inhérents à leurs solutions.

2. Déployer un outil d’assurance pour l’utilisation de produits de biocontrôle

Une autre proposition concerne l’instauration d’un outil assurantiel pour l’utilisation des produits de biocontrôle. Cette assurance interviendrait en cas de pertes de rendement, même lorsque des produits de biocontrôle sont utilisés conformément aux recommandations. 

Les coopératives agricoles, en souscrivant des contrats d’assurance, pourraient mutualiser les risques pour l’ensemble de leurs membres. Elles seraient également responsables de l’élaboration d’un cahier des charges spécifique, précisant les mesures prophylactiques à adopter et limitant l’usage des produits phytosanitaires. Cette approche favoriserait ainsi l’adoption de méthodes combinatoires plus respectueuses de l’environnement.

3. Proposition pour financer des mécanismes d’assurance

Enfin, la Banque des Territoires propose de financer ces mécanismes d’assurance par le biais de pénalités financières imposées aux distributeurs de produits phytopharmaceutiques (PPS) en cas de non-respect des objectifs de réduction définis par le dispositif des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP). 

Selon cette proposition, les distributeurs qui ne parviendraient pas à atteindre leurs objectifs se verraient contraints de verser des pénalités pour chaque volume de PPS manquant. Les fonds ainsi récoltés pourraient alimenter un fonds de mutualisation, comme le FMSE, ou contribuer au financement des cotisations des agriculteurs pour une nouvelle assurance sanitaire.

Assureurs et coopératives : acteurs clés de la transition agricole 

L’engagement des coopératives et des acteurs de l’amont dans la réduction des produits phytosanitaires (PPS) est donc crucial pour réussir la transition vers une agriculture plus durable. Les solutions assurantielles adaptées, telles que celles proposées par la Banque des Territoires, jouent un rôle essentiel en sécurisant financièrement les agriculteurs et en incitant à l’adoption de pratiques plus respectueuses de l’environnement. 

Les assureurs, en mutualisant les risques et en soutenant les efforts de recherche et développement, deviennent des partenaires indispensables de cette transformation.

Dans un prochain article, nous explorerons le rôle déterminant des collectivités territoriales, un autre acteur clé, dans l’accompagnement de cette transition agricole. Leur soutien peut s’avérer tout aussi décisif pour assurer la viabilité et la pérennité de ces nouvelles pratiques mais également dans le déploiement d’assurances innovantes qui prennent en charge ces risques sanitaires.

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