Selon l’Inserm « Alors que la génétique correspond à l’étude des gènes, l’épigénétique s’intéresse à une « couche » d’informations complémentaires qui définit comment ces gènes vont être utilisés par une cellule… ou ne pas l’être. En d’autres termes, l’épigénétique correspond à l’étude des changements dans l’activité des gènes, n’impliquant pas de modification de la séquence d’ADN et pouvant être transmis lors des divisions cellulaires. Contrairement aux mutations qui affectent la séquence d’ADN, les modifications épigénétiques sont réversibles. ».
Par conséquent, l’épigénome pourrait être modifié par des expériences positives, comme les relations constructives et les occasions d’apprentissage, et par les facteurs négatifs, comme les produits toxiques de l’environnement et les situations stressantes, qui laisseraient une « signature » épigénétique distinctive sur les gènes. Il nous a semblé intéressant de vous proposer cet échange avec Damien Weidert, qui propose de partager ses convictions et se projette sur l’évolution du rôle des acteurs de l’Assurance santé.
En quelques mots, Damien, l’épigénétique
Pour faire très court, de la part d’un non scientifique, le constat que pose l’épigénétique est que le capital génétique individuel n’est au fond qu’une potentialité, activée ou inactivée par l’environnement de l’individu et les expositions qu’il lui impose. L’épigénétique, c’est l’ensemble des mécanismes qui vont favoriser l’expression de tel ou tel gène dans le développement du fœtus et plus tard de l’individu.
Les progrès de l’épigénétique peuvent-ils impacter l’Assurance Santé ?
Au cours des dix dernières années, j’ai suivi de près le domaine de la santé environnementale, qui se révèle extrêmement vaste. Le moins qu’on puisse dire est que ce sujet englobe pratiquement tous les aspects de la vie, y compris les risques en matière d’assurance. Même si tous les fils n’ont pas encore été tirés, il est évident qu’une prise de conscience sur ce sujet s’est opérée au fil du temps.
Il y a un peu plus de 10 ans, j’organisais pour le compte de la Fédération nationale de la Mutualité Française (Fnmf) un colloque à l’Assemblée nationale, qui abordait le thème de la nouvelle donne environnementale et les changements de paradigme dans le domaine de la toxicologie et de la santé publique. À cette époque, ces questions commençaient à sortir des laboratoires scientifiques pour être appréhendées par le grand public. Aujourd’hui, nous assistons à une transition vers une application plus concrète de ces connaissances.
Cette prise de conscience s’est propagée simultanément parmi les professionnels de la santé, particulièrement dans le secteur de la petite enfance et chez les infirmières qui ont pu y trouver un moyen de réinterroger leur métier sous l’angle de “l’éducation à la santé”. Cette prise de conscience a également touché les acteurs de la prévention, les assurances complémentaires, les associations environnementales et les pouvoirs publics.
C’est cette évolution a donné naissance à des initiatives telles que les « 1000 jours », porté par Santé Publique France. Ce programme vise à réduire les risques dès la naissance, voire même avant, au moment où les futurs parents formalisent leur projet. Il se focalise sur les risques environnementaux, dont les effets pendant la période fœtale ou développementale sont de plus en plus reconnus.
A ces périodes, conceptuelle et fœtale, l’impact de l’environnement, en particulier de l’exposition aux produits chimiques, est particulièrement important. En prolongeant cette réflexion, on s’interroge aussi aujourd’hui sur l’impact de ces expositions chimiques sur l’appareil génital féminin et le développement de pathologies largement invalidantes et tabous encore il y a peu, à l’image de l’endométriose.
Certains acteurs engagés de l’assurance explorent ces pistes, à l’image de La Mutuelle Familiale, via sa Fondation Santé Environnement. Ces recherches pour comprendre les mécanismes toxicologiques de l’environnement chimique sur l’appareil génital concernent aussi les hommes, tant il y a lieu de s’interroger sur les raisons d’effondrement de la qualité du sperme et les problèmes de fertilité, qui deviendront de plus en plus préoccupants dans les décennies à venir.
Quelle est la prise de conscience des citoyens sur les risques de santé liés aux facteurs environnementaux ?
Il existe bel et bien une prise de conscience parmi les citoyens français concernant l’impact pour la santé de facteurs exogènes tels que le réchauffement climatique et les pollutions chimiques du quotidien.
La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a sans doute accéléré cette prise de conscience. A l’occasion d’études et de baromètres, tel que celui publié par la Fondation Santé Environnement de La Mutuelle Familiale en février 2022, on a d’ailleurs pu constater un phénomène croissant d’éco-anxiété, bien décrit par le professeur de santé publique Alice Desbiolles.
