Assureurs : des liens entre santé et changement climatique ?

Nous poursuivons notre exploration des liens entre la santé et le changement climatique, un sujet que nous avons déjà abordé dans un précédent article « La santé et le changement climatique, alors, on se bouge ? »

Dans cet article, nous nous penchons sur une discussion passionnante entre Nabil Wakim et le médecin épidémiologiste Jean David Zeitoun dans l’émission de podcast « Chaleur Humaine« .

Ensemble, ils examinent comment nos activités humaines sont à l’origine de nombreuses maladies graves et discutent des mesures que nous pouvons prendre pour inverser cette tendance tout en améliorant la santé publique et en combattant le changement climatique.

Un tournant historique pour la santé

Bien que la médecine progresse constamment grâce à des investissements continus et à une volonté universelle de vivre mieux et plus longtemps, Jean David Zeitoun commence par expliquer que la santé globale recule. Selon lui, nous pourrions être à un tournant historique où les progrès continus en matière de santé pourraient s’inverser.

L’indicateur le plus parlant est l’espérance de vie qui, historiquement, augmentait régulièrement à un rythme de trois mois par an. Cependant, depuis 2010, cette tendance n’est plus aussi claire, et des indicateurs comme la mortalité infantile et la mortalité cardiovasculaire montrent également des signes de stagnation ou de déclin.

Les États-Unis sont emblématiques de cette tendance négative. Avant même la pandémie de Covid-19, l’espérance de vie aux États-Unis avait atteint un sommet en 2014 avant de décliner pendant trois années consécutives, de stagner, puis de décliner à nouveau avec la pandémie, qui a joué le rôle d’accélérateur mais n’est pas la cause principale de cette tendance.

Santé et environnement : un défi global

Zeitoun poursuit en expliquant que les problèmes rencontrés par les États-Unis, bien que plus intenses, sont en réalité représentatifs de défis occidentaux et mondiaux. Il évoque notamment les déterminants environnementaux et comportementaux qui ruinent à la fois la santé humaine et l’environnement. Les activités industrielles et les modes de vie modernes contribuent à la pollution de l’air et à l’augmentation des maladies chroniques comme l’obésité et le diabète.

Ces problématiques sont également abordées dans le dernier rapport du GIEC, mentionné par Wakim, qui souligne que la lutte contre le changement climatique peut aussi améliorer la santé humaine. Céline Guivarch, économiste et ancienne invitée de l’émission, avait affirmé que l’atteinte des objectifs climatiques peut aller de pair avec une amélioration globale de la santé.

Zeitoun argue que mener simultanément la bataille pour le climat et celle pour l’amélioration de la santé humaine est non seulement possible, mais nécessaire. En s’attaquant sérieusement aux problèmes environnementaux, on peut non seulement limiter le réchauffement climatique mais aussi regagner de l’espérance de vie et améliorer la qualité de vie.

La pollution : un enjeu de santé publique

Dans la suite de l’interview, Jean David Zeitoun approfondit la discussion sur les défis actuels de la santé mondiale, notamment l’influence déterminante de la pollution.  Il décrit ce phénomène comme le principal risque environnemental mondial, précisant que la pollution est responsable de 9 millions de décès annuels. Elle touche majoritairement les pays les moins riches mais reste significative même dans des pays développés comme la France, où elle cause environ 50 000 morts par an.

Zeitoun souligne la difficulté de quantifier précisément l’impact de la pollution en raison de son caractère non spécifique. Les maladies causées par la pollution, comme les maladies cardiovasculaires et les cancers, sont courantes mais souvent attribuées à des facteurs individuels tels que le tabagisme ou l’obésité plutôt qu’à l’exposition environnementale.

Cette difficulté de reconnaissance résulte en une sous-estimation de l’impact réel de la pollution sur la santé publique. Il ajoute que, bien qu’il soit possible de lier certains types de pollution à des maladies spécifiques, cette connexion n’est pas encore largement acceptée ou intuitive.

