Réduction des PPS : le rôle des assurances

Dans le cadre de notre article « Pesticides : vers une couverture assurantielle innovante ? » nous avons exploré les défis liés à la réduction des produits phytosanitaires (PPS) dans le secteur agricole.

Aujourd’hui, la Banque des Territoires approfondit cette réflexion dans un rapport qui se concentre notamment sur le rôle des assureurs dans le déploiement d’outils assurantiels capables de couvrir les risques économiques et sanitaires auxquels sont confrontées les exploitations engagées dans la transition agricole.

Un état des lieux préoccupant

S’appuyant sur le mémoire d’Anna Antraygues, dont nous vous parlions également dans notre article « Transition agricole, vers de nouveaux produits d’assurance ? », le rapport de la Banque des Territoires met en lumière les limites des dispositifs actuels. Notamment la réforme de l’Assurance Multirisque Climatique (MRC), qui se concentre exclusivement sur les risques climatiques, sans intégrer les risques sanitaires liés à la réduction des pesticides. Le Fonds de Mutualisation du risque Sanitaire et Environnemental (FMSE), quant à lui, ne couvre pas suffisamment les pertes économiques associées à la transition vers des systèmes agricoles moins dépendants des pesticides.

En outre, les difficultés économiques et techniques rencontrées par les agriculteurs et les assureurs dans la mise en place de ces dispositifs sont multiples. Les prix élevés des cotisations, les montants élevés des sinistres, et le faible taux de diffusion de l’assurance récolte (30% en moyenne) soulignent la fragilité du modèle économique actuel. De plus, le manque de référentiels sur les risques associés aux « bonnes pratiques » et les difficultés à évaluer la cause des sinistres (changement climatique ou pratiques agricoles) complexifient encore la situation.

Des propositions pour une meilleure prise en charge des risques

Face à ces enjeux, la Banque des Territoires propose plusieurs mesures pour améliorer la couverture des risques liés à la réduction des PPS :

  1. Élargir l’assurance multirisque climatique (MRC) aux risques sanitaires : Le rapport suggère de mettre en place des expérimentations au sein d’exploitations labellisées Agriculture Biologique (AB) et Haute Valeur Environnementale (HVE) pour tester l’intégration des risques sanitaires dans la MRC.
  2. Élargir le FMSE aux pertes économiques liées aux mesures de lutte contre les maladies et les ravageurs : Cette proposition vise à renforcer le soutien aux agriculteurs en couvrant également les pertes économiques liées à l’adoption de pratiques agricoles durables.
  3. Développer et déployer l’assurance paramétrique : Cette forme d’assurance, qui se déclenche automatiquement en fonction de paramètres prédéfinis (comme la pluviométrie ou les températures), pourrait offrir une solution flexible et adaptée aux risques spécifiques des différentes régions et cultures.

Des expérimentations inspirantes pour un déploiement national

Certaines expérimentations montrent le potentiel et les défis de la mise en place d’outils assurantiels adaptés à la réduction des pesticides. Deux initiatives phares se démarquent :

2022-2024 : RÉMY COINTREAU – AXA CLIMATE

Un partenariat entre Rémy Cointreau et AXA Climate a conduit à la création d’un outil d’assurance couvrant les pertes de rendement liées aux maladies fongiques sur la vigne. Ce dispositif comprenait le suivi d’un OAD (Outil d’Aide à la Décision) et la substitution des produits phytosanitaires par des solutions de biocontrôle.

 Le bilan de cette expérimentation est mitigé : bien qu’elle ait permis la suppression des traitements inutiles, elle s’est également traduite par une augmentation de 30 % des pertes sur 18 hectares en 2022. De plus, les coûts d’indemnisation et des cotisations se sont révélés très élevés, atteignant 800 €/ha, ce qui soulève des questions sur la viabilité économique à long terme de cette approche.

2015-2021 : AGRIFUNDO MUTUALISTICO

En Vénétie, un fonds de mutualisation collectif a été mis en place pour couvrir tout type de sinistre (climatique ou sanitaire) sur 42 hectares de cultures de maïs. Ce dispositif reposait sur les principes de lutte intégrée fournis par l’Institut agricole régional de Vénétie. 

Le bilan de cette expérimentation est plus encourageant : une réduction de 10 % de l’utilisation de pesticides a été observée en deux ans. De plus, le coût de la cotisation, fixé à 3,3 €/ha, s’est avéré trois fois moins cher que l’utilisation d’herbicides, démontrant ainsi une meilleure accessibilité financière pour les agriculteurs.

