En juin 2024, l’ADP Research Institute a publié une étude capitale intitulée « People at Work 2024 : l’étude Workforce View », explorant les dynamiques du travail dans 18 pays, y compris la France.
Après l’Observatoire 2024 du travail hybride dont nous vous parlions dans cet article, cette nouvelle enquête mondiale, impliquant plus de 34 000 participants, dresse un état des lieux des modes de travail flexible, une révolution qui avait pris de l’ampleur lors de la pandémie de COVID-19.
Évolution des modes de travail après la pandémie
Le rapport révèle une tendance croissante à retourner sur les sites de travail, un revirement significatif après l’engouement initial pour le télétravail. En France, la part des travailleurs exclusivement sur site est passée de 65 % à 69 % en seulement un an, surpassant la moyenne mondiale qui se situe à 55 %.
Parallèlement, le modèle hybride, qui combine télétravail et présence en bureau, semble perdre du terrain en France où il chute de 26 % à 20 %, un déclin notable par rapport à la moyenne globale de 34 %. Toutefois, le télétravail n’est pas en reste avec une augmentation de ceux qui pratiquent cette forme de travail à plein temps, passant de 9 % à 11 % en France.
Cette évolution suggère un changement dans l’acceptation du télétravail et du travail hybride parmi les employeurs français, peut-être en réponse à une meilleure compréhension des défis et des opportunités que ces modes de travail présentent.
Alors que le monde sort progressivement de l’ombre de la pandémie, les entreprises et les salariés semblent réévaluer et adapter leurs préférences de travail, influençant ainsi les pratiques professionnelles sur le long terme.
De la priorité à la flexibilité dans le milieu de travail
Selon cette étude, la flexibilité des horaires de travail est devenue moins prioritaire pour les salariés français, passant de 31 % en 2023 à 26 % en 2024. Cette tendance se révèle encore plus marquée pour la flexibilité du lieu de travail, considérée importante par seulement 12 % des répondants, contre 15 % en 2023.
Les facteurs tels que le salaire, le plaisir au travail, et la sécurité de l’emploi continuent de dominer les priorités des employés français. Avec 63 % des travailleurs mettant en avant le salaire comme facteur clé, suivi du plaisir au travail (44 %) et de la sécurité de l’emploi (34 %), la flexibilité se trouve reléguée au second plan. Cette hiérarchie des priorités place la France légèrement en dessous des moyennes européenne et mondiale pour la valorisation de la flexibilité du lieu de travail.
Intéressant à noter, les secteurs de l’informatique, des télécommunications et de la finance, ainsi que certaines tranches d’âge, notamment les 35-44 ans, montrent une inclinaison plus marquée pour la flexibilité des horaires. Les femmes également sont plus nombreuses que les hommes à valoriser cette flexibilité.
Un aspect révélateur de l’étude concerne la perception des employés ayant de jeunes enfants. Parmi ces derniers, 34 % estiment que leur employeur a augmenté la flexibilité des horaires de travail au cours de l’année écoulée, un sentiment beaucoup plus fort que parmi l’ensemble des travailleurs. Ce taux diminue progressivement avec l’âge des enfants, mettant en lumière la sensibilité des politiques d’entreprise aux besoins des parents de nourrissons.
Les jeunes travailleurs âgés de 18 à 24 ans semblent bénéficier d’une plus grande flexibilité de la part de leurs employeurs, tant en termes d’horaires que de lieu de travail, par rapport à leurs collègues plus âgés. Cette différence peut refléter une adaptation des entreprises aux attentes des nouvelles générations qui valorisent l’autonomie et l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
Ces résultats dressent un portrait d’un paysage de travail en mutation, où la flexibilité, bien que valorisée, est confrontée à la réalité des besoins et des priorités changeants des salariés en France.
Perception de la surveillance au travail
L’adoption croissante du télétravail et du travail hybride soulève des questions nouvelles sur la surveillance des employés par leurs organisations. Selon les résultats de cette enquête, une majorité significative de télétravailleurs, soit 56 %, ressent une surveillance accrue de leurs horaires et de leur présence par leur employeur, comparativement à 50 % de l’ensemble des salariés français. Cette sensation de surveillance est moins prononcée chez les collaborateurs qui adoptent un modèle de travail hybride, avec seulement 43 % partageant ce sentiment.
Le ressenti de surveillance est particulièrement marqué chez les cadres supérieurs, où 59 % estiment que leur employeur les surveille de près, un taux nettement supérieur à celui des non-managers qui s’élève à 44 %. Cette différence peut refléter une responsabilité plus grande et une visibilité accrue associées à des postes de management supérieur.
Les secteurs d’activité influencent également cette perception. Les employés des secteurs du commerce, de la restauration-hôtellerieet des loisirs rapportent le plus haut niveau de surveillance, avec 61 % se sentant étroitement surveillés. Cette tendance est également forte dans les secteurs de la vente, des médias et du marketing, où 60 % des travailleurs partagent cette opinion. À l’opposé, les professionnels de l’éducation ressentent le moins cette surveillance, avec seulement 36 % exprimant une telle préoccupation.
Ces résultats mettent en lumière les défis liés à la gestion de la surveillance dans des environnements de travail de plus en plus numérisés. Ils soulèvent des questions importantes sur l’équilibre entre la supervision nécessaire et la confiance dans les environnements professionnels modernes, surtout à une époque où la flexibilité et l’autonomie sont hautement valorisées par les employés.
