Dans une lettre à la 3ème chambre civile, Jean-François Zedda, conseiller référendaire à la troisième chambre civile de la Cour de cassation, met en lumière l’impact profond du changement climatique sur le secteur immobilier.
Avec une expertise juridique pointue, il explore comment les défis climatiques transforment radicalement les contentieux immobiliers et posent de nouveaux défis en matière de construction et de réglementation.
Vulnérabilité du bâti et rôle judiciaire
Le changement climatique augmente considérablement la vulnérabilité des bâtiments à leur environnement. Bien que certains dommages soient inévitables, J.F Zedda souligne que, comme l’ont rappelé les récents séismes en Turquie, le respect scrupuleux des normes de construction est crucial pour la sécurité.
Il met en avant un cas où la Cour de cassation a appliqué la garantie décennale pour le non-respect des normes parasismiques, soulignant l’importance de la prévention et de la conformité réglementaire dans la construction.
Défis posés par le changement climatique
Les modifications climatiques, en augmentant la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles telles que les inondations, tempêtes et sécheresses, imposent de nouveaux défis aux constructeurs et propriétaires.
J.F Zedda note spécifiquement l’impact des sécheresses répétées, qui affectent la stabilité des bâtiments par le mouvement des sols. L’ordonnance n°2023-78 a récemment modifié le code des assurances pour mieux couvrir ces événements sous la catégorie des catastrophes naturelles, un changement qui reconnaît l’évolution des risques climatiques.
Contentieux et réformes législatives
L’étude de Jean-François Zedda révèle également un besoin croissant de réformes législatives pour mieux informer les acheteurs et locataires des risques liés au changement climatique. Il critique l’insuffisance des mesures de prévention avant sinistre et met en lumière l’importance de l’information sur les risques, qui influence significativement la valeur des biens immobiliers et la décision des parties.
La récente jurisprudence de la Cour de cassation, considérant l’échouage d’algues sargasses comme un vice caché, illustre la complexité des contentieux liés à des phénomènes externes.
Le rôle crucial du secteur du bâtiment dans la lutte contre le changement climatique
Dans son analyse approfondie, Jean-François Zedda aborde une dimension essentielle de la crise climatique : le rôle prépondérant que joue le secteur du bâtiment dans l’atténuation des effets du réchauffement planétaire. Ce secteur, responsable d’un quart des émissions de gaz à effet de serre (GES) en Europe, se trouve au cœur des stratégies de réduction des émissions, imposant une révision de ses pratiques de construction et d’utilisation des ressources.
L’impact des réglementations thermiques et environnementales
Depuis le premier choc pétrolier dans les années 1970, les réglementations thermiques ont joué un rôle crucial dans la réduction de l’empreinte carbone des bâtiments. La réglementation environnementale 2020 (RE 2020) marque une étape significative, imposant des normes plus strictes qui défient l’industrie de la construction de développer des matériaux et des techniques innovants.
Parallèlement, le législateur favorise les expérimentations environnementales, offrant des dérogations aux règles d’urbanisme pour encourager l’adoption de pratiques plus durables.
Réemploi des matériaux : une voie vers la décarbonation
La loi AGEC de 2020 illustre parfaitement cette tendance en encourageant le réemploi des matériaux de construction. Cette approche, qui vise à prolonger la vie des matériaux au lieu de simplement les recycler, représente une stratégie clé pour réduire les déchets et les émissions de carbone associées à la production de nouveaux matériaux.
Bien que cette pratique reste marginale, elle est envisagée comme un levier potentiel pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050.
Défis et contentieux à venir
Les nouvelles contraintes environnementales, comme celles imposées par la RE 2020, sont susceptibles de générer des contentieux, notamment lorsque les infractions aux normes environnementales surviennent durant la phase de construction. Ces dilemmes juridiques soulèvent des questions complexes sur qui subit le préjudice et comment rectifier les infractions tout en maintenant la performance énergétique de l’ouvrage.
L’avenir du bâtiment face au changement climatique
Face à la multiplicité des défis – juridiques, techniques et environnementaux – le secteur du bâtiment doit innover pour non seulement réduire son impact écologique mais aussi pour s’adapter aux nouvelles réalités du marché et aux exigences réglementaires. Le principe de proportionnalité pourrait évoluer pour mieux intégrer les coûts environnementaux dans les décisions judiciaires, reflétant une prise de conscience de l’importance de l’intérêt collectif dans l’évaluation des préjudices.
Concilier transition énergétique et préservation de la biodiversité : les défis juridiques
Dans le contexte de la transition énergétique, la construction d’infrastructures telles que les parcs éoliens représente une solution prometteuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, comme le souligne Jean-François Zedda dans son étude, ces projets se heurtent souvent à des défis juridiques et environnementaux, notamment en matière de préservation de la biodiversité et de gestion des intérêts particuliers.
Contentieux autour de l’implantation des Éoliennes
La mise en place de parcs éoliens en France a été ralentie par de nombreux recours en justice, souvent initiés par des riverains. Bien que l’argument du retard par rapport à d’autres pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni doive être nuancé, il est indéniable que l’installation de nouvelles éoliennes ne se fait pas sans friction.
La loi du 10 mars 2023 sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables vise à simplifier et accélérer ces installations, mais elle se confronte à la réalité du terrain où la dépréciation des biens immobiliers à proximité peut être perçue comme un inconvénient normal, compte tenu de l’intérêt public.
Impact environnemental et jurisprudence
Le respect des normes environnementales par les éoliennes soulève également des préoccupations significatives. Les pales des turbines peuvent être fatales pour les oiseaux, en particulier dans les zones de migration ou les habitats d’espèces rares.
Des décisions récentes de la Cour de cassation illustrent ces tensions : d’une part, la reconnaissance de la destruction accidentelle d’oiseaux protégés comme infraction, et d’autre part, la possibilité pour des associations de protection de l’environnement de demander la démolition d’un parc éolien en cas d’insuffisance dans l’étude d’impact environnemental.
Le rôle du juge dans la transition énergétique
Face à ces enjeux complexes, Jean-François Zedda argumente que le juge doit repenser son rôle pour mieux accompagner la transition énergétique. Cela implique de trouver un équilibre entre la protection des droits fondamentaux, comme le droit de propriété, et la préservation de l’intérêt commun. La troisième chambre civile, en plaçant l’environnement au cœur de ses préoccupations, montre la voie en donnant une portée effective aux règles destinées à guider la transition.
Si les impératifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de préservation de la biodiversité peuvent parfois sembler contradictoires, ils exigent donc une approche juridique renouvelée et adaptative.
Dans ce cadre, les décisions judiciaires jouent un rôle crucial en équilibrant les droits individuels avec les besoins collectifs de protection environnementale. La réflexion continue sur ces questions au sein de la magistrature est essentielle pour assurer que la transition énergétique ne se fasse pas au détriment de la biodiversité, mais en harmonie avec elle.
A lire aussi :