L’impact de l’alimentation sur la santé et l’environnement

Jean David Zeitoun aborde un autre grand champ de réflexion de son livre : la question de l’alimentation. Il insiste sur le fait qu’une partie significative des maladies modernes est directement liée à ce que nous mangeons, en particulier à la consommation d’aliments ultra-transformés.

Zeitoun définit les aliments ultra-transformés comme ceux qui ont subi de nombreuses transformations industrielles par rapport à leur état d’origine comme les chips, les pizzas et les repas préparés industriels. Contrairement aux aliments simplement transformés comme le pain, le fromage et les yaourts, ces produits se révèlent extrêmement nocifs pour la santé.

Le danger des aliments ultra-transformés a été identifié tardivement, un phénomène courant en épidémiologie où les risques sont souvent détectés des années après leur émergence. Zeitoun explique que les conséquences de la consommation de ces produits vont au-delà de l’obésité.

En effet, bien que l’obésité soit responsable de 5 millions de morts par an, il existe d’autres maladies métaboliques et cancers qui surviennent sans obésité, ce qui fait que l’impact total de l’alimentation est comparable à celui de la pollution.

L’impact économique des risques sanitaires et environnementaux

Dans la suite de l’interview Jean David Zeitoun aborde la question cruciale du coût économique des risques liés à la pollution et à l’alimentation. Il explique que, bien qu’il soit difficile de chiffrer précisément ces coûts, des estimations existent et révèlent des chiffres colossaux.

Alors que les chiffres spécifiques aux coûts de la pollution en France ne sont pas disponibles, les estimations européennes et américaines sont significatives. La pollution chimique coûte des centaines de milliards d’euros par an, représentant entre 1 et 3% du PIB. Cela souligne l’énorme impact économique de la pollution, bien au-delà de ses seuls effets sanitaires.

Concernant l’obésité, Zeitoun indique que les dépenses directes liées à cette condition en France s’élèvent à 11 milliards d’euros par an. Ce chiffre, cependant, est une sous-estimation car il ne prend pas en compte les coûts indirects tels que la perte de productivité au travail et les autres maladies provoquées par une alimentation inappropriée.

L’activité humaine et le risque croissant de pandémies

Jean David Zeitoun met en lumière le lien inquiétant entre l’activité humaine et l’émergence croissante de nouvelles pandémies. Bien que l’origine précise de la pandémie de Covid-19 fasse encore débat, Zeitoun affirme sans équivoque que les activités humaines augmentent le risque de pandémies.

Zeitoun explique que l’émergence de nouveaux pathogènes, c’est-à-dire de nouveaux microbes, suit une tendance linéaire d’augmentation depuis les années 60. Chaque décennie révèle plus de nouveaux microbes que la précédente. Cette tendance s’est manifestée de manière alarmante au XXIe siècle avec l’apparition de quatre pandémies en seulement onze ans, une fréquence sans précédent dans l’histoire mondiale. La pandémie de Covid-19, qui a causé un excédent de 18 millions de morts en 2020 et 2021, en est l’exemple le plus frappant et le plus dévastateur.

La double transition : climat et épidémiologie

Concept déjà développé par Zeitoun dans une tribune publiée dans « Le Monde », l’épidémiologiste explore l’idée de mener simultanément la transition climatique et la transition épidémiologique.

La transition épidémiologique signifiant revenir à des causes de maladies plus naturelles et moins influencées par les activités humaines, il explique que ces deux transitions doivent être menées de front car elles sont intrinsèquement liées. Les causes de nos problèmes de santé et environnementaux sont souvent les mêmes, donc les solutions peuvent également être partagées.

Par exemple, adopter une alimentation plus végétale, moins chimique et moins quantitative est à la fois bénéfique pour l’environnement et pour la santé. De même, privilégier les transports « manuels » (comme la marche ou le vélo) plutôt que ceux utilisant des énergies fossiles est avantageux pour la planète et la santé humaine.

