Dans un monde confronté à des défis majeurs tels que le changement climatique, l’instabilité géopolitique et l’émergence de nouveaux risques, le rôle de l’assureur devient crucial.
Ulrike Decoene, Directrice de la Communication, de la Marque et du Développement Durable chez AXA, aborde cette question avec optimisme. Elle croit en notre capacité collective à surmonter ces défis. Selon elle, l’assurance moderne joue un rôle vital en prévenant, protégeant et investissant, contribuant ainsi à l’avènement d’une société plus durable et inclusive.
Dans un entretien pour L’ADN, que nous reprenons, elle donne sa vision sur la contribution de l’assurance dans la construction d’un nouveau modèle sociétal.
“Why should the future be a risk ? ” : la question posée par le manifeste d’AXA est presque provocante par les temps qui courent…
Ulrike Decoene : Nous cherchons à ouvrir un espace de dialogue : devant l’enchevêtrement de risques, systémiques, globaux, interconnectés, auxquels nous faisons face, quelle est la mission, quel est le métier de l’assureur ? Comment tenir notre promesse de protection dans cet environnement mouvant ? Nous abordons cette question de face, en ouvrant un nouveau chapitre de notre promesse de marque lancée en 2019, Know You Can.
Dans ce nouveau panorama, le pire serait que nos sociétés et nos économies, saisies par le fatalisme, s’immobilisent. Ce que nous vivons redessinera profondément le futur de la protection. Mais l’assurance dispose de l’expertise, de la solidité financière, des outils et méthodes d’innovations, pour mieux appréhender ces risques. Notre état d’esprit est honnête et humble, parce que nous n’avons pas toutes les réponses, mais aussi volontariste et optimiste.
Ressentez-vous les signes d’un tel sentiment d’impuissance collective ?
U.D. : Je suis en tout cas frappée par la façon dont le sujet des risques est entré de plain-pied dans le débat public – ce qui est une bonne chose, dans ce moment de transformation. Mais l’assurance est là pour démontrer que nous pouvons faire face, à condition de travailler ensemble, entre parties prenantes, pour trouver des solutions. C’est possible : voyez par exemple les progrès accomplis ces dernières années en matière de sécurité routière, grâce à la collaboration avec les automobilistes et les pouvoirs publics.
« Être une femme ne devrait jamais être un risque », affirme votre dernière campagne. De fait, les femmes sont sous-protégées ou surexposées aux risques…
U.D. : AXA a une tradition d’engagement au service de l’émancipation des femmes. Et nous avons la conviction que le prisme des risques est pertinent pour analyser leur situation.
Les faits sont là : oui, les femmes sont surexposées et sous protégées face aux risques. Elles sont moins détentrices d’épargne alors que leur espérance de vie est plus longue, manquent de financement pour leurs projets entrepreneuriaux, etc. Mais le sujet de leur santé s’affirme dans l’opinion publique, je pense à la Fédération Française de Cardiologie dont certaines campagnes ciblent les femmes. Nous nous en félicitons car depuis longtemps, nous savons que la santé des femmes est spécifique. Nous pouvons, et devons, en faire plus pour les femmes, et ceci dans tous les domaines : santé, carrière, diversité… En tant qu’acteur de l’assurance bien sûr, mais aussi en tant que mécène. Notre fondation philanthropique pour la recherche finance un programme à hauteur d’un million d’euros orienté sur la santé des femmes.
En tant qu’employeur, nous cherchons aussi l’exemplarité. Nous menons ce combat depuis plusieurs années et aujourd’hui, nous sommes fiers des résultats. Nous comptons 45 % de femmes cadres, contre 20 % en 2008. Chez nos Partners (le Top 40 d’AXA), nous avons atteint 45 % de femmes. Dans les métiers techniques, financiers ou la direction de business units, nous comblons notre retard : à 40 %, nos BU sont dirigées par des femmes. Notre objectif est d’atteindre la parité salariale à poste équivalent d’ici la fin de l’année, dans le monde.
Nous lançons aussi une nouvelle politique de protection sociale de nos collaborateurs, avec un allongement du co-parent, passant de 4 à 8 semaines, partout dans le monde. Nous proposerons des dispositifs pour les femmes souffrant de troubles menstruels et autres problèmes de santé, ainsi que pour celles affrontant une fausse couche – avec un soin particulier apporté à la forme, à la discrétion. Nous souhaitons introduire cette sensibilité dans l’organisation. Cela sera le cas pour notre nouvelle politique de lutte contre les violences domestiques, que nous allons déployer après une expérimentation en France et au Royaume-Uni. AXA a une tradition d’innovation sociale forte, et nous souhaitons être en avance sur ces sujets de société.
Nous traversons une période où les crises se succèdent et s’enchevêtrent : comment notre tolérance aux risques évolue-t-elle ? Sommes-nous plus résilients ou plus fragiles ?
U.D. : Chaque année, nous publions le Future Risks Report, une étude de perception des risques dans le monde, par les entreprises et la population générale. Nous mesurons aussi d’autres indicateurs, comme le sentiment de vulnérabilité et la confiance dans les institutions (États, entreprises, etc.). Pour la dixième édition, je peux d’ores et déjà vous dire que plus les pays sont habitués à une forte protection sociale, plus le sentiment de vulnérabilité est élevé – c’est notamment le cas en Europe, au Japon. A l’inverse dans certaines parties du monde, aux Etats-Unis, en Asie, en Afrique, le risque est plus naturellement associé à la vie de tous les jours, au cycle économique, à l’entrepreneuriat.
