Le 17 janvier dernier, LinkedIn Economic Graph a publié son classement des métiers en croissance, qui dévoile les 25 professions ayant connu la plus forte croissance en France ces cinq dernières années.
Interviewé par Gaëlle Coursel, journaliste emploi/carrière chez LinkedIn, Matthieu Imbert-Bouchard, directeur général de Robert Half international France, a analysé ce nouveau panorama du marché de l’emploi.
Méthodologie et enseignements principaux du classement
Pour établir ce classement, LinkedIn a analysé des millions d’intitulés de postes occupés par ses membres depuis 2019. Le processus a pris en compte la croissance constante et le volume significatif des métiers en 2023, excluant les stages et les postes peu représentatifs, afin d’offrir une vision au plus près du terrain des professions en plein essor en France. La plateforme professionnelle a ainsi mis en lumière 25 métiers qui ont le plus évolué en France ces cinq dernières années.
Parmi les principaux enseignements que l’on peut en retirer :
- Les talents de la tech sont particulièrement convoités ;
- Les métiers de la vente et du marketing font toujours recette ;
- Les enjeux de la transition écologique et énergétique gagnent du terrain.
Les tendances générales du recrutement en 2024
Si l’année 2023 a été une bonne année de manière globale, on note un léger ralentissement de la croissance et des créations d’emplois avec un taux de chômage qui a commencé à remonter au 3e trimestre. En parallèle, la Banque de France prévoit un retournement du marché du travail avec un taux de chômage qui continuera à augmenter, probablement jusqu’à 8%, jusqu’en 2025.
Pour autant, 64% des dirigeants interrogés par le cabinet de recrutement Robert Half se disent plus confiants sur les perspectives de croissance de leur entreprise en 2024. Ils expliquent cette hausse de confiance par un accroissement de la demande de leurs produits et de leurs services. Ainsi, 88% d’entre eux prévoient des recrutements en CDI en 2024, ce qui est bien plus que les prévisions d’embauche en 2023.
« Si on analyse ces chiffres dans le détail, ce qu’on voit, c’est qu’il y a un effet de rattrapage : En 2023, on était sur un marché en pénurie, avec énormément de dirigeants d’entreprises qui n’ont pas réussi à recruter toutes les équipes dont ils avaient besoin. Il y a donc un effet de décalage sur 2024 avec également une grosse partie de ces recrutements qui sont des remplacements. » précise Matthieu Imbert-Bouchard.
Les prévisions salariales en 2024
« En 2023, nous avons fait un certain nombre d’enquêtes dont une enquête sur les salaires. Nous avons interrogé des dirigeants d’entreprise mais également de talents sur le marché et nous avons vu qu’il y a quand même eu une hausse globale des salaires de 4,7%, toutes professions confondues. Si on rentre dans le détail, on constate qu’il y a des professions qui ont vu des augmentations un peu plus importantes que d’autres, mais globalement, cette tendance devrait se poursuivre en 2024. » indique, le DG de Robert Half.
Le cabinet de recrutement donne l’exemple des directeurs commerciaux qui peuvent s’attendre à une hausse de 24%, des responsables recrutement pouvant aller jusqu’à 20% et des chefs de projets IT jusqu’à +15%.
Pour autant, parmi les 3 grandes tendances qui sont ressorties du classement LinkedIn des métiers en croissance, c’est-à-dire la tech, les fonctions commerciales et du marketing ainsi que les fonctions de support comme les RH, un ralentissement se fait sentir en termes de hausse de rémunération. Cela s’explique par les augmentations de salaire qui ont été très importantes sur ces métiers durant les 2 dernières années.
« Mais, concernant la tech, il y a effectivement des métiers très porteurs comme les métiers de la cybersécurité. Il ne faut pas oublier que ce sont des gens qui sont responsables de la sécurité des données des entreprises qui sont aussi régis par des normes internationales. Leurs missions sont très importantes, donc ça va rester des postes à forte valeur ajoutée sur le marché, avec des salaires attendus autour de 90000€ par an. » précise Matthieu Imbert-Bouchard.
Le développement des métiers de l’IA
Nouvellement entré dans le classement des métiers en croissance, la fonction d’ingénieur IA n’arrive cependant qu’à la 23ème place. « Pour ce qui est de l’intelligence artificielle on en entend beaucoup parler, mais on ne voit pas encore beaucoup de demandes en France alors qu’on en voit dans d’autres régions du monde comme par exemple, les « Prompts Engineers » aux États-Unis. On pense que d’ici 2 à 3 ans cela va changer alors pour l’instant on garde un œil sur les métiers de l’intelligence artificielle » indique le DG de Robert Half.
Si les Prompts Engineers sont très demandés aux États-Unis, avec des salaires très élevés, c’est lié à la croissance de la demande des entreprises, sachant que la plupart d’entre elles forment leurs nouveaux talents en interne. En France, il n’existe pas encore de formation reconnue dans ce domaine. Les métiers de l’Intelligence Artificielle se développeront donc en fonction de l’accélération de la demande des entreprises mais également des capacités de formation continue, en interne et en externe.
