Dans un contexte où les enjeux environnementaux et de santé publique liés à l’utilisation des produits phytosanitaires (PPS) sont de plus en plus pressants, les agriculteurs et les filières agricoles se retrouvent face à un dilemme complexe.
Bien que la nécessité de réduire l’usage des pesticides soit largement reconnue, les aléas de production associés à cette transition écologique représentent un obstacle majeur.
C’est dans ce cadre que le mémoire de thèse professionnelle d’Anna Antraygues, appuyée par Thaïs Pinel, pour le compte de la Banque des Territoires et commandité par le directeur de la Transition Ecologique, Gil Vauquelin, explore la nécessité de solutions assurantielles pour sécuriser cette transition.
Les limites des mécanismes financiers actuels
Actuellement, les mécanismes financiers existants ne couvrent pas suffisamment les pertes exceptionnelles de production liées à la réduction de l’usage des PPS. Cette insuffisance de couverture financière décourage les agriculteurs à adopter des pratiques plus écologiques, car les risques économiques associés à la transition ne sont pas correctement pris en charge.
La recherche menée dans le cadre de ce mémoire révèle que ces mécanismes ne sont pas suffisamment incitatifs pour encourager une transition durable et ambitieuse vers des pratiques agricoles moins dépendantes des intrants chimiques.
La nécessité d’une assurance dédiée à la transition agricole
Face à cette situation, l’étude propose la mise en place d’une assurance spécifique aux changements de pratiques agricoles. Cette assurance, conçue en partenariat entre le secteur public et le secteur privé, viserait à couvrir les risques liés à la réduction de l’usage des pesticides, tout en incitant les agriculteurs à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement.
L’objectif est de créer un dispositif pérenne qui soutiendrait les agriculteurs dans cette transition en réduisant les incertitudes économiques liées aux aléas de production.
Une étude pluridisciplinaire pour une solution innovante
Pour explorer la faisabilité de cette assurance, l’étude s’appuie sur une revue bibliographique approfondie et des enquêtes menées auprès d’acteurs clés du secteur assurantiel et agricole. Ces entretiens ont permis de cerner les besoins spécifiques des différentes filières agricoles et d’identifier les risques les plus pertinents à couvrir.
De plus, l’étude met en lumière l’importance d’un soutien public, notamment en matière de recherche et développement (R&D), pour développer des outils assurantiels adaptés à la complexité des risques agricoles.
Les défis économiques de la réduction des pesticides
Les agriculteurs se heurtent à plusieurs obstacles économiques lorsqu’ils tentent de réduire l’utilisation des PPS. Les coûts liés aux investissements pour changer de système de production, les baisses de rendement et de qualité des produits, ainsi que les difficultés de valorisation des cultures de diversification sont autant de freins majeurs.
Selon la Cour des Comptes, les financements publics alloués à cette réduction, estimés à 800 millions d’euros entre 2009 et 2021, ne couvrent que partiellement les pertes subies par les exploitations, notamment lors d’années exceptionnellement difficiles. Ces dispositifs couvrent généralement jusqu’à 10 % du produit brut, laissant les agriculteurs exposés aux risques exceptionnels qui peuvent compromettre leur viabilité économique.
Limites des outils de gestion des risques actuels
Les outils de gestion des risques existants, tels que l’assurance récolte multirisque climatique (MRC) et le Fonds de mutualisation des risques sanitaires et environnementaux (FMSE), sont principalement conçus pour maintenir les activités agricoles existantes plutôt que pour encourager une transition vers des pratiques plus durables.
De plus, les programmes de réduction de l’usage des pesticides, comme le Plan Ecophyto ou la Stratégie Biocontrôle, abordent encore peu la question de la réduction des risques (« derisking ») associés à cette transition. En conséquence, les pesticides restent aujourd’hui le moyen le plus rentable pour les agriculteurs de gérer leurs exploitations, ce qui freine les progrès vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement.
Besoin d’un produit assurantiel adapté
Les entreprises de collecte et de distribution sont également confrontées à des aléas liés à la réduction des pesticides, notamment en matière de gestion des stocks. La diversification des cultures, nécessaire pour réduire l’usage des PPS, entraîne des incertitudes quant à la rentabilité des outils de collecte et de transformation, ainsi que des difficultés pour répondre aux exigences des marchés.
Bien que certaines assurances, telles que les couvertures de « carence d’apport », aient été développées pour atténuer ces risques, elles ne sont pas systématiquement mises en place et ne sont pas toujours orientées vers la transformation du modèle économique pour réduire l’utilisation des PPS.
Vers une solution assurantielle complémentaire
Face à ces défis, il devient crucial de développer ou d’adapter un produit assurantiel capable de couvrir les pertes exceptionnelles liées à la réduction des pesticides. Ce produit ne doit pas être considéré comme un outil auto-suffisant, mais plutôt comme un complément aux dispositifs existants, dans le but de massifier la réduction de l’usage des PPS.
L’assurance pourrait ainsi jouer un rôle clé en sécurisant les agriculteurs dans leur transition vers des pratiques plus durables, tout en les protégeant contre les risques économiques imprévus.
C’est en ce sens que, dans la suite de son mémoire, Anna Antraygues développe les dynamiques et les enjeux pour la mise en place de nouveaux produits d’assurance nécessaires à une transition agricole durable.