Deux ans après la mise en œuvre de la réforme de l’assurance emprunteur via la loi Lemoine, le secteur financier et les acteurs alternatifs, tels que SECURIMUT, une filiale de la MACIF, offrent un regard croisé sur les transformations et les enjeux actuels du marché.
Le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) et SECURIMUT, chacun à leur manière, dressent un bilan de cette réforme, soulignant ses succès et les défis qui restent à relever.
Les grands enseignements du rapport du CCSF
Le rapport du CCSF, qui a reçu l’approbation unanime lors de la session plénière du comité le 12 décembre 2023, se base sur la large contribution des acteurs du marché recueillies à travers un questionnaire.
« La représentativité atteint près de 98 % sur les acteurs bancaires et 80 % chez les autres acteurs », précise le CCSF
Un pas en avant vers la concurrence et la transparence
Ce rapport souligne un premier bilan positif de la loi Lemoine : « En facilitant la résiliation à tout moment des contrats d’assurance emprunteur et en supprimant le questionnaire de santé pour les prêts de moins de 200 000 euros, la réforme a indéniablement stimulé la concurrence. »
Selon cette étude, les demandes de substitution de contrats ont bondi, marquant un net progrès vers une plus grande ouverture du marché. Cette dynamique a contribué à une baisse des tarifs, malgré une hausse préventive anticipée par les assureurs face à la suppression du questionnaire de santé.
Des bénéfices inégalement répartis
Cependant, le rapport révèle que les avantages de la substitution ne profitent pas équitablement à tous les emprunteurs. Les populations les plus aisées bénéficient davantage de ces nouvelles possibilités, puisqu’elles représentent 58 % des substitutions et 69 % des contrats alternatifs externes souscrits à l’octroi du crédit. Ces chiffres laissent donc entrevoir une marge d’amélioration significative pour rendre la réforme plus inclusive.
De plus, la suppression du questionnaire médical pour certains prêts n’a bénéficié qu’à un nombre restreint d’emprunteurs, principalement en raison des critères d’éligibilité. En effet, selon le CCSF, alors que 58,5 % des souscripteurs de crédit présentaient un montant assuré inférieur à 200 000 euros, « seulement 23 % de ces contrats étaient éligibles à l’absence de sélection médicale »
Une stabilité malgré les craintes
Face aux inquiétudes concernant une éventuelle augmentation de la sinistralité, les données recueillies jusqu’à présent montrent une situation stable. Les craintes d’une montée en flèche des « crédits successoraux » ne se sont pas matérialisées, attestant de la résilience du marché face aux ajustements réglementaires.
« Chaque participant au questionnaire a bien identifié quelques sinistres précoces sur des dossiers « sans sélection », dossiers qui n’auraient sans doute pas été acceptés auparavant et relatifs à des clients dont l’état de santé était dégradé et connu au moment de l’adhésion. Cependant, ce nombre est très faible et ne vient en aucun cas déséquilibrer les portefeuilles », rassure le comité.
L’analyse alternative de SECURIMUT
Dans un communiqué, SECURIMUT propose une perspective alternative, qui met en avant les limites de l’analyse du CCSF. Selon cette vision, les données, considérées comme incomplètes ou basées sur des périodes d’observation trop courtes, ne permettraient pas de tirer des conclusions fiables concernant l’effet réel de la loi Lemoine sur le marché de l’assurance emprunteur.
« Les données ont été arrêtées au 31 mai 2023, sachant que la fin de la sélection médicale s’est appliquée à partir du 1er juin 2022 (12 mois d’observation) et que la résiliation à tout moment a été possible pour tous les contrats seulement à partir du 1er septembre 2022 seulement (9 mois). Les conclusions s’en trouvent affectées à la fois sur le volume observé et sur leur stabilité dans le temps. »
SECURIMUT souligne notamment une progression modeste de la part des assurances externes dans les portefeuilles de crédit et un ralentissement des substitutions, remettant en question l’efficacité réelle de la réforme pour dynamiser la concurrence.
« La part d’assurance externe dans les stocks de crédits des banques est passée de 15,3% en 2021 à 16% en mai 2023, soit une progression lente de +0.7% en 2 ans. »
Une concurrence encore timide
L’analyse de SECURIMUT critique également le taux de rotation des contrats d’assurance emprunteur, jugé faible par rapport à d’autres produits d’assurance.
« Le taux de rotation des stocks bancaires se situe autour de 2.5% par an début 2023 malgré la RIA, ce qui reste bien en-deçà des autres produits d’assurances ouverts à la concurrence (Habitation, auto…) »
Cette observation suggère que, malgré la loi Lemoine, le marché de l’assurance emprunteur reste moins dynamique que prévu, avec des substitutions qui ne répondent pas totalement aux attentes de diversification et d’ouverture.
« On observe également une part croissante de crédits non assurés : 5% des nouveaux crédits en2023 ; chiffre qui se rapproche du taux de délégation actuel et qui montre que l’assurance n’est pas systématiquement exigée par les banques. Sans pour autant que des explications ne soient données par le CCSF dans son rapport. »
Des tarifs et une inclusion à questionner
SECURIMUT relève aussi que, contrairement aux affirmations du CCSF, les assurances alternatives externes proposent souvent des tarifs plus compétitifs que ceux des banques.
Toutefois, l’organisme pointe du doigt la faible part de nouveaux crédits bénéficiant d’une délégation d’assurance, suggérant des obstacles persistants à l’accès à des couvertures d’assurance plus abordables et adaptées.
« Au moment du crédit, les acteurs alternatifs accordent plus de contrats exonérés de sélection médicale que les banques : 25% pour les alternatifs contre 23% pour les banques et 14% seulement pour les courtiers en crédits. De plus, 31% des substitutions ne sont pas soumises à la sélection médicale, ce qui renforce encore l’exposition des alternatifs au risque d’antisélection. »
Vers un marché plus équitable et transparent
Les deux analyses mettent en évidence la nécessité d’une évolution continue du cadre législatif et réglementaire pour combler les failles de la réforme.
L’objectif serait de garantir une meilleure accessibilité à la substitution d’assurance, d’améliorer l’information et la clarté des offres pour les emprunteurs, et de veiller à une couverture adéquate pour tous.
Un futur sous le signe de l’attention et de l’adaptation
Le CCSF, tout comme SECURIMUT, appelle à une vigilance continue et à une adaptation des pratiques pour répondre aux besoins des emprunteurs de manière plus équitable et efficace. La loi Lemoine a posé les bases d’un marché de l’assurance emprunteur plus ouvert et concurrentiel, mais les défis demeurent en termes d’inclusion financière et de gestion équilibrée du risque.
Le bilan de la loi Lemoine, bien que globalement positif, révèle donc des zones d’ombre et des pistes d’amélioration. Entre les avancées en matière de concurrence et les limites en termes d’équité et d’inclusion, le marché de l’assurance emprunteur est à un tournant. Les acteurs du secteur, soutenus par des analyses comme celles du CCSF et de SECURIMUT, doivent continuer à œuvrer pour un marché plus juste, transparent, et accessible à tous les emprunteurs.
Revoir : ITW la semaine dernière ==> Assurance emprunteur : la loi Lemoine n’a pas tout résolu