Pour l’année 2024, le marché s’attend à des hausses tarifaires notables dans un contexte inflationniste dans le champ de la protection sociale. Cette évolution représente un danger potentiel sur le marché. Or ces augmentations ont une origine technique, mais pas uniquement ! Il ne faut donc pas agir dans la précipitation à l’heure des négociations.
Interview du 10 Octobre 2023
Les redressements tarifaires 2024 en santé et prévoyance : entre nécessités techniques et enjeux stratégiques
Dans le monde des assurances, rien n’est jamais figé, les tarifs se modulent et s’ajustent en fonction des réalités techniques, réglementaires et financières, des besoins des souscripteurs et des stratégies des organismes assureurs. Pour 2024, des augmentations substantielles sont à prévoir, notamment dans le secteur des risques santé et prévoyance.
Face à une augmentation des charges de sinistres comprise entre 8% et 11% en santé et entre 5% et 6% en prévoyance, les acteurs de l’assurance complémentaire doivent anticiper des changements majeurs. Ces hausses qui surviennent dans un environnement économique déjà tendu par l’inflation suscitent de nombreuses interrogations.
Des ajustements tarifaires à causes multiples
En santé, la dérive des coûts moyens et des fréquences observée sur les premiers mois de 2023 par l’ensemble des acteurs se cumule avec des évolutions réglementaires, notamment des transferts de charges du régime de base vers les complémentaires beaucoup plus importants qu’anticipé (hausse du ticket modérateur sur les actes dentaires, et potentiellement d’autres annonces dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale).
Les (premières ?) revalorisations des consultations des généralistes et des spécialistes sont également actées et des évolutions de la réforme « 100% santé », aux conséquences difficiles à maîtriser, sont attendues. Ces constats s’ajoutent aux hausses « naturelles » des dépenses, dues aux évolutions technologiques et au vieillissement des populations.
En prévoyance, l’augmentation des arrêts de travail, tant au niveau de la fréquence des arrêts courts que de la durée des arrêts longs, semble s’installer sur la durée à un niveau particulièrement élevé, au sein de toutes les populations assurées. Le vieillissement de la population, qui sera accentué par la réforme des retraites de début d’année, n’explique qu’une partie de l’augmentation de la charge de sinistres constatée par les organismes d’assurances. Cette évolution de l’absentéisme pèse également dans les comptes des entreprises pour la part auto-assurée (i.e. les arrêts plus courts que la franchise prévue au contrat d’assurance), cette part étant généralement très mal mesurée. L’augmentation des maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, diabète, cancer), des troubles musculo-squelettiques et psychosociaux, ainsi que les changements de comportements, expliquent une part importante de l’évolution des arrêts de travail.
Hausse des coûts de gestion administrative
Les coûts de gestion, souvent conséquents et qui subissent directement les effets de l’inflation économique (salaires, charges de structure) et réglementaire (adaptation des systèmes, ajustement des paramétrages…), ne sont pas toujours couverts par les chargements prélevés par les assureurs.
Cette situation conduit certains opérateurs à envisager des hausses drastiques des chargements, souvent après des observations des autorités de contrôle. La nécessité d’une gestion transparente et collaborative entre l’assureur et les souscripteurs n’a jamais été aussi cruciale, ces derniers étant particulièrement attentifs aux engagements pris par les opérateurs pour optimiser leurs coûts réels de gestion. Le focus doit être mis sur la qualité de gestion et la clarté des chargements prélevés sur le contrat, à tous les niveaux de la gestion : appel de cotisations, règlement des sinistres, reporting, conseil et suivi, réactivité face aux demandes, etc.
Face à cette complexité et aux investissements nécessaires, certains opérateurs ont ou envisagent d’externaliser tout ou partie de la chaîne de gestion (affiliations, enregistrement des contrats, appels des cotisations, gestion des prestations, services et assistance, etc.). C’est un sujet à suivre et de plus en plus source de différenciation entre les acteurs.
Un mieux dans les performances financières
L’environnement financier, marqué depuis presque deux ans par une hausse des taux d’intérêt, constitue une opportunité pour les assureurs, dont les revenus financiers vont augmenter.
Cette embellie ne doit toutefois pas occulter les défis associés, notamment celui de la revalorisation des rentes (éducation, conjoint et arrêt de travail), particulièrement pour les contrats toujours indexés sur des indices non décidés par l’assureur, de type « Agirc-Arrco ».
Les contrats modernes ne prévoient d’ailleurs plus ce type d’indexation, normalement impossible au regard des textes prudentiels. Des ajustements contractuels sont souvent nécessaires pour satisfaire à la fois les obligations prudentielles et les attentes des clients.
Intelligence artificielle et data pour lutter contre les hausses tarifaires
Les outils modernes basés sur les techniques d’intelligence artificielle, couplés aux nombreuses données disponibles (propres aux contrats grâce à l’exploitation des Déclarations Sociales Nominatives, ou externes grâce aux nombreuses bases open source disponibles, et peut-être un jour celles disponibles au niveau national) fournissent une mine d’informations pour comprendre les dérives techniques et proposer des solutions sur mesure aux souscripteurs et assurés.
Elle peuvent notamment permettre de mieux anticiper et gérer les risques et de définir des politiques de prévention ou d’aide de retour à l’emploi robustes, favorables aux entreprises, aux salariés mais aussi aux travailleurs non salariés. L’investissement dans le conseil et la prévention, bien que conséquent, est essentiel pour une vision saine et durable. Et il peut produire des effets rapidement.
La gestion de la fraude (du fournisseur au consommateur) accompagnée de la recherche de déperditions de prestations (paiements indus de prestations) et d’un processus efficace de recouvrement des cotisations impayées peuvent diminuer la sinistralité de manière notable (plusieurs pourcents des cotisations).
Un danger potentiel pour le marché : la résiliation massive
Un risque pointe : la possible résiliation en masse de contrats par certains assureurs, qui doivent faire face aux dérives et transferts de charges, et souhaitent parfois restaurer un niveau minimum de résultat. Un tel scénario placerait de nombreuses entreprises et branches dans une situation délicate, surtout en fin d’année. Des négociations trop rapides, surtout en Prévoyance, permettent rarement de trouver les meilleures solutions.
Plus de transparence et de nouvelles technologies sont nécessaires
Au final, le marché de la protection sociale complémentaire est à un carrefour : attentes fortes des différents acteurs, contextes économiques et réglementaires difficiles, évolution des modèles dans la gestion, la prévention, les services et le conseil. Face à ces enjeux, les acteurs se mobilisent pour proposer les meilleures offres, mais ne peuvent pas ralentir les évolutions tarifaires à ce stade.
Pour répondre aux attentes des clients et relever les défis, les acteurs du marché de la protection sociale pourraient davantage s’engager sur deux axes :
- le développement d’une relation plus personnalisée avec les clients, fondée sur des échanges plus fréquents, transparents et précoces. Cela permettrait de mieux comprendre les besoins des clients et de leur proposer des offres adaptées ;
- l’investissement dans les nouvelles technologies, qui offrent des opportunités de simplification, d’efficacité et de personnalisation des offres, notamment en matière de gestion « intelligente et naturelle » des risques et de la relation client.
Ces deux axes sont complémentaires et essentiels pour garantir la pérennité du marché de la protection sociale et répondre aux attentes des clients.
Norbert Gautron, président de GALEA