« L’état et les organismes de formations vont donc devoir s’adapter et suivre cette tendance pour qu’elle se développe en France. C’est également aux entreprises de s’emparer de ce sujet et de mettre en place les formations adéquates pour se préparer à l’avenir et à l’arrivée de toutes ces technologies, mais également pour retenir les employés en poste. » selon Matthieu Imbert-Bouchard.
L’évolution des fonctions commerciales et du marketing
Deuxième tendance de ce classement LinkedIn, les métiers en lien avec le développement commercial peuvent s’attendre à une évolution similaire à 2023 selon le cabinet de recrutement Robert Half.
« On sait qu’il y a une vraie demande pour ce type de profil et que les salaires vont continuer à s’accélérer. Ceux qui pourront demander le plus de salaire seront ceux qui arrivent déjà avec des portefeuilles de clients existants, avec du business et du chiffre d’affaires, car ils auront un vrai impact sur l’acquisition de parts de marché de l’entreprise. » précise Matthieu Imbert-Bouchard.
Après le COVID, on a assisté à 2 années focalisées sur l’investissement. En 2023, les entreprises avaient un focus un peu plus particulier sur la rentabilité et la productivité de leurs entreprises. Il y a toutes les raisons de penser que ça va continuer en 2024 avec une appétence pour aller chercher plus de parts de marché, pour grossir le chiffre d’affaires et pour recruter.
Pour autant, le secteur reste en tension en termes de recrutement car les industries telles que les Softwares Technologies ont besoin de commerciaux qui comprennent également les technologies et ce type de profil reste difficile à trouver.
Les perspectives des métiers de support
La troisième tendance du classement des métiers en croissance fait ressortir les fonctions de support que remplissent, par exemple, les RH et les chargés de clientèle.
« Les métiers des ressources humaines se spécialisent de plus en plus, notamment sur la formation, la paie et la transformation. La plus grosse demande sera d’ailleurs sur les profils qui ont vocation à transformer les systèmes d’information des ressources humaines et les Business Partner, c’est-à-dire, ceux qui comprennent les enjeux et les directions du business. »
Les RHBP, c’est-à-dire Business-Partner, sont désormais des divisions des ressources qui sont très proches du business. En ce sens, ils doivent pouvoir driver les talents, mais également être opérationnel sur la rétention des collaborateurs, la formation et le développement de façon à être en adéquation avec les projections du business. Par conséquent, les responsables de recrutement vont connaître des augmentations assez significatives autour de 10000€ brut annuel, donc à peu près 20% par rapport à l’année dernière.
Parce qu’il gère un portefeuille client qu’il doit développer en les accompagnant au quotidien et en apportant des solutions aux problématiques qu’ils rencontrent, le chargé de clientèle va également être un métier support pour lequel les recrutements vont perdurer et même augmenter.
Qu’il s’agisse du secteur bancaire, des assurances ou de toutes autres industries, de nombreuses entreprises ont développé leur service de relation client et le repense aujourd’hui afin de remettre le client au centre de leurs préoccupations.
« Les entreprises qui repensent la trajectoire client au sein de leur organisation recrutent des chargés de clientèle qu’ils forment de façon à accompagner au mieux leurs clients. Donc on voit que c’est un métier qui a beaucoup augmenté, en tous cas en termes de demande en 2023, et qui va continuer à augmenter en 2024 »
L’emploi des séniors : le débat de 2024
Avec une natalité en baisse de 10% par an et des mesures proposées par le législateur qui n’ont pas abouti, l’emploi des séniors revient très clairement dans l’actualité 2024. Ils représentent 30% de la population active en France et leur taux de chômage est à peu près de 7%, c’est en dessous de la moyenne française mais reste insuffisant selon le DG de Robert Half.
« Les entreprises doivent changer leur prisme sur les seniors qui apportent énormément de choses. Moi je le vois sur le management de transition, puisque c’est une activité que je gère également en France, où on a des seniors, c’est-à-dire 50 ans et au-dessus, qui arrivent et doivent être immédiatement adaptables. Ils ont une grande expérience professionnelle, ils ont traversé des crises et des changements de marché, ce qui n’est pas le cas des juniors, et ils ont généralement une vision plus stratégique que les jeunes sur le marché et sur le développement des entreprises. »
Souvent stigmatisés comme inadaptable technologiquement parlant ou manquant de dynamisme, les entreprises doivent donc changer leur vision des séniors. Fonctionnement commercial, fonction marketing, fonction finance, fonction des ressources humaines : il y a des opportunités pour les séniors sur toutes ces fonctions. Sur le management de transition, par exemple, beaucoup de séniors interviennent aujourd’hui dans les transformations d’entreprises, et ce, qu’il s’agisse de transformations technologiques, finance, comptabilité ou des ressources humaines.
« Ce sont des gens qui ont une vraie valeur ajoutée et qui sont très adaptables, donc je pense que c’est un faux débat. Dire que les séniors ne sont pas adaptables au manque de dynamisme, il faut absolument reconsidérer tout ça. » insiste Matthieu Imbert-Bouchard.
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