S’appuyer sur les initiatives des instituts techniques

L’élaboration d’outils assurantiels adaptés à la réduction des pesticides s’appuie sur des projets de recherche portés par des instituts techniques. La Banque des Territoire met en lumière deux initiatives :

  • Projet GREcOS – Association de Recherche Technique Betteravière (ARTB), Institut technique de la Betterave (ITB)

Le projet GREcOS se concentre sur l’évaluation du risque de perte de rendement betteravier lié à la jaunisse virale, particulièrement dans un contexte post-PNRI (Plan National de Recherche et d’Innovation). L’objectif est de préfigurer un dispositif de gestion du risque adapté, capable d’accompagner la filière betterave à sucre dans sa transition vers un mode de production sans néonicotinoïdes. 

Ce projet illustre bien la nécessité de créer des outils spécifiques pour des cultures particulières, en réponse aux défis posés par l’abandon de certains produits phytosanitaires.

  • Projet ARRUPVICO – IFV, Terres Inovia, Diagorisk, Inrae, ACTA, OFB (2022-2025)

Le projet ARRUPVICO se concentre sur les risques sanitaires liés aux usages phytosanitaires dans les cultures de colza et de vigne. Ce projet a pour ambition de développer un mécanisme complémentaire aux subventions existantes, capable de couvrir les pertes exceptionnelles réelles, de supprimer les traitements inutiles, et d’inciter à la transition en réduisant les craintes associées à celle-ci. Il vise également à encourager des pratiques innovantes, dites de « rupture », en partageant les risques pesant sur les revenus des agriculteurs avec les assureurs et les autres acteurs de la filière.

Un point clé du projet ARRUPVICO est que l’assurance ne couvre que les risques exogènes, mesurés et résiduels, et non l’ensemble des risques liés à la transition. Ainsi, elle ne remplace pas les subventions mais s’inscrit comme une solution complémentaire parmi d’autres pour soutenir les agriculteurs dans cette période de transition.

Focus sur l’assurance « Carence d’Apport »

Le rapport de la Banque des Territoire fait un aparté sur l’assurance carence d’apport, proposée par Atekka, un système paramétrique destiné à sécuriser la chaîne logistique en cas de problèmes d’approvisionnement auprès des producteurs. Ce type d’assurance compense le manque à gagner de l’assuré en cas de production agricole insuffisante, en volume ou en qualité, via des référentiels de rendement.

Bien que cette assurance soit une solution prometteuse pour stabiliser les chaînes d’approvisionnement, elle est actuellement exclue du subventionnement de l’État, ce qui limite son adoption. Le développement d’une telle assurance nécessiterait donc un soutien public pour devenir un outil accessible et efficace dans la sécurisation des transitions agricoles.

Les propositions de la Banque des Territoires pour un déploiement assurantiel efficace

La Banque des Territoires propose plusieurs solutions innovantes pour améliorer la couverture des risques liés à cette transition. Ces propositions visent à compléter les dispositifs existants et à encourager une adoption plus large de pratiques agricoles durables.

1. Élargir l’Assurance Multirisque Climatique (MRC) aux risques sanitaires et expérimenter dans les exploitations labellisées AB & HVE

Cette proposition s’appuie sur l’infrastructure déjà en place pour l’assurance récolte, qui connaît une diffusion croissante dans le monde agricole. En élargissant la MRC aux risques sanitaires, les agriculteurs seraient encouragés à adopter des pratiques plus résilientes et respectueuses de l’environnement.

Ce dispositif viendrait en complément des subventions, offrant ainsi un soutien financier supplémentaire aux exploitations en transition. Les assurances pourraient bénéficier d’une expertise plus structurée et d’un processus simplifié pour évaluer les sinistres.

Cependant, la modélisation reste complexe et coûteuse. En effet, la difficulté à modéliser les risques sanitaires entraîne des coûts élevés, tant pour les assureurs que pour les exploitations agricoles. 

De plus, les frais administratifs liés à la gestion de ces polices d’assurance risquent de limiter leur adoption. Et, les agriculteurs pourraient être confrontés à des primes d’assurance significativement plus élevées.

2. Élargir le Fonds de Mutualisation des Risques Sanitaires et Environnementaux (FMSE) aux pertes économiques liées aux maladies et ravageurs

Cette deuxième proposition prévoit d’augmenter ou de supprimer le plafond de 30%. Actuellement, l’État ne peut intervenir au-delà de ce seuil, ce qui limite l’efficacité du FMSE. L’augmentation ou la suppression de ce plafond permettrait une meilleure prise en charge des pertes économiques.

