Récemment, CNP Assurances proposait son troisième cahier de la prospective, intitulé « Le rôle social de l’assurance d’ici à 2040, Tous assurables ? Réinventer l’assurance dans un monde en rupture. ».
Nous avons échangé avec Sonia Barrière, membre du Comité exécutif et directrice de la transformation stratégique au sein de CNP Assurances et Anani Olympio, Ph.D., actuaire expert ERM CERA, responsable du département de recherche et prospective stratégique et de la Chaire d’excellence DIALog chez CNP Assurances.
Pouvez-vous nous partager, nous rappeler l’objectif de cette 3e édition du colloque de la prospective ?
Anani Olympio : Avant toute chose, rappelons que cette 3e édition du colloque de la prospective organisée par CNP Assurances en partenariat avec Futuribles, s’inscrit dans la logique d’une trilogie prospective, composée de trois sujets majeurs de prospective qui interrogent notre secteur, et destinés aux acteurs publics comme privés. Les travaux des deux premiers Cahiers ont été présentés successivement lors des colloques organisés en 2021 et 2022.
Dans cette dynamique, l’ambition de cette 3e rencontre est de poursuivre le partage des résultats de nos études prospectives avec le plus grand nombre autour de Véronique Weill et de Stéphane Dedeyan respectivement Présidente du Conseil d’Administration et Directeur général de CNP Assurances, notre partenaire Futuribles, nos experts invités aux tables rondes, et notre keynote speaker madame la Ministre Elizabeth Moreno.
Ainsi l’objectif de ce colloque était triple. Tout d’abord, nous avons souhaité mettre en évidence les messages clés de ce nouveau cahier afin de mettre l’accent sur la nécessité de réinventer le rôle social de l’assurance dans un monde en plein bouleversement. Ensuite, permettre le débat sur un sujet à fort intérêt et impact pour le secteur. Enfin, porter la raison d’être et les engagements de CNP Assurances auprès de chaque partie prenante de notre écosystème mais aussi du public curieux de s’informer sur cet enjeu.
Il est évoqué dans ce cahier, trois transformations majeures et leurs impacts qui réinterrogent le rôle des assureurs. Lesquelles ?
AO : Dans ce Cahier, nous avons orienté nos analyses sur le rôle social de l’assurance au sein de nos sociétés en pleine mutation. Ce qui est remarquable, c’est que pour les professionnels et les experts interrogés, le secteur d’assurance a et joue un rôle social. Ce constat est beaucoup moins évident pour le grand public.
Les bouleversements en cours au sein des sociétés entraînent une diversification et une complexification des besoins adressés aux assureurs, et qui peuvent mettre en tension le principe même de la mutualisation. Ces évolutions sont amplifiées par les chocs relatifs à l’environnement général (changement climatique, dégradations environnementales, risques émergents, risques sanitaires, technologiques, reconfiguration des capacités d’action des États…) qui se cumulent entre eux et avec les évolutions précédentes.
Dans ce nouveau paradigme, nous constatons un accroissement des vulnérabilités des populations et nous notons trois transformations majeures qui réinterrogent le rôle des assureurs. D’abord, les dégradations inédites et irréversibles du climat et de l’environnement qui résultent d’une pression démesurée des activités humaines sur l’écosystème et qui se manifestent aujourd’hui principalement par l’effondrement de la biodiversité, le changement climatique et les tensions concernant l’accès aux ressources naturelles.
Ensuite, les technologies omniprésentes dans nos sociétés, sources d’inégalités et de nouveaux risques pour les personnes et leurs biens. Enfin, la reconfiguration des jeux de pouvoir et la répartition des rôles entre les acteurs du secteur de l’assurance, l’Etats, les collectivités locales, les associations et bien sûr les citoyens chacun à son niveau. Les grands défis engendrés par ces transformations questionnent le rôle des assureurs car elles provoquent des impacts inédits sur le monde de l’assurance.
En effet, elles sont porteuses de risques qui deviennent incalculables, malgré l’utilisation de l’intelligence artificielle, et elles génèrent des coûts qui deviennent insupportables avec notamment la multiplication des phénomènes climatiques d’ampleur.
La capacité des assureurs à supporter le coût de certains risques est une question importante pour l’économie et la protection des personnes et de leurs biens. On observe déjà aujourd’hui des zones géographiques où certaines compagnies d’assurance refusent d’assurer les habitations des ménages y résidant, car jugées trop exposées aux catastrophes naturelles, notamment certaines régions des Etats-Unis.
Véronique Weill, Présidente du conseil d’administration de CNP Assurances précise en avant-propos de ce cahier de la prospective « Les sociétés sont désormais confrontées à des bouleversements inédits par leur soudaineté et leur ampleur dans un monde globalisé. L’incertitude économique dans un contexte d’inflation persistante, les catastrophes naturelles et climatiques, la dégradation croissante de la biodiversité, les tensions géopolitiques notamment la guerre en Europe et sa résonance sur les économies et jusque dans nos vies, amplifient les vulnérabilités dans nos sociétés. » Comment CNP Assurances peut-elle réinventer son rôle dans ce monde « en rupture » ?
Sonia Barrière : En tant qu’assureur du grand pôle financier public, en cohérence avec notre raison d’être, nos valeurs et nos ambitions d’être toujours au plus proche des personnes et leurs besoins, nous disposons de deux clés essentielles pour nous réinventer dans ce monde de plus en plus en rupture.