Les politiques de santé publique : un modèle pour l’alimentation

Zeitoun rappelle que l’histoire a montré qu’il est possible de réprimer efficacement certains risques grâce à des interventions légales et économiques. Il cite le tabac, la pollution de l’air dans les pays riches, la consommation d’alcool dans certains pays, et la réduction de l’exposition au plomb comme exemples de succès. Le taux de tabagisme a diminué malgré l’augmentation démographique, et des mesures telles que l’interdiction de fumer dans certains lieux, l’interdiction de la publicité pour les cigarettes, et la réglementation de l’emballage des cigarettes ont contribué à cette baisse.

Cependant, ces interventions n’ont pas été appliquées aux risques contemporains tels que la pollution chimique et les problèmes alimentaires. Selon lui, des mesures réglementaires et fiscales pourraient être efficaces pour réduire la consommation d’aliments ultra-transformés, comme ça l’a été pour le tabac.

Mais, il insiste sur le fait que l’équation économique finale doit être neutre ou positive pour les consommateurs. En d’autres termes, il faut que les gens aient accès à des produits frais et simples à un coût équivalent ou inférieur.

La nécessité de régulations plus strictes

D’après Zeitoun, bien que des outils comme le Nutri-Score soient un pas dans la bonne direction, ils ne suffisent pas à eux seuls. Pour un véritable impact sur la santé publique, des régulations plus strictes et une combinaison de mesures économiques et légales sont nécessaires. En informant les consommateurs, en restreignant les composants nocifs, en interdisant la publicité pour les aliments malsains et en régulant leur placement dans les magasins, il est possible de créer un environnement qui favorise des choix alimentaires plus sains et de surmonter les barrières économiques qui limitent ces choix.

Zeitoun propose que des mesures de régulation plus strictes pourraient être mises en place pour limiter la teneur en substances nocives dans les aliments. Il donne l’exemple de la limitation des acides gras transformés dans certains comtés de l’État de New York, une mesure qui a conduit à une baisse de la mortalité cardiovasculaire. Des régulations similaires pourraient être appliquées pour limiter la teneur en fructose par exemple, un sucre particulièrement mauvais pour la santé.

Insuffisance de la régulation de l’industrie chimique

Zeitoun critique sévèrement la régulation actuelle de l’industrie chimique, soulignant que la majorité des produits chimiques commercialisés chaque année ne sont pas suffisamment testés quant à leurs effets sur la santé humaine.

Il utilise l’exemple des polluants éternels, les PFAS, pour illustrer les dangers de cette insuffisance de régulation. Les PFAS sont présents dans de nombreux objets du quotidien et sont responsables de centaines de milliers de maladies et de décès chaque année à travers le monde, principalement par le biais de cancers et de maladies cardiovasculaires. Si ces substances avaient été testées correctement, avec des études animales de qualité, elles n’auraient jamais été autorisées sur le marché.

La contradiction des injonctions : entre gestes individuels et efforts collectifs

Jean David Zeitoun qualifie de « provocation et d’hypocrisie » la situation actuelle où des messages de santé publique comme « manger 5 fruits et légumes par jour » coexistent avec des publicités pour des produits malsains. De même, les publicités pour des voitures polluantes accompagnées de messages incitant à réduire les déplacements pour moins polluer illustrent cette contradiction.

Il dénonce le fait que, depuis des décennies, les politiques de santé ont permis aux industries alimentaires de proposer librement des produits malsains tout en demandant aux individus de modérer leur consommation. Cette approche a échoué, comme en témoigne la pandémie mondiale d’obésité. Laisser l’offre prospérer et espérer que la demande se régule d’elle-même est une stratégie viciée qui n’a produit que des résultats catastrophiques.

