L’Association des professionnels de la réassurance en France (APREF) a publié l’année dernière, un rapport sur les nouvelles technologies en assurance, dressant un panorama de celles-ci afin d’en mieux faire ressortir les enjeux. L’usage des nouvelles technologies bouleverse le paysage assuranciel.
Nous avons voulu l’évoquer avec Marc Haddad, Senior Partner, Responsable du secteur de la Banque et de l’Assurance chez IBM Consulting.
Aujourd’hui, un sujet majeur qui concerne l’assurance, tout comme d’autres industries, l’évolution des technologies, en particulier l’intelligence artificielle (IA). Quels avantages l’assurance peut-elle tirer de cette technologie, et quelles sont les perspectives ?
Marc Haddad : Nous sommes témoins de progrès considérables en matière d’automatisation et d’IA, allant de l’automatisation de processus à l’IA générative. Vous avez sûrement entendu parler de l’engouement pour des technologies telles que GPT-3, qui a été adopté par des centaines de millions d’utilisateurs en un temps record. Des questions cruciales se posent pour le secteur de l’assurance : comment cette révolution technologique s’intègre-t-elle ? Porte-t-elle un risque de déshumanisation dans un secteur où l’interaction humaine est cruciale ?
Dans l’assurance, les interactions avec l’assureur surviennent généralement à des moments critiques de la vie, comme lors des sinistres. À ces moments-là, les clients ont besoin d’empathie, d’écoute, d’orientation, et la perspective de communiquer avec une machine peut sembler peu réconfortante dans des situations critiques pour l’assuré. Les moments clés dans l’assurance nécessitent une réponse précise et adaptée, basée sur des informations pertinentes. Les machines sont parfois plus performantes dans certaines tâches. L’idée n’est pas de remplacer l’humain, mais de renforcer ses capacités, d’où le concept de « conseil augmenté ». Il est crucial de ne pas opposer l’IA à l’intelligence émotionnelle humaine. Elles se complètent plutôt qu’elles ne s’opposent. L’IA et l’humain collaborent efficacement pour le bien de l’assuré.
Concrètement ?
MH : Dans le cas de l’assurance, l’IA peut fournir des informations pertinentes en temps réel, ce qui est difficilement réalisable pour un être humain en raison du volume massif de données générées. L’IA peut aider les conseillers à être plus pertinents dans leurs interactions avec les clients. De plus, les chatbots qui se basent désormais sur la GenIA, peuvent améliorer les échanges en fournissant des informations précises à partir de vastes bases de données, offrant ainsi une expérience plus riche et complète avec les clients.
Un autre exemple est la détection de la fraude. Les schémas de fraude deviennent de plus en plus complexes, et l’IA peut aider à repérer des liens qui échappent souvent à l’analyse humaine. Cependant, la décision finale sur la fraude reste entre les mains des humains. L’IA peut contribuer à réduire les pertes pour les assureurs, ce qui bénéficie finalement aux assurés.
Enfin, l’IA peut également être utilisée pour développer de nouvelles garanties. En analysant par exemple de grandes quantités de données météorologiques et de comportements passés, elle peut proposer des ajustements de primes plus précis en fonction des risques. Les capacités de traitement en temps réel de l’IA rendent cela possible, malgré la complexité et de la quantité des données à traiter.
J’aimerais revenir sur le sujet de la relation clients. Ne pensez-vous pas que les collaborateurs en charge de la relation clients puissent craindre que l’IA prenne le contrôle de leur expertise, de leur connaissance, … ? De ce qu’ils font, sommes-toutes depuis des années ?
MH : Vous soulevez un point intéressant. Tout changement suscite généralement de la résistance, de l’appréhension et un processus d’adaptation. C’est inéluctable, il y a une évolution continue. Je tiens à rappeler une phrase que j’utilise fréquemment : « Tout ce qui est automatisable, le sera ». Certaines tâches et certains services d’assurance ne nécessitent pas une expertise humaine et pourraient être entièrement automatisés, du moins pour les tâches de base et pour les opérations courantes.
Pour répondre directement à votre question, l’humain apporte une valeur ajoutée indiscutable, à savoir se consacrer davantage à des tâches nécessitant un jugement, une expertise et une interaction sociale. L’IA doit être exploitée sur certaines tâches pour libérer du temps humain et permettre aux professionnels de se concentrer sur des aspects à plus forte valeur ajoutée. L’automatisation ne doit pas être perçue comme une menace pour les emplois, mais plutôt comme une opportunité de libérer le potentiel humain pour des rôles plus stratégiques et créatifs. Il s’agit d’un changement d’état d’esprit et de culture au sein des entreprises, tout en tenant compte des aspects sociaux liés à l’emploi.
En fait, nous sommes actuellement dans une phase de destruction créatrice, comme à chaque avancée de nouvelles technologies qui perturbent des professions ou des modes de distribution. Nous allons probablement traverser une période de transition, où des emplois seront perdus, mais de nouveaux seront créés. C’est un phénomène courant. C’est le cycle naturel des entreprises, mais aussi un moyen de créer de nouveaux emplois dans de nouvelles perspectives. Les entreprises qui réussiront seront celles qui investiront dans la formation de leur personnel et accompagneront leur transition vers de nouveaux rôles ou de nouvelles compétences.