Ce phénomène attire l’attention des professionnels de santé, des sociologues, ainsi que des médias.
Deux façons de voir le sujet : pour certains, le “tapage médiatique” disproportionné autour de la donne environnementale génère naturellement de l’angoisse ; tandis que pour d’autres, dont je suis, ce phénomène démontre que les jeunes générations (plus touchées par cette éco-anxiété) comprennent la nécessité, existentielle, qu’il y a désormais à agir. Et je pense en effet que la prise de conscience, individuelle et collective, de l’accumulation des risques environnementaux, et avant tout chimique, depuis pratiquement un siècle a quelque chose de vertigineux et d’angoissant.
Les scandales de l’amiante, du distilbène, ou encore de la chlordécone aux Antilles, nous rappellent l’ampleur que peuvent prendre ces atteintes environnementales – alimentées chaque fois, il est vrai, par des arguments économiques. Et pour les générations suivantes, les conséquences sont toujours bien réelles ! Et la publication récente de données chiffrées sur les résidus chimiques dans l’eau du robinet, notamment les métabolites issus d’une dégradation des pesticides, a de quoi inquiéter encore.
Quels sont les impacts de ces constats pour l’assurance ?
L’assurance est, rappelons, une science du risque. En réponse à cette prise de conscience évoquée et l’ampleur qu’elle prend, il paraît essentiel désormais de passer de la simple réparation en assurance à une logique plus proactive et préventive. Au fond, au-delà de la seule indemnisation/réparation, la résilience et la prévention devraient être considérées comme les ambitions de l’assurance. Pour reprendre le fil de notre premier échange, les progrès en épigénétique nous invitent précisément à considérer qu’il n’y a pas de fatalisme qui s’imposerait aux individus, pas même sous le poids du déterminisme génétique, mais, bien au contraire, des marges d’action individuelles et collectives pour dépasser la peur et réduire les risques.
Les assureurs sont déjà engagés dans la prévention ?
Force est de constater que parmi les assureurs qui se sont engagés dans la prévention, rares sont ceux qui mènent des actions de prévention primaire, c’est à dire en amont de la maladie. La plupart du temps, lorsqu’ils agissent, ils relaient des grands messages généraux de santé, à l’image des “Cinq fruits et légumes” ou des fameux “10 000 pas par jour”.
Ces messages partent du principe selon lequel l’individu informé est rationnel et fait donc des choix optimum pour sa santé. Evidemment, ce n’est pas si simple. Le changement de comportement est une matière bien plus difficile que cela, plus que l’individu est environné de multiples facteurs qui peuvent au choix : le rendre imperméable aux messages de prévention, empêcher ses tentatives pour adopter de nouveaux comportements, ou bien au contraire favoriser ces derniers.
D’où le fait que la prévention ne pourra jamais reposer sur la seule volonté d’un individu. Comme nous l’enseigne le concept de “promotion de la santé” trop souvent ignoré des assureurs, l’environnement et les choix collectifs jouent toujours un rôle. Pour être efficaces et se donner des chances de réussir en prévention, les assureurs doivent donc agir sur d’autres leviers, plus collectifs, de prévention primaire.
Cela nécessiterait, il est vrai, de renouer avec des logiques d’éducation à la santé ou de “santé communautaire” qui ont fait les grandes heures de la santé publique, mais aussi de sortir les initiatives de prévention du carcan strict de la relation “BtoC” pour aller vers des actions de plaidoyer et de prévention primaire de type réglementaire, par exemple.
Concrètement, une proposition pourrait être faite d’introduire dans les activités des assureurs un investissement minimum en prévention, avec un accent particulier sur la prévention primaire. L’ouverture à cette demande peut permettre de renforcer la confiance des assurés envers les assureurs, tout en redorant l’image de l’assurance en tant que partenaire dans la préservation de la santé et de l’environnement.
Allons-nous vers une transition du rôle historique des assureurs santé vers la gestion des risques ?
Ces derniers mois, le concept d’économie régénérative a émergé, remettant en question le principe fondamental de compensation carbone sur lequel se fondent les politiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE).
Ce type de démarche vise en effet à réduire les impacts négatifs que l’activité d’une organisation fait peser sur les 7 piliers de la RSE retenus dans le cadre de la norme ISO 26 000. Pour reprendre la formule, barbare, consacrée, il s’agit “d’internaliser les externalités négatives”.
Cette logique peut en effet conduire à une sorte de fuite en avant, qui éluderait les changements de fond nécessaires à la préservation des écosystèmes et de la santé globale. L’économie régénérative propose une approche différente, exigeant que les entreprises ne se contentent pas de réduire les impacts négatifs, mais qu’elles contribuent activement à des impacts positifs sur l’environnement, la société et d’autres domaines, qu’elles contribueraient donc à régénérer. Une création de richesses réellement positives, donc.
