Le 21 avril dernier, nous avons exploré avec Eric Mignot, le co-fondateur de +Simple, l’inassurabilité. Dans cet article, il dressait les défis posés par les métiers jugés inassurables.
A l’heure où les aléas climatiques deviennent de plus en plus prégnants, c’est Pascal Demurger, directeur général de la MAIF, qui aborde l’inassurabilité face au changement climatique, dans une interview accordée au Greenletter Club.
Augmentation des sinistres liés au climat
Selon Pascal Demurger, la sinistralité liée au climat a connu une hausse significative ces dernières années, reflétant une tendance inquiétante qui impacte profondément le secteur de l‘assurance.
En 2022, les coûts des sinistres climatiques en France ont atteint un pic historique de près de 11 milliards d’euros, contre une moyenne de 3,5 milliards d’euros lors des cinq années précédentes. Cette augmentation témoigne de l’intensité croissante et de la fréquence des événements climatiques, rendant la gestion des risques de plus en plus complexe et coûteuse.
Prévisions pour 2050 : un scénario alarmant
À l’horizon 2050, les projections indiquent une aggravation potentielle de cette tendance, avec une augmentation prévue des primes d’assurance multirisques habitation qui pourrait doubler. Cette hausse des primes, bien que nécessaire pour couvrir les risques croissants, pourrait entraîner des conséquences sociales considérables, notamment en termes d’accessibilité financière à l’assurance pour de nombreux ménages.
Risques d’exclusion et zones inassurables
L’un des problèmes les plus critiques soulevés par Pascal Demurger est le risque d’exclusion d’assurance dans certaines zones géographiques. Des régions entières pourraient devenir inassurables en raison de la fréquence et de l’intensité des sinistres climatiques, poussant les assureurs à se retirer de ces marchés à haut risque.
Cette situation pourrait conduire à une antisélection, où les mauvais risques restent assurés alors que les bons risques se retrouvent sans couverture adéquate.
Le rôle des assureurs et des pouvoirs publics
Face à cette situation, les assureurs, comme la MAIF, cherchent activement des solutions pour adapter leurs modèles d’affaires aux réalités du changement climatique. Cela inclut l’exploration de nouvelles méthodes de tarification, la diversification des portefeuilles de risques et l’investissement dans la recherche pour mieux comprendre et prévoir les impacts du climat.
Parallèlement, il devient impératif que les pouvoirs publics interviennent pour réguler le marché de l’assurance, afin de garantir que les risques soient partagés équitablement et que l’assurance reste accessible à tous.
Catastrophes climatiques : impact et défis pour le secteur des assurances
Pascal Demurger relève que, bien que les types de catastrophes restent constants, leur intensité s’accroît notablement. Les tempêtes, inondations, grêle, et sécheresses sont parmi les plus coûteuses pour les assureurs, en raison de leur impact destructeur sur les infrastructures et les habitations.
- Tempêtes et cyclones Les tempêtes violentes et les cyclones, notamment dans les Antilles, représentent des événements de grande ampleur qui entraînent des coûts élevés pour le secteur des assurances en raison de leurs dégâts immédiats et étendus sur les structures et les biens.
- Inondations : Les inondations, qu’elles soient soudaines ou progressives, sont également parmi les catastrophes les plus coûteuses. L’intensification des précipitations sur de courtes périodes provoque des débordements de cours d’eau et des inondations qui affectent de nombreuses régions, exacerbant les coûts de réparation et de remboursement par les assureurs.
- Sécheresse et retrait-gonflement des argiles Un phénomène moins visible mais extrêmement destructeur est la sécheresse et le retrait-gonflement des argiles, qui affectent la stabilité des constructions. Ce phénomène, qui provoque des fissures majeures dans les structures, pourrait toucher une part significative des habitations en France, augmentant ainsi les demandes de compensation aux assureurs.
Les effets des vagues de chaleur sur les assurances
Bien que moins médiatisées, les vagues de chaleur posent des défis croissants aux assureurs, principalement en exacerbant les conditions de sécheresse et en contribuant à la fréquence des incendies.
Ces incendies, à leur tour, affectent la biodiversité et aggravent le réchauffement climatique, créant un cercle vicieux qui impacte directement le secteur des assurances.
L’impact des inondations
La fréquence accrue des inondations, résultant de pluies plus intenses et localisées, représente un autre défi majeur pour les assureurs.
Les inondations peuvent causer des dommages substantiels aux propriétés, rendant parfois les habitations complètement inhabitables et augmentant significativement les coûts pour les compagnies d’assurance.
