Si le rôle majeur de l’assurance est d’indemniser des sinistres. Une question centrale se pose : la réparation du sinistre est-elle aujourd’hui responsable, engagée ?
C’est une question à laquelle les assureurs devront pouvoir répondre, prochainement.
Nous avons décidé d’échanger avec Jean-Vincent Raymondis, PDG du Groupe Saretec, qui, si il nous précise que « le sinistre qui émet le moins de gaz à effet de serre est celui qui est évité » lance un modèle spécifique de réparation bas carbone afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre lors des réparations et ainsi agir en tant qu’acteur positif et offrir des solutions durables aux sinistrés.
Comment appréhendez-vous le contexte actuel ?
Jean-Vincent Raymondis : Nous traversons actuellement plusieurs crises ou amorces de crises, liées aux conséquences du dérèglement climatique, aux crises sociales, sanitaires ou économiques. Les clients attendent des entreprises qu’elles évoluent et génèrent un impact positif étendu en réponse à ces crises, plutôt que de laisser la responsabilité d’agir uniquement aux individus et à l’État.
A mon avis, cette attente des consommateurs va engendrer des bouleversements pour les entreprises aussi forts que ceux que nous avons connu avec l’arrivée du digital.
Ce nouveau rythme de changement, de transformation et d’adaptation est imposé par les clients, il doit-être au cœur de la stratégie d’une entreprise de service. Proposer des solutions en réponse à ces crises est essentiel, et cela constitue la raison d’être des entreprises de services. L’enjeu aujourd’hui réside, pour les entreprises, dans la manière de créer cet impact positif.
SARETEC est une entreprise de plus de 2000 collaborateurs basés en France et en Espagne. Nous intervenons dans divers secteurs, tels que l’assurance et les services aux grandes entreprises, en proposant du conseil, de la gestion, de la prévention, de la réparation et des services IT. Notre domaine est si je puis dire « la gestion de problèmes » et de sinistres. Nous interagissons chaque année avec plus d’un million de personnes à travers nos missions pour les entreprises et les assureurs, en chiffrant plus de 2,5 milliards d’€ de dommages.
Nos équipes gèrent ainsi actuellement une vague inédite de sinistres liée à la sécheresse, ainsi que les conséquences des émeutes et des violences urbaines. En outre, nous faisons face à des événements climatiques exceptionnels tels que les mini tornades et les tempêtes d’été. Toutes ces situations sont le résultat du changement climatique et des crises sociales. La question est de savoir comment contribuer positivement.
Alors, comment contribuer positivement ?
JVR : Notre impact, comme celui des assureurs, se mesure à travers les interactions et les réparations de dommages. Notre objectif est de créer un impact positif en influençant positivement toutes les personnes avec lesquelles nous interagissons et, dans une perspective de réciprocité des intentions, pour nos collaborateurs.
C’est en cela que réside ma conviction, qui trouve écho dans les projets d’engagement de l’entreprise. Cette conviction doit être partagée par toute la gouvernance, et pas uniquement par quelques collaborateurs engagés. Travailler en étroite collaboration avec le Conseil d’administration a été primordial pour élaborer une vision commune centrée sur l’action, la proposition de solutions positives, par exemple afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre des chantiers de réparation. J’ai présenté le projet d’entreprise au Conseil d’administration il y a environ deux ans. Nous avons travaillé au sein du Conseil pour le développer et le présenter aux collaborateurs en début de cette année. Le processus a inclus la maturation de l’idée, la collaboration avec différentes équipes et la création d’un plan concret pour le déploiement à grande échelle.
Comment se concrétise votre engagement ?
JVR : Notre engagement se concrétise par des gestes et des actes opérationnels. Il se base sur deux domaines majeurs : l’accompagnement à long terme des sinistrés et la prévention. Le sinistre qui émet le moins de gaz à effet de serre est celui qui est évité. C’est pourquoi nous avons intensifié nos efforts en matière de prévention, non seulement pour éviter les problèmes personnels et économique que les sinistres engendrent, mais également pour réduire leur impact environnemental.
La prévention est devenue un enjeu essentiel pour nous. D’une part, elle permet d’éviter les troubles et les graves problèmes liés aux sinistres. D’autre part, elle contribue à maintenir la soutenabilité et la durabilité du modèle d’assurance dans un contexte où le coût de la réparation des sinistres augmente considérablement. En maîtrisant ces coûts, nous évitons de mettre en péril la capacité des assureurs à couvrir un large éventail de risques et à maintenir un système d’assurance solide.
Notre démarche se traduit donc par une action concrète et proactive dans plusieurs domaines : réduire les émissions de gaz à effet de serre lors des réparations, agir en tant qu’acteur positif au sein de l’entreprise et offrir des solutions durables aux sinistrés. Cette approche repose sur la conviction que l’engagement de l’entreprise doit aller au-delà des mots et se traduire par des actions tangibles et bénéfiques pour la société, nos collaborateurs et l’environnement.
Quelle est la genèse de cet engagement ?