Notre première clé c’est « Être un assureur complet à vocation citoyenne » au sein du grand pôle financier public. L’intégration des métiers d’assurance IARD, grâce à notre rapprochement avec La Banque Postale Assurance, nous confère un statut inédit. Ce statut inédit de collectif d’assureur citoyen nous inscrit dans une vision de temps long afin d’accompagner les grandes mutations qui bouleversent, aujourd’hui et encore plus demain, les parcours de vies de nos assurés.
Notre deuxième clé c’est l’« incarnation de notre raison d’être ». Concrètement, cela passe par trois axes. D’abord, renforcer la logique inclusive de l’assurance. Ensuite, être un acteur actif dans le développement des consortiums public/privé et la simplification du cadre réglementaire afin de co-financer, par exemple, des infrastructures préventives s’imposent aux nouvelles réalités. Enfin, donner un élan collectif au secteur pour se réinventer individuellement et collectivement.
Un des leviers d’action possibles pour réinventer le rôle social de l’assurance et répondre aux enjeux de demain est, selon le cahier de la prospective, de repenser les mécanismes d’inclusion pour répondre aux besoins des publics les plus vulnérables. Comment ?
SB : Selon nous, repenser les mécanismes d’inclusion pour répondre aux besoins des publics les plus vulnérables, ne se fera que par le renforcement et l’extension de la logique de l’inclusivité, au cœur du modèle assurantiel. Une manière de réduire les exclusions et d’élargissement progressif du périmètre des risques couverts, tout en veillant au respect du principe de la mutualisation des risques.
Pour cela, nous pouvons noter cinq moyens d’actions complémentaires. Il conviendrait d’agir pour poursuivre la simplification des contrats d’assurances afin de les rendre compréhensibles par tous. Il est nécessaire d’adapter la réglementation et de s’assurer qu’elle est compatible avec des offres d’assurance inclusives.
A ceci, s’ajoute l’urgence de se rapprocher des acteurs les mieux placés pour diffuser des produits relevant de l’assurance inclusive, notamment des partenariats entre assureurs et associations. Il faudrait également mieux exploiter le potentiel de outils numériques pour faciliter la distribution des solutions d’assurances inclusives. Enfin, l’action doit aussi porter sur la proposition de garanties d’assurances inclusives en lien avec la transition écologique, par exemple en offrant la possibilité d’investir sur des actifs verts respectant les critères environnementaux exigeants.
L’inassurabilité de certains risques est au cœur de ce cahier de la prospective. Faut-il repousser les limites de l’assurabilité ? Comment ?
AO : Pour repousser les limites de l’assurabilité, il est essentiel d’établir une gouvernance renouvelée et holistique des risques. Cette gouvernance doit être à même de prendre en compte des enjeux plus complexes et systémiques. Ceci suppose aussi de faire des alliances et de nouer de nouveaux partenariats notamment publics-privés. Dans le Cahier, nous proposons des pistes et des recommandations sur les actions qui nous paraissent prioritaires. Parmi ces actions, nous proposons de favoriser l’approche fondée sur l’intelligence collective par une mobilisation plus large des acteurs (privés, publics, associations…).
Nous recommandons d’autres actions comme la proposition de réformes règlementaires d’incitation au développement social et des prises de décision proche de la réalité du terrain, notamment pour la promotion des actions de prévention permettant de limiter l’exposition des populations aux risques majeurs. Nous encourageons à élargir la règle de mutualisation des risques, aujourd’hui basée essentiellement sur la dimension spatiale (mutualisation par zone géographique), en y intégrant la dimension temporelle (mutualisation sur plusieurs années), en adéquation avec une logique plus prospective. Nous avons également des progrès à faire pour améliorer la gestion des risques par l’usage vertueux d’innovations technologiques.
Enfin, un des enjeux majeurs c’est de renforcer le rôle social en élargissant la gouvernance des risques par des coopérations internationales audacieuses au service des citoyens.
Vous avez réalisé ces trois dernières années, 3 cahiers de la prospectives, quel bilan tirez-vous de ce travail considérable pour notre industrie ?
SB : Ces travaux d’analyses et d’anticipations prospectives fournissent des éléments de toile de fond pour notre secteur et proposent des scénarios d’évolutions possibles de la société. Ce contexte général nous amène à faire trois constats globaux. Tout d’abord, on note une tension croissante entre un besoin de personnalisation des offres et celui d’une d’approche plus globale de l’assurance via la mutualisation. Or, nous observons les difficultés à concilier l’antagonisme entre les besoins croissants des individus qu’il faut adresser, les injections paradoxales générées par la règlementation et la capacité de plus en plus limitée des pouvoirs publics à soutenir ces attentes. De plus, les risques deviennent difficiles à anticiper et l’assurance fait aujourd’hui face à des coûts qui deviennent insupportables, remettant donc en cause les grands équilibres de son modèle économique. En synthèse, le besoin d’assurance est de plus en plus prégnant pour les populations. Comment dans un monde de post-croissance, face à un avenir de plus en plus incertain et à des risques systémiques, les assureurs pourraient répondre aux attentes de diversification de leurs offres sans remettre en cause le principe de la mutualisation ?
Il est donc essentiel de réinventer ensemble un modèle permettant à la fois de pérenniser le mécanisme de mutualisation que nous connaissons et de maintenir notre posture d’accompagnateur de tous les parcours de vie, et cela même dans un monde en rupture.