Face à ces défis, les assureurs comme la MAIF sont forcés de repenser leurs modèles de tarification et de couverture. Les augmentations des primes d’assurance semblent inévitables pour couvrir les coûts croissants associés à ces sinistres. De plus, le risque que certaines zones deviennent inassurables soulève des questions sur l’équité et l’accessibilité de l’assurance pour tous les citoyens. Les assureurs, en collaboration avec les pouvoirs publics, doivent trouver des solutions innovantes pour gérer ces risques croissants tout en garantissant la protection financière des populations les plus vulnérables.
Inassurabilité : le défi croissant pour le secteur des assurances
Avec les progrès technologiques, les assureurs peuvent aujourd’hui prédire avec une grande précision les risques à des adresses spécifiques, dépassant la compréhension plus générale du passé. Cette précision, combinée à l’intensification des événements climatiques, pousse les assureurs à reconsidérer leur présence dans certaines zones.
Les régions à haut risque, où les sinistres sont perçus comme inévitables, pourraient devenir inassurables sans une réorganisation appropriée du marché de l’assurance.
Retrait des assureurs et exemples
Pascal Demurger rappelle le cas des Antilles françaises qui ont déjà vu des assureurs se retirer à la suite de cyclones destructeurs, illustrant ce qui pourrait se produire en métropole. En France métropolitaine, bien que le phénomène ne soit pas aussi prononcé, on observe des augmentations de tarifs et des difficultés d’accès à l’assurance dans certaines zones géographiques spécifiques.
Cette situation soulève des inquiétudes quant à la possibilité que d’autres régions suivent le même chemin.
Zones potentiellement inassurables en France
Dans un scénario où le marché de l’assurance n’est pas adéquatement organisé, plusieurs zones en France pourraient se trouver sous tension. Par exemple :
- Zones côtières : Menacées par la submersion marine.
- Sud-est de la France : Susceptible aux incendies de forêt.
- Autres régions : Vulnérables à la sécheresse et autres phénomènes climatiques.
Ces « points noirs » de risques pourraient conduire à des exclusions spécifiques dans les contrats d’assurance habitation, voire à une absence totale de couverture pour certains risques, laissant les résidents sans protection contre les sinistres les plus probables.
Vision libérale vs vision mutualiste dans le contexte du changement climatique
Selon Pascal Demurger, deux écoles de pensée se dessinent clairement dans l’industrie assurantielle face aux enjeux climatiques :
- Vision libérale : Cette approche favorise la segmentation du marché. Les assureurs suivant cette philosophie tendent à assurer des segments spécifiques de la population, excluant potentiellement ceux qui présentent des risques plus élevés. Cette stratégie peut conduire à une protection inégale et à l’exclusion de certains groupes de la couverture assurantielle.
- Vision mutualiste : Les mutualistes, comme la MAIF, défendent une vision où la mutualisation des risques reste centrale. Cette approche souligne l’importance de garantir une accessibilité universelle à l’assurance, indépendamment des risques individuels. Les mutualistes plaident pour une solidarité étendue à l’ensemble de la population, même dans des zones à haut risque.
Problématique de l’inassurabilité
Demurger souligne que certains assureurs, principalement non-mutualistes, appliquent déjà des augmentations tarifaires prohibitives ou refusent carrément d’assurer certaines zones. Cette tendance pourrait s’aggraver, excluant de fait certaines populations de la possibilité de s’assurer. Ce phénomène est déjà observable dans des régions comme la Floride et la Californie aux États-Unis, où il devient de plus en plus difficile de trouver une assurance abordable.
Le rôle de l’État dans la régulation du marché assurantiel
Les discussions actuelles entre la profession, représentée notamment par la Fédération Française de l’Assurance, et les pouvoirs publics sont cruciales. L’État est appelé à jouer un double rôle :
- Législateur : Définir des règles claires qui obligent les assureurs à couvrir tous les risques, afin de garantir une protection équitable à tous les citoyens.
- Garant de la solidarité nationale : Intervenir lors de catastrophes majeures pour répartir les charges financières liées aux sinistres qui dépassent les capacités des assureurs privés.
La philosophie des assureurs face au changement climatique et aux défis de l’inassurabilité est un enjeu majeur pour l’avenir de l’assurance en France. Alors que certains prônent une approche plus restrictive, les mutualistes comme la MAIF appellent à un renforcement de la mutualisation et à un soutien accru de l’État pour maintenir l’équité et la viabilité du système assurantiel. Cette divergence d’approches soulève des questions fondamentales sur la responsabilité sociale des assureurs et la nécessité d’une régulation adaptée pour protéger tous les citoyens face aux risques croissants liés au climat.