JVR : Notre engagement découle d’une convergence entre l’entreprise et ses convictions, ainsi que d’une rencontre entre une génération de plus en plus consciente des enjeux et des convictions personnelles. Cette orientation a également été influencée par le modèle particulier de l’entreprise. En effet, depuis 1990, tous les salariés sont actionnaires, ce qui a façonné un modèle de croissance et de responsabilité sociale distinctif.
Parlez-nous de votre modèle spécifique de réparation bas carbone
JVR : Parmi les initiatives lancées, il y a un an et demi, nous avons créé un groupe de travail pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à la réparation. Ce groupe réunit des maîtres d’œuvre, des économistes de la construction, des experts dommage et construction et des spécialistes de l’accompagnement des entreprises. Ils ont travaillé pendant plus d’un an pour créer un modèle spécifique de réparation bas carbone, adapté aux réparations après sinistre, qui présentent des enjeux particuliers.
Grâce à ce modèle, nous avons réalisé l’impact significatif de certaines réparations. Par exemple, il a été démontré qu’une simple remise en peinture d’un seul mètre carré de mur après un sinistre émettait 3,2 kilos de CO2, équivalant à 27 km en voiture. Étant donné que les assureurs indemnisent des millions de mètres carrés de peinture chaque année, cette prise de conscience nous a montré qu’il y avait un potentiel d’impact positif à exploiter. Ainsi, ce qui était perçu comme un problème peut se transformer en une opportunité d’apporter des solutions positives.
Finalement, cette démarche s’inscrit dans une logique d’écosystème, où tous les acteurs, qu’il s’agisse d’experts, de réparateurs ou d’assureurs, peuvent contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre et avoir un impact positif. Cette démarche renforce également l’importance de la prévention, car même les dégâts mineurs, tels que les fuites d’eau, ont un impact significatif en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Chaque gramme compte dans la réduction de ces émissions.
Vous impliquez vos partenaires assureurs dans votre démarche ?
JVR : Totalement. Pour impliquer les assureurs dans ce projet, nous avons adopté une approche ouverte et collaborative. Tout d’abord, le travail que nous avons accompli au cours de l’année et demie sera rendu open source à partir de ce mois d’octobre, ce qui signifie que le modèle sera accessible à tous et que d’autres pourront y contribuer pour le faire évoluer. Cette démarche reflète notre volonté de créer un écosystème impliquant divers acteurs.
Lorsque nous avons abordé les assureurs, nous avons été agréablement surpris par leur réaction. Ils n’ont pas seulement écouté, mais ils ont également manifesté un véritable intérêt. Les assureurs sont conscients de la nécessité de mesurer et de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
De plus, cette démarche répond également aux attentes des assurés et des sinistrés, qui réagissent positivement lorsque nous leur proposons ces solutions. Il est important de souligner qu’il y a une véritable envie des assureurs de s’impliquer dans cette démarche. Ils reconnaissent l’importance de la prévention et sont prêts à investir dans des méthodes qui réduiront les émissions futures de CO2. Cette approche s’inscrit dans une perspective où investir dans la prévention pourrait être une alternative plus significative que la simple plantation d’arbres visant à compenser les émissions carbone.
Comment réagissent les entreprises de réparation ?
JVR : Les aléas de chantier sont un aspect crucial à considérer dans le processus de réparation bas carbone. Les imprévus peuvent entraîner des délais plus longs que prévus, ce qui peut poser des défis pour maintenir l’équilibre économique des chantiers. Nous reconnaissons que la transition complète vers des méthodes bas carbone peut être difficile et que certains travaux pourraient ne pas être équilibrés sur le plan économique. Néanmoins, notre groupe de travail a identifié des solutions pour maintenir la rentabilité tout en intégrant des pratiques respectueuses de l’environnement, favorisant ainsi la transformation du secteur de la réparation.
En impliquant les entreprises de réparation, nous avons identifié des stratégies pour maintenir leurs marges et augmenter leur chiffre d’affaires tout en réalisant cette transition. Par exemple, en utilisant certains matériaux à émission de CO2 réduites et en optant pour des méthodes de réparation ciblées, les entreprises peuvent maintenir leurs marges tout en contribuant à la transition écologique.
Et pour les experts d’assurance ?
JVR : L’implication des experts dans ce projet est cruciale. Ils ont un rôle à jouer en matière de sensibilisation et d’éducation. En tant que professionnels chevronnés, ils ont la capacité d’expliquer les avantages de la réparation bas carbone aux assureurs, aux réparateurs et aux sinistrés.
Pour eux, la clé est de montrer l’impact concret de leurs actions. Ainsi en quantifiant systématiquement les émissions de gaz à effet de serre générées par les travaux de réparation, nous pouvons établir un lien direct entre leur expertise et la lutte contre le changement climatique. Cette approche qui passe par une mesure concrète a suscité une réelle adhésion de leur part. Cette mesure systématique nous aide aussi à valider notre approche et à développer de nouvelles solutions concrètes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en préservant la qualité et la rentabilité et des réparations.
