Vous avez consacré votre dernier LAB, le 14 septembre dernier, à la présentation de votre ouvrage « Dessine-moi un aidant ». Jean-Manuel Kupiec, vous êtes conseiller de la Direction générale de l’OCIRP (Union d’institutions de prévoyance à gestion paritaire), pourquoi publier un recueil d’entretiens sur la question des proches aidants ?
Jean-Manuel Kupiec : Aujourd’hui en France, 8 à 11 millions de personnes aidant régulièrement un proche en perte d’autonomie du fait de l’âge, d’un handicap ou d’une maladie chronique. Leur contribution est essentielle en termes de présence affective. Mais ils ont eux aussi besoin d’aide, car la charge qui pèse sur eux peut compromettre leur santé, leur équilibre psychologique, leur vie sociale et leur vie professionnelle. Avec le choc démographique lié au vieillissement de la population et la volonté croissante de rester à domicile, chacune et chacun d’entre nous peut devenir proche aidant. L’OCIRP, union d’institutions de prévoyance, est engagé depuis plusieurs années sur la question des aidants et contribue, avec ses membres et avec d’autres, à faire émerger cette thématique.
L’ouvrage fait une large place aux aidantes et aidants qui exercent en parallèle une activité professionnelle. Pourquoi ?
JMK : Plus de la moitié des proches aidants travaillent. En 2030, un salarié sur 4 sera proche aidant. La situation de salarié aidant, si elle n’est pas reconnue et accompagnée par l’employeur, entraîne des coûts cachés pour l’entreprise : absentéisme, présentéisme, désorganisation, moindre productivité, perte de chances en termes de carrière, voire sortie de l’emploi. Au contraire, prendre en charge les salariés aidants, c’est réduire ces coûts cachés, améliorer le climat de travail, la confiance et l’attachement à l’employeur et bénéficier des compétences bien réelles acquises par les aidants et qui sont utiles à l’entreprise : capacité d’écoute, d’organisation, de coordination d’acteurs multiples …
Les salariés aidants sont un enjeu de santé au travail, de qualité de vie et de conditions de travail, de ressources humaines et de RSE. C’est bien sûr un sujet pour le dialogue social. Depuis 2019, la négociation est obligatoire dans les branches professionnelles sur la conciliation des temps de vie des salariés aidants. C’est aussi un sujet pour la protection sociale complémentaire, notamment pour les groupes de protection sociale paritaire, particulièrement bien placés pour s’adapter aux réalités professionnelles. Les branches professionnelles et les entreprises doivent se saisir de ce sujet.
Qui sont les contributeurs à cet ouvrage ?
JMK : L’OCIRP a voulu proposer un état des lieux vivant, à 360° sur la question des aidants. Grâce à l’aide de l’association La Compagnie des aidants, nous avons d’abord recueilli le témoignage des principaux intéressés : cinq salariées aidantes témoignent dans l’ouvrage de leur quotidien et de l’impact de leur situation sur leur vie personnelle et professionnelle. Le livre donne aussi la parole aux associations, aux acteurs de terrain, à des chercheurs, aux entreprises, aux groupes de protection sociale (APICIL, KLESIA, Malakoff Humanis) et au CTIP, ainsi qu’aux partenaires sociaux.
Quels constats se dégagent de l’ouvrage ?
Parmi les nombreux constats, il faut citer d’abord la diversité des situations des aidants et de celles des personnes aidées. Soutenir un proche âgé ou un enfant en situation de handicap, ce n’est pas du tout la même chose. C’est la raison pour laquelle le livre ne dessine pas un mais des aidants ! Deuxième constat, le déni de la situation d’aidant reste important, y compris chez les intéressés et dans les entreprises. Le sujet est à la frontière de la vie privée et de la vie professionnelle. De nombreux salariés aidants sont réticents à se faire connaître de leur employeur. Les entreprises ont donc du mal à identifier leurs salariés aidants.
Autre constat : la charge financière mais surtout physique et mentale pèse lourdement sur les aidants. Ils – et souvent elles – se sentent fréquemment seuls et l’isolement les guette. Ils souhaitent maintenir leur activité professionnelle, mais cela génère parfois des tensions, du stress, de l’épuisement.
Quelles solutions les contributeurs mettent-ils en avant ?
Les proches aidants mettent en avant le besoin de répit, de congés supplémentaires, de soutien financier, de souplesse dans l’organisation du travail, d’une culture de la confiance dans l’entreprise et d’une information adaptée.
Tous les acteurs, publics et privés, ont bien sûr un rôle à jouer et il faut poursuivre le travail se sensibilisation à tous les niveaux. L’Union OCIRP et ses membres espèrent y contribuer avec cet ouvrage.
Chacun des 40 contributeurs à l’ouvrage expose la solution qui lui paraît prioritaire : répit, accès aux aides professionnelles, désignation de référents aidants, adaptation du temps et des conditions de travail, libération de la parole, statut de l’aidant, guichet unique, mobilisation des employeurs et des managers, RSE, information et prévention, services dédiés au sein des entreprises, plateformes, accords collectifs, prévoyance … L’enjeu est souvent, pour l’aidant, non seulement de connaître les solutions, mais de les coordonner et de les financer.
S’agissant de la solvabilisation de l’aide aux aidants, les acteurs de la protection sociale complémentaire jouent un rôle important. Ils proposent des garanties associant information, soutien financier et accès à des services professionnels. Ils peuvent aussi jouer un rôle dans l’agencement de solutions adaptées.
L’ouvrage présente aussi les résultats du Baromètre OCIRP Salariés aidants 2022, réalisé avec l’institut Viavoice. Quels en sont les principaux enseignements ?
Il s’agit de la seule étude sur les aidants qui interroge à la fois les salariés (aidants et non aidants), les entreprises et les partenaires sociaux, décisionnaires en matière de protection sociale collective. En 2022, l’enquête avait pour thème : « Salariés aidants, RH, RSE et dialogue social ». Elle a été réalisée en partenariat avec l’ANDRH et l’ORSE.
On peut citer quelques chiffres clés :
- L’âge moyen du début de l’aide est de 36 ans chez les salariés du secteur privé en France (les salariés « seniors » ne sont donc pas les seuls concernés)
- 58% des salariés aidants sont en difficulté physique et morale
- 78% des DRH considèrent que le soutien aux salariés aidants est un levier de performance pour l’entreprise. Ce point de vue est partagé par une large majorité des représentants des partenaires sociaux
- 74% d’entre eux sont favorables à la mutualisation des coûts du soutien aux aidants dans un dispositif de prévoyance collective
- Les ¾ des DRH interrogés considèrent qu’il coûte plus cher à l’entreprise de ne rien faire que de soutenir les aidants.
- 9 représentants des partenaires sociaux sur 10 sont favorables à la négociation collective sur les salariés aidants.
Dessine-moi un aidant, ouvrage édité par l’OCIRP et Vovoxx media (2023) est disponible à la lecture ici.