La financiarisation de l’assurance et le dilemme des investissements climaticides
La transformation du secteur de l’assurance depuis les années 2000 témoigne d’une financiarisation croissante, notamment par l’introduction des obligations catastrophe (Cat bonds).
Les obligations catastrophe sont des instruments financiers qui permettent aux assureurs de transférer une partie du risque de catastrophes naturelles à des investisseurs. En cas de non-survenance de la catastrophe spécifiée, ces obligations offrent un rendement plus élevé, compensant ainsi le risque accru.
Cette stratégie illustre la financiarisation de l’assurance où les risques ne sont plus uniquement gérés en interne mais sont partagés avec le marché financier global.
Schizophrénie dans le secteur de l’assurance ?
D’un côté, les assureurs font face à une hausse des indemnisations dues aux événements climatiques, ce qui met une pression considérable sur leurs modèles économiques. De l’autre, ils continuent de financer et d’assurer des projets qui contribuent directement aux changements climatiques.
Cette contradiction entre les pratiques d’assurance et d’investissement soulève des questions éthiques et stratégiques importantes.
Court terme vs. long terme
Les assureurs se trouvent pris entre les exigences de rentabilité à court terme et les coûts à long terme des changements climatiques. Les investissements dans les énergies fossiles peuvent être lucratifs à court terme, mais ils augmentent les risques de sinistres futurs, représentant ainsi un coût diffus pour la société.
Ce dilemme souligne la nécessité pour les assureurs de reconsidérer leurs stratégies d’investissement pour soutenir une transition vers une économie plus durable.
Impact France et le rôle des entreprises
L’engagement de Pascal Demurger en tant que coprésident d’Impact France illustre une initiative visant à aligner les intérêts économiques avec les objectifs environnementaux. Ce mouvement cherche à influencer les politiques publiques pour créer un environnement plus favorable aux investissements durables, encourageant ainsi les entreprises à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement.
La financiarisation de l’assurance et les investissements contradictoires dans des projets climaticides posent donc un défi majeur pour le secteur. Alors que les obligations catastrophe offrent une nouvelle manière de gérer les risques, la tendance continue des assureurs à financer des projets nuisibles au climat souligne un besoin urgent de réforme. Pour que le secteur de l’assurance joue un rôle positif dans la lutte contre le changement climatique, une réévaluation des stratégies d’investissement et une plus grande cohérence entre les pratiques d’assurance et les objectifs de durabilité sont indispensables.
La prévention : le nouveau paradigme de l’assurance face au changement climatique
Historiquement centrés sur l’indemnisation des sinistres, les assureurs reconnaissent désormais l’importance d’adopter un rôle plus proactif en matière de prévention. À l’instar des campagnes de sécurité routière qui ont drastiquement réduit le nombre de morts sur les routes françaises, les assureurs envisagent des initiatives similaires pour faire face aux défis posés par le changement climatique.
Investissement dans la prévention climatique
Les efforts de prévention ne doivent pas se limiter à la réparation des dommages mais doivent inclure des mesures d’atténuation des effets du réchauffement climatique. Cela comprend le soutien à des projets visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme l’investissement dans les énergies renouvelables et les technologies vertes.
Pascal Demurger précise qu’il est estimé que des investissements significatifs, de l’ordre de 65 milliards d’euros annuellement, sont nécessaires pour atteindre ces objectifs en France.
Stratégies de prévention des catastrophes naturelles
En plus de lutter contre le réchauffement climatique, il est crucial d’adopter des mesures de prévention spécifiques pour les catastrophes naturelles. La réhabilitation des zones humides et le reméandrage des cours d’eau sont des exemples de solutions basées sur la nature qui peuvent diminuer l’impact des inondations.
Ces approches non seulement protègent l’environnement mais réduisent également le coût financier des sinistres pour les assureurs et les assurés.
En résumé, le rôle de l’assureur est en pleine transformation. Face aux menaces accrues du changement climatique, l’industrie de l’assurance doit passer d’un modèle réactif à un modèle proactif, où la prévention et la responsabilisation des assurés sont au cœur des stratégies. En intégrant la prévention dans leur offre, les assureurs ne se contentent pas de gérer les risques, mais contribuent activement à la construction d’une société plus résiliente et durable. Le succès de ces initiatives dépendra en grande partie de la collaboration entre les assureurs, les pouvoirs publics et les autres acteurs économiques, soulignant l’importance d’une approche collective et coordonnée face aux défis climatiques de demai