Pour les assureurs et les assurés sinistrés ?
JVR : Cette approche est vertueuse, elle favorise la transparence et l’inclusion de toutes les parties prenantes. Nous avons identifié des bénéfices tangibles pour les assureurs et les sinistrés. En effet, les bénéfices sont doubles.
D’une part, il y a des avantages collectifs liés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. D’autre part, il y a des avantages individuels pour les assurés. Par exemple, en utilisant des matériaux bas carbone ou des peintures recyclées, non seulement les émissions sont réduites, mais cela peut également avoir un impact positif sur la santé en réduisant les émanations nocives de COV (composés organiques volatiles). De plus, en optant pour des méthodes de réparation plutôt que de remplacement, les sinistrés bénéficient d’une réparation plus rapide, ce qui a un impact positif à la fois sur leur vie quotidienne et sur l’environnement.
Une approche vertueuse, pour tous ?
JVR : Ce projet est une démarche holistique, impliquant les assureurs, les sociétés d’expertise, les experts, les entreprises de réparation et les sinistrés, avec une vision à la fois environnementale et économique. En travaillant ensemble, nous pouvons atteindre des résultats positifs pour tous, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, en améliorant la santé des personnes et en favorisant des pratiques plus durables dans le secteur de la réparation.
L’objectif est de créer un mouvement collectif. C’est pourquoi nous ouvrons ces solutions open source, après avoir minutieusement travaillé sur ces éléments. Notre démarche vise à favoriser un écosystème ouvert, où les acteurs du marché peuvent contribuer et bénéficier de ces avancées.
Le succès que nous rencontrons actuellement ne provient pas de nulle part. Il découle en grande partie de notre investissement substantiel de 4% du chiffre d’affaires dans la recherche et le développement. C’est cette approche nous permet de réaliser des avancées significatives. Nous sommes convaincus qu’un modèle d’entreprise et un état d’esprit spécifiques sont nécessaires pour mener à bien ce genre d’initiative. Notre modèle d’actionnariat, basé sur une vision à long terme, nous permet d’investir dans des projets durables. Cette confiance réciproque entre les collaborateurs et le management contribue à renforcer notre démarche.
Revenons à votre modèle Open Source
JVR : Notre modèle open source consiste en un ensemble d’outils visant à quantifier les émissions de carbone liées à un chantier de réparation. Cela englobe la quantification des gaz à effet de serre émis dans ces travaux, ainsi que la création d’un bordereau bas carbone. Ce bordereau inclut des bonnes pratiques déjà identifiées, accompagnées de leurs prix associés. Ces bonnes pratiques sont conçues pour favoriser la transformation des entreprises vers des modèles plus durables. Cette approche permet de mesurer l’impact de la réduction des émissions de carbone lié à chaque pratique, tout en maintenant l’équilibre économique de l’entreprise. Nos concurrents sont également intéressés par cette approche.
D’autres sujet à venir ?
JVR : La décarbonisation de la mobilité individuelle est un enjeu crucial. La nécessité de solutions pour les déplacements individuels perdurera. Pour faciliter cela, il est essentiel d’avoir des outils qui facilitent la mise en relation des services de mobilité. Actuellement, de nombreuses analogies subsistent dans le fonctionnement de la mobilité et de la réparation. Nous croyons en l’adoption de solutions technologiques pour accélérer les processus et favoriser la réparation plutôt que le remplacement. Nous investissons activement dans des plateformes qui simplifient la relation, la mobilité et la réparation, avec un déploiement à l’échelle européenne.
Comment se vit l’engagement au sein de SARETEC ?
JVR : Un rappel, notre démarche d’entreprise à mission a été officialisée le 19 juin 2023. Cette évolution de notre statut témoigne de notre engagement envers des pratiques durables et significatives. Nous croyons fermement en l’importance d’instaurer une relation de confiance avec nos collaborateurs, basée sur l’autonomie et la réciprocité. Nous souhaitons impliquer l’ensemble de l’entreprise dans la définition de nos objectifs opérationnels et renforcer notre engagement collectif envers une transformation positive et durable.
L’engagement est total ?
JVR : L’engagement de nos collaborateurs varie, comme c’est le cas dans toute entreprise. Notre entreprise a sa « sociologie » avec des générations différentes (30% des collaborateurs eux ont moins de 35 ans), des cultures professionnelles différentes (ingénieurs, juristes, …), des métiers différents. Toutefois, le besoin d’un métier épanouissant est partagé par tous. Ajouter plus de sens à un métier contribue à cet épanouissement. En créant une boucle vertueuse entre sens et engagement, nous obtenons une meilleure perception des clients, une satisfaction accrue, des résultats positifs et une amélioration de la productivité. Nous continuons notre travail collaboratif pour identifier les actions et les objectifs opérationnels les plus importants pour les collaborateurs. Cette démarche reflète notre conviction que ceux qui sont directement impliqués ont les meilleures idées et solutions. Notre entreprise embrasse cette approche participative pour façonner son avenir.