La philosophie de l’économie régénérative peut être appliquée au secteur de l’assurance. Comme évoqué précédemment, la nécessité d’aller au-delà de la réparation est impérieuse, notamment en raison de l’accumulation des risques.
Deux visions distinctes de l’assurance se dessinent : d’un côté, une vision traditionnelle qui consiste à indemniser les sinistres, et de l’autre, une approche de gestionnaire de risques responsable, c’est à dire tournée vers la réduction de ces derniers. Les assureurs qui adoptent cette perspective deviennent de véritables partenaires des pouvoirs publics en contribuant à réduire les risques à la source plutôt qu’en se limitant à la réparation.
En proposant des solutions qui visent à réduire les risques à la source, les assureurs peuvent jouer un rôle crucial, voire une forme de leadership, dans la transition vers une économie régénérative et participer activement à la création d’impacts positifs sur la santé et l’environnement.
Nous allons vers un nouveau modèle économique pour les assureurs axé sur la régénération et la gestion des risques ?
Il est crucial de remettre en question la logique qui consiste à générer des profits en exploitant les conséquences négatives de la dégradation de l’environnement et de la santé. D’un point de vue business, bien sûr, cette logique peut être positive pour l’assurance pour longtemps. Ce modèle économique repose sur une dynamique insoutenable.
La transition vers une économie régénérative s’impose. Les entreprises, y compris les assureurs, doivent repenser leur rôle et adopter une approche proactive en matière de gestion des risques, c’est à dire ne plus se contenter d’accompagner l’accroissement des risques en produisant des moyens de réparation
Si on reprend la question de l’épigénétique, l’idée serait donc de donner aux assurés les moyens de limiter “les risques d’une expression pathogène de leur génome”, plutôt que de se contenter de proposer des produits sur les maladies redoutées. Au passage, cela permet aussi de ne pas ouvrir la porte à une course au génome, avec les innombrables risques liés à la propriété et la protection des données personnelles. Si la question de l’épigénétique est si importante à mes yeux, c’est aussi parce qu’elle (ré)introduit une logique inter- ou transgénérationnelle dans les logiques de prévention du risque santé. Une perspective qui semble à la hauteur des objectifs de ce qu’on appelait encore il y a peu le “développement durable”.
Forts des erreurs et des scandales sanitaires du passé, il se jouerait là la fameuse résilience évoquée tout à l’heure. L’action des assureurs en prévention y jouerait un rôle important pour (r)assurer, mais aussi pour aider à faire des choix éclairés.
Au-delà d’une part d’actions de prévention primaire, les assureurs pourraient donc, chacun dans leurs domaines, établir des actions de régénération. Cette transformation nécessitera de sortir de la zone de confort traditionnelle de l’assurance pour embrasser un rôle plus actif et responsable dans la société, comme certains acteurs, mutualistes notamment, l’ont fait depuis longtemps.
Est-il nécessaire d’avoir une collaboration élargie et de nouvelles approches pour une prévention réellement efficace ?
L’articulation entre les acteurs publics et privés dans le domaine de la santé et de la prévention est complexe.
La perspective de politiques publiques de prévention couvrant tous les risques semble aujourd’hui assez éloignée. Les assureurs ont donc un rôle important à jouer, non pas pour tout prendre en charge, ce qui ne semble ni faisable, ni même souhaitable, mais pour établir avec les pouvoirs publics des programmes et objectifs communs en matière de prévention. Plutôt que de chacun agisse isolément, une approche collective et coordonnée pourrait être plus efficace pour maximiser l’impact des actions préventives. Cela pourrait impliquer une forme d’union de moyens ou du moins un lieu de coordination au niveau national.
Mais le système de santé en France est globalement axé sur le curatif ?
C’est vrai. Rappelons que les dépenses publiques de prévention primaires ne représentaient selon la Drees en 2019 (c’est à dire avant les années exceptionnelles de mobilisation contre la Covid-19) que 1,4% du montant global des dépenses courantes de santé (DCSi).
Ce constat a conduit à de nombreuses réflexions sur la refonte nécessaire du système de santé et de protection sociale, comme celles pointées dans le rapport du Haut Conseil pour la Santé publique en novembre 2021 (Franck Chauvin, « Dessiner la santé publique de demain »). Définitivement, les assureurs ont une place importante à y jouer. Le défi majeur est d’enclencher un changement culturel qui n’envisage pas simplement de saupoudrer plus de prévention ici ou là, mais d’adopter une approche globale de promotion de la santé qui déborderait largement les seules attributions actuelles du ministère de la santé. La prévention doit être abordée de manière holistique et collective, impliquant les individus, les familles, les professionnels de santé, les écoles, les entreprises, les gouvernements et les assureurs.