Cette mesure est rendue possible par le règlement de l’UE (n° 1305/2013), qui offre une marge de manœuvre pour renforcer le FMSE. Mais le fonds dispose de ressources limitées, et les démarches administratives pour en bénéficier sont complexes, ce qui pourrait dissuader certains agriculteurs.

3. Développer et déployer l’assurance paramétrique

Le principe de cette proposition consiste en un déclenchement de l’assurance paramétrique basé sur des indices prédéfinis. Ainsi, l’assurance paramétrique s’active automatiquement lorsque des seuils spécifiques sont atteints, selon des indices établis par l’assureur.

En liant l’indemnisation au respect de « bonnes pratiques » et à un cahier des charges, ce système encourage des pratiques agricoles plus durables tout en limitant les risques pour l’assureur. L’absence d’expertise terrain réduit les coûts administratifs, rendant cette option potentiellement plus accessible. Ce type d’assurance pourrait simplifier le processus pour les agriculteurs, tout en réduisant les primes d’assurance.

Cependant, la gestion de cette assurance repose sur des technologies numériques avancées, qui peuvent être difficiles à maîtriser pour certains agriculteurs. De plus, l’absence de données historiques suffisantes complique la précision des modèles de risque.

Par ailleurs, le risque de base, s’il est mal modélisé, peut être injustement supporté par les agriculteurs, remettant en question l’adhésion à ce type de système. La réticence du monde agricole à adopter des systèmes numérisés pourrait freiner l’adoption de cette solution.

Deux pistes d’action pour la mise en œuvre des propositions assurantiels

Pour concrétiser les propositions avancées par la Banque des Territoires, plusieurs étapes clés et pistes d’action sont à envisager. Ces actions visent à tester, adapter, et déployer progressivement des dispositifs assurantiels capables de soutenir la transition agricole tout en sécurisant les exploitations face aux risques sanitaires et économiques liés à la réduction des pesticides.

1. Expérimentation sur des pratiques avec historique

La première étape consiste à expérimenter des dispositifs assurantiels sur des pratiques agricoles déjà bien documentées, en contractualisant avec des coopératives engagées et des réseaux expérimentaux structurés, tels que les exploitations labellisées AB (Agriculture Biologique), HVE (Haute Valeur Environnementale), et les fermes Dephy.

Il est recommandé de focaliser ces expérimentations sur des cultures à bas niveaux d’intrants, telles que le chanvre, le sarrasin ou encore les légumineuses, qui présentent des historiques de pertes importants. Ces cultures sont particulièrement pertinentes pour tester les dispositifs assurantiels dans un contexte de transition vers des pratiques agricoles plus durables.

Ces expérimentations doivent être menées en complémentarité avec d’autres dispositifs innovants, afin d’encourager leur adoption par les acteurs agricoles. Parmi les actions possibles la Banque des Territoires propose :

  • Réseaux expérimentaux de biocontrôle : Mettre en place des réseaux dédiés au développement et à l’expérimentation de produits de biocontrôle.
  • Assurance couplée à un PSE : Déployer un outil d’assurance en complémentarité avec un Paiement pour Services Environnementaux (PSE) sur des zones prioritaires telles que les aires de captage.
  • Assurance liée à l’utilisation d’OADs : Promouvoir un outil d’assurance en lien avec l’utilisation d’Outils d’Aide à la Décision (OADs), permettant une meilleure gestion des risques en temps réel.

2. Création d’une structure parapublique

Une fois les premières expérimentations menées, il est crucial de créer une structure parapublique dédiée à la sécurisation des transitions agricoles. Cette entité aurait pour mission de centraliser les données, d’analyser les conclusions des différentes expérimentations, et de soutenir l’élargissement des projets à d’autres cultures et régions. 

Cette structure pourrait s’appuyer sur le projet ARRUPVICO pour poursuivre les efforts de recherche et développement.

Le rôle crucial des assurances dans la transition agricole.

La réduction des produits phytosanitaires représente un enjeu majeur pour la transition écologique du secteur agricole. Le déploiement d’outils assurantiels adaptés constitue une étape essentielle pour sécuriser cette transition et protéger les agriculteurs face aux risques sanitaires. Dans ce rapport, la Banque des Territoires met en avant le rôle crucial des assurances dans le déploiement des outils assurantiels adaptés pour prendre en charge les risques sanitaires. 

Toutefois, ces initiatives ne pourront pleinement réussir qu’avec la collaboration active des collectivités locales, des acteurs amonts et des coopératives agricoles.

Dans la continuité de cette réflexion, nous explorerons plus en détail comment ces acteurs peuvent collaborer de manière effective pour garantir la réussite de ces nouvelles formes d’assurance, véritable levier pour une agriculture durable et résiliente.

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