Wakim soulève la question du plaisir associé à la consommation de produits comme les burgers et les sucreries, ainsi que l’usage de la voiture, souvent perçue comme un symbole de liberté. Zeitoun reconnaît que ces habitudes alimentaires et comportementales sont profondément enracinées dans notre culture. Cependant, il rappelle qu’il y a déjà eu un changement culturel majeur de l’alimentation fraîche vers l’alimentation transformée, et il ne voit pas pourquoi un changement inverse ne serait pas possible.

Nécessité d’une transition économique et impact économique

Wakim soulève un point essentiel : de nombreux secteurs industriels, comme ceux produisant de grosses voitures ou des aliments ultra-transformés, représentent des emplois et une valeur économique considérable. La question est de savoir comment effectuer une transition sans sacrifier ces emplois.

Zeitoun rappelle que, bien que ces industries créent de la valeur économique selon les normes actuelles, principalement mesurées par le produit intérieur brut (PIB), elles causent aussi des dommages considérables à la santé publique et à l’environnement. Il insiste sur le fait que les industries qui produisent de grosses voitures et des aliments ultra-transformés détruisent plus de valeur qu’elles n’en créent. Les coûts cachés, en termes de santé publique et de dégradation environnementale, sont énormes. Ces coûts indirects finissent par peser lourdement sur l’économie à long terme, sous forme de dépenses de santé accrues, de pertes de productivité et de dégradation des ressources naturelles.

Pour Zeitoun, l’argument économique en faveur du maintien de ces industries ne tient pas. Il appelle à une transition économique qui prenne en compte la santé publique et la durabilité environnementale. Cette transition nécessite de reconfigurer les modèles économiques pour privilégier des industries qui génèrent de la valeur sans détruire l’environnement ni compromettre la santé des populations.

Une lueur d’espoir pour les politiques climatiques selon Nabil Wakim

Dans cet épisode de « Chaleur Humaine », Nabil Wakim conclut sa discussion avec Jean David Zeitoun en tirant des leçons clés et en exprimant une note d’espoir quant à la mise en œuvre de politiques climatiques nécessaires.

Wakim retient d’abord l’idée que les risques majeurs auxquels nous sommes confrontés, tels que la pollution chimique et l’obésité, sont des conséquences de nos propres actions. Cependant, la bonne nouvelle est qu’il est possible de renverser ce système destructeur, même si cela signifie renoncer à certains plaisirs.

Il souligne ensuite que si le changement climatique n’est pas actuellement la plus grande menace pour la santé humaine, il pourrait le devenir si nous ne changeons pas de trajectoire. Il décrit le changement climatique comme un  » : Rappelant que la pollution de l’air combinée à la montée des températures triple les risques de maladies cardiovasculaires, il est « multiplicateur de risques » sanitaires y compris en France.

Le troisième point important est que des politiques de santé publique bien conçues peuvent également lutter contre le changement climatique. En améliorant notre santé, nous pouvons réduire les émissions de gaz à effet de serre et vice versa. Des mesures telles que la réduction de la place de la voiture en ville, la réglementation des aliments ultra-transformés et l’interdiction des produits chimiques nocifs offrent des bénéfices immédiats pour la santé et le climat.

Enfin, Wakim met en avant la dimension démocratique de ces enjeux. Il souligne que personne ne bénéficie de l’inaction en matière de politiques de santé et de climat, à l’exception de certains secteurs industriels à court terme. Pour contrer cela, il est crucial de mobiliser collectivement et d’exercer une forte pression citoyenne pour que les politiques publiques suivent un chemin bénéfique pour tous.

Cette discussion avec Jean David Zeitoun a été riche en enseignements, soulignant la nécessité d’une action concertée et systémique pour améliorer notre santé et protéger notre planète.

Ce sujet, important pour les acteurs de l’assurance, sera traité dans les semaines à venir par Vovoxx Média. N’hésitez pas à nous contacter.

 

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