Toujours sur le sujet de la relation clients, les attentes des clients évoluent. L’IA a-telle un rôle à jouer ?
MH : Les clients recherchent de la personnalisation et la qualité du service sans nécessairement payer une prime élevée. Les nouvelles technologies, comme l’IA générative, peuvent répondre à ces attentes en fournissant des recommandations précises et en comprenant les comportements des clients pour proposer des produits et services adaptés. La technologie peut offrir un service premium à un coût compétitif, ce qui est un avantage pour les clients.
Concernant les réseaux d’intermédiaires, tels que les agents généraux, les courtiers d’assurance,…, l’IA peut-elle faire peur ?
MH : Je ne pense pas. Les intermédiaires d’assurance ont pour principale valeur ajoutée le conseil. Par exemple, un agriculteur peut avoir besoin de discuter avec un intermédiaire qui le connaît bien, qui comprend ses besoins spécifiques en matière d’assurance agricole. L’intermédiaire d’assurance continuera à identifier les besoins individuels des clients, à fournir des conseils précis pour obtenir la meilleure couverture. L’intelligence artificielle soutiendra ce processus en effectuant les tâches complexes et en fournissant des données et des informations utiles.
Bien sûr, cela peut varier en fonction du type d’assurance. Pour des produits d’assurance plus simples, tels que l’assurance automobile, les clients peuvent préférer une expérience en ligne rapide et automatisée. Dans ces cas, l’IA peut être utilisée pour automatiser complètement le processus.
Vous avez mentionné que des millions de personnes ont commencé à utiliser l’IA générative en seulement trois mois. Avez-vous une idée de l’horizon temporel pour le développement des usages de l’intelligence artificielle dans le secteur de l’assurance ?
MH : Le rythme d’adoption de l’intelligence artificielle dans le secteur de l’assurance sera dicté en grande partie par la confiance que nous avons dans cette technologie. La confiance est essentielle. Actuellement, l’intelligence artificielle générative (IA générative) présente encore des biais et des hallucinations, ce qui peut limiter son adoption généralisée. Cependant, des entreprises telles qu’IBM travaillent sur des modèles d’IA générative, par secteur d’activités qui sont régulièrement entraînés pour réduire ces biais et hallucinations. Une fois que les consommateurs auront confiance dans ces technologies et que les biais seront minimisés, nous verrons une adoption plus visible dans le secteur de l’assurance.
En ce qui concerne les usages spécifiques, les premiers cas d’utilisation se concentreront sur l’entrée en relation avec les assureurs. Par exemple ce qui concerne les recommandations et les offres qui seront plus ciblées et adaptées aux besoins individuels de chaque client, ce qui pourrait augmenter le taux de couverture et le taux de vente pour les assureurs. Mais aussi la gestion des demandes de certificats d’assurance, la modification de la couverture d’assurance pour s’adapter aux besoins changeants, les processus de back-office,… .
Les assureurs cherchent de plus en plus à élargir leur champ d’action au-delà de l’indemnisation et à occuper un champ serviciel en amont et en aval de l’indemnisation. Pensez-vous que l’intelligence artificielle peut aider les assureurs à se positionner différemment, à explorer de nouveaux métiers ou à proposer de nouveaux services ?
MH : Absolument, et c’est un aspect très important. Avec l’IA, les assureurs ont la possibilité d’offrir un accompagnement continu à leurs clients tout au long de leur vie. L’intelligence artificielle peut interagir avec les événements de la vie de l’assuré et l’aider à prendre des décisions éclairées. L’IA peut également accélérer leur rôle sur la prévention des sinistres.
En ce qui concerne de nouveaux métiers ou services, il y a de nombreuses possibilités. Par exemple, les assureurs pourraient développer des services de prévention personnalisés en fonction des besoins de chaque assuré. Ils pourraient également proposer des conseils financiers basés sur des données en temps réel, ce qui aiderait les clients à gérer leurs finances de manière plus efficace. En fin de compte, l’IA offre aux assureurs la possibilité d’innover et de diversifier leurs offres de services, ce qui peut les aider à rester compétitifs et à répondre aux besoins changeants de leurs clients.
Pour terminer, dans ce contexte, qu’apporte IBM au secteur de l’assurance ?
MH : Du point de vue technologique, IBM a développé watsonx.ai, une intelligence artificielle de confiance spécifiquement orientée vers le secteur de l’assurance. watsonx est entraîné avec des modèles d’assurance pour minimiser les biais et les hallucinations. Les assureurs peuvent utiliser cette technologie pour accélérer la fiabilisation de leurs données, améliorer la crédibilité des données, et obtenir des résultats plus rapidement.
En ce qui concerne l’expertise métier, IBM Consulting dispose d’une équipe de professionnels qui ont une connaissance approfondie du secteur de l’assurance, y compris des actuaires et des experts en souscription, en distribution et en gestion des sinistres.
En résumé, IBM apporte à l’industrie de l’assurance une combinaison de technologies avancées, d’expertise métier et de perspectives passionnantes, de la GenIA jusqu’à l’informatique quantique. Les ordinateurs quantiques, une fois développés, offriront des avantages considérables pour l’assurance, et permettront de travailler en temps réel sur la détection des sinistres, l’ajustement des primes et leur modélisation actuarielle. C’est une technologie révolutionnaire qui ouvrira de nouvelles possibilités passionnantes pour le secteur de l’assurance.