Dans notre article « Réduction des pesticides : vers une couverture assurantielle innovante », nous avons exploré l’étude d’Anna Antraygues, appuyée par Thaïs Pinel, sur la nécessité d’une assurance dédiée à la transition agricole.
Mais si ce mémoire, commandité par le directeur de la Transition Ecologique, Gil Vauquelin, pour le compte de la Banque des Territoires, tend à établir qu’il devient crucial de développer ou d’adapter un tel produit assurantiel, il explore également la faisabilité de cette assurance.
Une dynamique croissante
À l’échelle nationale, la question de l’assurance liée à la réduction des produits phytosanitaires commence à se frayer un chemin dans divers projets expérimentaux. Parmi les initiatives notables, l’étude d’Anna Antraygues fait ressortir deux expérimentations principales :
- Protocoles de traitement assurables en vigne :
Dans le Bordelais, l’Institut Français de la Vigne (IFV) en collaboration avec Groupama a déployé un programme d’assurance dans le cadre du projet Vitirev, visant à réduire les indices de fréquence de traitement (IFT).
Dans la région de Cognac, un projet similaire a été initié avec Axa Climate. Ces expérimentations ont permis de tester des pratiques efficaces pour réduire l’utilisation des pesticides, bien qu’elles posent encore des questions quant à leur viabilité économique pour les assureurs et les coopératives.
- Projet ARRUP-VICO :
Depuis 2022, l’Office Français de la Biodiversité (OFB) finance un projet coordonné par l’IFV, en partenariat avec cinq autres acteurs du secteur technique et du développement agricole.
Ce projet, intitulé « Assurabilité des Risques liés à la Réduction des Usages Phytosanitaires sur Vigne et Colza » (ARRUP-VICO), vise à combler le manque de modélisation des risques associés à l’adoption de nouvelles pratiques. Il cherche également à démontrer la faisabilité technique et financière de mettre en place un système assurantiel pour ces risques.
Ces initiatives permettent de coordonner les différents acteurs impliqués et de tester la faisabilité d’une couverture assurantielle pour les risques liés à la réduction des pesticides. Cependant, elles mettent également en évidence les défis économiques et techniques que posent de telles initiatives.
Les freins à cette dynamique
Malgré l’émergence de ces projets, plusieurs obstacles freinent le déploiement plus large de produits assurantiels adaptés :
- Coût élevé des pertes et des cotisations : Les pertes potentielles liées à la réduction des pesticides, et donc les cotisations d’assurance, sont environ dix fois plus élevées que pour les assurances récolte multirisque climatique (MRC). Ce coût constitue un frein majeur à l’adoption de telles assurances.
- Coûts de gestion : Le suivi des pratiques agricoles et des pressions sanitaires associées engendre des coûts de gestion élevés. Ces coûts sont amplifiés par un manque de connaissances sur les risques spécifiques liés à la réduction des pesticides.
- Complexité des contrats : Il est difficile de mettre en place des contrats d’assurance qui couvrent à la fois les risques climatiques et les risques sanitaires. Cette complexité contractuelle freine le développement de solutions assurantielles intégrées.
- Manque de Recherche et Développement (R&D) : Le secteur de l’assurance manque d’implication et d’investissement dans la R&D, nécessaire pour mieux comprendre et modéliser les risques associés à la réduction des pesticides.
- Contexte politique défavorable : La réforme de l’assurance récolte subventionnée, qui ne couvre désormais que les risques climatiques, et les controverses entourant la politique de réduction des produits phytosanitaires aggravent ces freins. Le fort investissement public et privé déjà requis pour les risques climatiques laisse peu de place pour l’extension de la couverture aux risques sanitaires, dans un contexte où la réduction des pesticides est également contestée.
Ces freins montrent que, bien que des efforts soient déployés pour explorer la faisabilité d’assurances adaptées, le chemin vers une solution assurantielle viable pour la réduction des pesticides reste semé d’embûches. Une collaboration accrue entre les secteurs de l’assurance, de l’agriculture et des pouvoirs publics est essentielle pour surmonter ces obstacles.