Deuxième tendance : le sentiment que les instances de décision politique ou les entreprises ne sont pas assez préparées aux nouveaux risques, notamment depuis le Covid. Troisième tendance, la segmentation en âge nous permet de constater que les jeunes générations sont celles qui ont le plus confiance en l’avenir – une bonne nouvelle.
Dans ce contexte, la prévention et la connaissance des risques sont primordiales, afin d’aider notre écosystème à mieux préparer l’impact. Je pense à l’ouragan Katrina de 2005, aux Etats-Unis – où AXA est un grand acteur du segment entreprises. Quand Irma a frappé en 2017 au même endroit, et avec une ampleur similaire, le coût humain et économique a été significativement moindre, grâce aux dispositifs de prévention.
Nous souhaitons mettre cette connaissance au service de nos clients. Par exemple, notre filiale AXA Climate se spécialise dans le Risk Consulting et l’adaptation climatique. Je pense aussi au risque cyber, encore mal connu, mais qui doit être pris au sérieux. La prévention est l’un des outils de notre résilience collective. Pour nous, il s’agit d’une priorité, qui contribuera à rendre le monde de demain aussi assurable et protecteur que celui d’aujourd’hui.
Comment la communication et le marketing autour de l’assurance évoluent-ils ? Les codes de cet exercice ont-ils changé ?
U.D. : À mon sens, cette nécessité de partager la connaissance, ce thought leadership, est une première tendance dans l’infléchissement de la communication et du marketing du secteur. La deuxième serait de sortir de ce discours top down, où l’assureur serait omniscient. Il faut engager le dialogue, avec l’ensemble des parties prenantes (décideurs publics, régulateurs, entreprises, société civile, monde académique, etc.) et co-construire. La communication doit traduire cette évolution. Troisième tendance, enfin : le sens de la mesure. Nous avons le devoir, le secteur de l’assurance et les entreprises en général, de ne pas jouer sur le sentiment d’alerte permanente et de fin du monde, mais plutôt de valoriser l’information et les solutions.
Votre périmètre intègre aussi le développement durable. Quelles sont vos priorités ?
U.D. : Nous agissons sur le climat et la biodiversité, très liés à notre activité cœur, et la protection inclusive – pour faire en sorte que le filet de sécurité que constitue l’assurance capte le plus grand nombre de vulnérabilités.
La transition vers l’économie bas carbone est une véritable révolution industrielle qui doit se faire dans un temps très compressé. Notre rôle est de l’accompagner, comme assureur et comme investisseur. En tant qu’assureur, nous devons être en avance de phase pour favoriser l’émergence de nouvelles technologies (je pense aux énergies renouvelables), la transition des grands secteurs économiques, la mutation des usages particuliers, avec les solutions d’assurance appropriées.
Cette transition nécessitera un effort d’investissement colossal. En tant que grand acteur dans de domaine, nous nous sommes fixé un objectif de 26 milliards d’euros d’investissements verts d’ici fin 2023. Nous sommes aussi vigilants sur leur fléchage géographique pour accompagner les pays les moins financés, notamment dans l’hémisphère Sud.
Deuxième élément de la transition, l’adaptation. Elle ne doit pas être vue comme un pis-aller. Nous faisons tous les efforts pour décarboner nos portefeuilles d’assurances et d’investissements. Mais la réalité s’impose à nous, et nous souhaitons aussi être présents pour accompagner nos clients dans l’adaptation. Enfin, la nature et la biodiversité : nous nous engageons à hauteur de 1,5 milliard d’euros dans le développement des forêts, via un fonds dédié. Sur cette somme, 500 millions seront consacrés à la restauration et la protection de ces espaces. S’engager dans la régénération de ces écosystèmes est à la fois une décision d’investisseur et d’assureur.
Prenez les érosions côtières, à l’origine de nombreux dommages chez nos clients. Les meilleures solutions sont souvent à chercher du côté de la nature : les mangroves, les récifs coralliens, etc. À travers nos solutions, nous travaillons à généraliser ce recours à la nature comme élément d’adaptation et de résistance au changement climatique.
Quant à l’inclusion, nous avons travaillé notre offre dans les pays émergents pour l’adapter aux besoins locaux, par exemple ceux des petits entrepreneurs. Dans des économies traditionnellement plus riches, on constate aujourd’hui que certaines personnes choisissent de se désassurer, en auto ou en habitation. Cette situation nous interpelle, et nous allons lancer des offres en Europe à destination de ces segments de population.
Ces priorités doivent être systémiques dans l’entreprise. Pour cela, nous formons nos collaborateurs : environ 100 000 l’ont déjà été en deux ans sur le changement climatique et sur l’impact positif de nos métiers. Ensuite, nous lions ces priorités à la rémunération des dirigeants. Par exemple, 30 % de la rémunération variable de notre Top 250 est indexée à des indicateurs extra-financiers.
Quels sont les sujets sur lesquels vous souhaitez prendre position en 2024 ?
U.D. : Le partage de la connaissance est, à mon sens, le meilleur antidote à la crise de confiance que nous traversons. Les marques, les entreprises, ont prouvé leur capacité à s’adapter et à s’engager pour les enjeux de société. Elles peuvent aujourd’hui contribuer à renforcer la parole des experts et des scientifiques, en privilégiant la connaissance plutôt que l’émotion facile ou la provocation.