Cela revient-il à modifier le modèle économique de l’assurance ?
Non, pas fondamentalement. Si besoin était, rassurons-nous d’abord sur le fait qu’une telle politique globale et coordonnée des risques n’assècherait pas la “matière assurable” nécessaire à la pérennité des assureurs. Bien au contraire, ce serait un bon moyen de démontrer l’apport de leur expertise technique et de leurs moyens technologiques. Les assureurs disposent de capacités d’analyse, de prospective et d’évaluation des risques, qui leur permet de contribuer à la définition et à la mise en œuvre de stratégies de prévention.
L’ambition technique du métier d’assureur qui consiste à solvabiliser les risques et les rendre absorbables sur le plan financier en dégageant des marges bénéficiaires doit être équilibrée par une conscience et une action éthique concrète visible. Sans quoi il y a forte à parier que l’image de l’assurance en patira au fur et à mesure que l’urgence des transitions écologiques, démographique et sociale s’imposera. La réduction des risques est donc une condition de pérennité de l’assurance plutôt qu’un obstacle à sa rentabilité.
Dans le champ de la santé, la dérive des coûts, publics et privés, liés notamment aux maladies chroniques le démontre assez bien, avec un coût du risque en augmentation permanente.
En fin de compte, la transformation des assureurs vers une approche plus proactive, axée sur la prévention et la régénération, dépendra en grande partie de leur volonté de remettre en question les modèles existants et de s’engager dans des pratiques plus éthiques et socialement responsables.
Ne faut-il pas aussi s’attarder sur l’importance des mots utilisés ?
En ce qui concerne la communication et les termes utilisés, il est vrai que certaines expressions peuvent être ambiguës ou mal interprétées. Les termes comme « prévention », « promotion de la santé » et « éducation à la santé » peuvent avoir des significations différentes pour différentes personnes.
Une clarification des termes utilisés dans le domaine de la santé et de l’assurance est nécessaire pour éviter toute confusion et pour s’assurer que les actions et les intentions sont clairement communiquées. Il est important d’avoir une autorité reconnue et impartiale qui puisse définir et promouvoir ces termes de manière cohérente. Cette autorité pourrait jouer un rôle essentiel dans l’orientation des politiques de santé et dans la promotion d’une approche axée sur la prévention et la promotion de la santé. Quoi qu’il en soit, il faudrait être particulièrement vigilant sur le fait que la notion d’assurance régénérative soit l’expression d’une ambition de place, plutôt qu’elle ne tienne lieu de nouvelle mode sémantique en relai du développement durable et de la RSE.
Aujourd’hui se développe une multitude d’applications pour améliorer sa santé (sommeil, exercice physique, nutrition,… ), dont certaines d’ailleurs émanent des assureurs.
En effet, mais la question de leur retour sur investissement se pose, non pas sous le seul angle du marketing et de la satisfaction clients, mais du point de vue de leur impact sur les changements de comportement. Sur ce point, les données manquent cruellement.
Au lieu d’avoir une multitude d’applications et d’initiatives isolées, les acteurs pourraient s’associer pour développer des solutions plus complètes à plus grande échelle.
Encore une fois, la prévention ne peut se résumer à des applications technologiques ou de simples messages, même si l’exploitation massive de données peut nous y faire croire. La prévention nécessite également une approche humaine, des méthodes d’éducation à/pour la santé, de la psychologie et de l’engagement direct et collectif avec les individus. Si l’objectif est de faire changer les comportements pour réduire les risques, le recours aux seuls outils technologiques relève largement du mirage.
Les assureurs santé pourraient-ils développer un forfait de prévention primaire, payé par les assurés ?
L’idée d’un investissement minimum des assureurs en prévention est intéressante. C’est au fond ce que proposent notamment les acteurs mutualistes, engagés de longue date en prévention et promotion de la santé. Il est vrai aussi que cela renchérit les frais de gestion. Par ailleurs, il existe aussi, sous diverses formes des forfaits de prévention bien-être couvrant des postes tels que l’ostéopathie, les activités sportives,… .
Pour des actions de prévention à plus grande échelle bénéficiant à tous, cela me semble devoir relever d’une politique publique, afin de ne pas alourdir des transferts déjà extrêmement élevés. Rappelons également que, dans une décision du 20 septembre 2020, le Conseil d’Etat a rappelé que le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (Charte de l’environnement de 2014) était une liberté fondamentale. Il semble compliqué d’expliquer aux assurés qu’ils devraient payer pour cela…
Photo-Mohamed-KHALIL