Les conditions essentielles pour la réussite d’un dispositif assurantiel
Pour mobiliser efficacement les agriculteurs, les filières agricoles et les assureurs autour d’une assurance dédiée aux changements de pratiques agricoles, plusieurs conditions doivent être remplies, selon les entretiens réalisés au cours de cette étude.
- Intervention financière publique : Il est crucial que les pouvoirs publics s’impliquent financièrement, notamment en matière de recherche et développement (R&D) et dans le déploiement de dispositifs pérennes. Cette intervention permettrait de soutenir la mise en place de référentiels robustes et de financer les premières étapes du déploiement de ces dispositifs assurantiels.
- Participation de tous les acteurs : Les acteurs situés en aval des filières agricoles (distributeurs, transformateurs, etc.) doivent être inclus dans la conception et la mise en œuvre de ces assurances. Leur implication est nécessaire pour assurer une cohérence tout au long de la chaîne de valeur, du producteur au consommateur final.
- Partenariats Publics-Privés : La réussite de ce dispositif repose sur la formation de partenariats solides entre les instituts techniques et les assureurs. Ces partenariats doivent viser à définir et suivre des cahiers des charges qui encouragent un changement systémique des pratiques agricoles, tout en garantissant une simplicité d’accès aux contrats d’assurance. Les contrats collectifs sont particulièrement envisagés pour faciliter l’adhésion et la gestion de ces assurances.
La nécessité d’expérimentations avant un déploiement national
Avant de déployer ces dispositifs assurantiels à l’échelle nationale, il est essentiel de mener des expérimentations pour combler le manque de référentiels actuels, ajuster les coûts pour chaque acteur impliqué, et démontrer l’efficacité et la viabilité de ces dispositifs.
- Besoin de référentiels : Les expérimentations permettront de développer des données de référence fiables, indispensables pour calibrer les produits assurantiels en fonction des risques spécifiques liés à la réduction des pesticides.
- Accompagnement public : Les pouvoirs publics pourraient soutenir ces expérimentations via un fonds d’innovation, facilitant ainsi l’adaptation des dispositifs à différentes réalités locales et sectorielles.
- Exemples de porteurs potentiels : Plusieurs filières et territoires engagés peuvent servir de terrains d’expérimentation :
- Filière Agriculture Biologique (AB) : Cette filière est naturellement orientée vers une réduction drastique des intrants chimiques et pourrait bénéficier de dispositifs adaptés.
- Fermes Dephy : Ces exploitations pilotes, déjà engagées dans la réduction des intrants, offrent un cadre idéal pour tester ces nouvelles assurances.
- Collectivités sur aires de captage : Les zones sensibles sur le plan environnemental, comme les aires de captage d’eau, peuvent également être des terrains d’expérimentation.
- Distributeurs de produits de biocontrôle : Ces acteurs, déjà impliqués dans la réduction des pesticides, pourraient jouer un rôle clé dans la diffusion et l’acceptation des nouvelles pratiques assurées.
- Instituts techniques : En déployant des outils d’aide à la décision (OAD) de rupture, ces instituts peuvent contribuer à la mise en place d’une assurance plus adaptée aux nouvelles pratiques agricoles.
Adaptation des outils assurantiels existants
Parallèlement à ces expérimentations, il est indispensable que les acteurs de l’assurance récolte collaborent pour adapter les outils assurantiels actuels aux pratiques agricoles à faibles niveaux d’intrants.
Cela pourrait inclure la modification des critères de couverture et l’ajustement des primes pour mieux correspondre aux risques spécifiques associés à la réduction des pesticides.
L’assurance comme levier essentiel pour la transition écologique agricole
L’introduction d’un dispositif assurantiel couvrant les risques liés à la réduction des pesticides est une nécessité pour accompagner efficacement la transition écologique de l’agriculture. Si les freins sont nombreux, une approche structurée, basée sur des expérimentations locales et soutenue par un engagement public fort, pourrait poser les bases d’une solution viable et durable.
La collaboration entre agriculteurs, assureurs et acteurs publics sera déterminante pour transformer ces propositions en réalités opérationnelles.