La semaine de quatre jours : entre intérêt et hésitations
La perspective d’une semaine de travail de quatre jours, tout en conservant le même salaire mais avec des journées de travail allongées, continue de susciter l’intérêt en France, bien que cet intérêt soit en légère baisse par rapport à l’année précédente. Selon l’étude de l’ADP Research Institute, 35 % des salariés français seraient favorables à cette option, contre 37 % en 2023.
L’analyse détaillée révèle des variations significatives selon les modes de travail, les groupes d’âge, et les secteurs d’activité. Les travailleurs hybrides montrent une préférence plus marquée pour la semaine de quatre jours, avec 38 % d’entre eux soutenant cette idée, comparé à seulement 32 % pour ceux en télétravail à 100 %. Cette configuration attire particulièrement les 25-34 ans, où 38 % soutiennent l’idée, en contraste avec seulement 22 % des 18-24 ans.
Les femmes montrent également une légère préférence pour cette réduction du temps de travail, avec 38 % d’entre elles en faveur, contre 33 % des hommes. Par secteur, les employés dans les services (46 %), les voyages et transports (43 %), ainsi que le commerce, l’hôtellerie, la restauration et les loisirs (40 %) expriment le plus grand intérêt pour la semaine de quatre jours.
Un aspect crucial de l’acceptation de la semaine de quatre jours est la condition de maintenir un salaire identique. Seulement 3 % des répondants, une baisse significative par rapport aux 9 % de 2023, seraient prêts à adopter ce modèle de travail pour une rémunération inférieure. De plus, 22 % des salariés considéreraient une semaine de travail plus courte comme une alternative acceptable en l’absence de possibilité d’augmentation salariale.
Cette partie de l’étude met en lumière les nuances de l’intérêt des salariés français pour la semaine de travail réduite, soulignant les divers facteurs qui influencent leur décision, de la configuration du travail à la rémunération en passant par les spécificités sectorielles.
Divergence des attentes au travail : un défi multigénérationnel
À mesure que la dynamique démographique des entreprises évolue avec l’intégration continue de jeunes professionnels et l’allongement des carrières des seniors, comprendre et répondre aux attentes variées de ces groupes d’âge distincts devient un impératif pour les organisations. L’étude révèle des contrastes significatifs dans les priorités et les attentes des différentes générations sur le lieu de travail.
Les jeunes travailleurs, âgés de 18 à 24 ans, qui commencent tout juste à s’installer sur le marché du travail, montrent des priorités différentes par rapport à leurs aînés. Seulement 26 % de ces jeunes professionnels considèrent le plaisir quotidien au travail comme une priorité absolue, contre 51 % des seniors de plus de 55 ans. Cette divergence suggère que, pour les jeunes, d’autres aspects de leur vie professionnelle pourraient être prioritaires ou que leur conception du plaisir au travail diffère de celle des générations précédentes.
La flexibilité des horaires, souvent vantée comme une amélioration qualitative de la vie professionnelle, n’est pas perçue de la même manière à travers les tranches d’âge. Parmi les jeunes de 18 à 24 ans, seulement 19 % valorisent cette flexibilité, comparativement à 30 % chez les 35-44 ans et 27 % chez les 24-34 ans. Cela pourrait refléter une quête de structure ou de sécurité de la part des plus jeunes qui entrent sur le marché du travail.
En matière de rémunération, les différences sont encore plus marquées. Les travailleurs les plus âgés, ceux de 55 ans et plus, sont les plus nombreux (72 %) à placer le salaire au sommet de leurs priorités, suivis de près par ceux de 45 à 54 ans (70 %). Cependant, pour les jeunes travailleurs, le salaire n’est le critère le plus important que pour 40 % d’entre eux. Cette perspective pourrait indiquer une approche plus équilibrée de la vie ou des attentes différentes en ce qui concerne les récompenses non financières du travail.
Ces distinctions mettent en évidence le défi pour les entreprises de développer des politiques et des pratiques qui répondent efficacement aux besoins d’une main-d’œuvre diversifiée. À l’heure où les entreprises cherchent à optimiser leur gestion des talents, reconnaître et valoriser ces divers besoins sera crucial pour promouvoir un environnement de travail inclusif et motivant pour tous.
Adaptation continue dans un paysage de travail en mutation
Quatre ans après un tournant majeur vers le télétravail et les modèles hybrides, le paysage professionnel continue sa transformation.
L’étude « People at Work 2024 » montre que, bien que la flexibilité reste importante, les priorités des salariés évoluent avec le temps et varient significativement selon l’âge et le secteur d’activité.
« Le désir de bénéficier de conditions de travail flexibles ne disparaît pas, il est simplement redéfini en fonction d’autres critères auxquels les travailleurs attachent de l’importance, tels que le plaisir au travail et la sécurité de l’emploi. Notre enquête offre une leçon importante aux employeurs : si les salariés apprécient l’autonomie qu’offre le travail flexible, ils ont également l’impression que leurs employeurs les surveillent davantage. Les organisations devraient fixer des normes claires concernant le travail hors site et les communiquer clairement à leurs collaborateurs afin d’entretenir la confiance » conclut Nela Richardson, Chief Economist d’ADP.