Malgré l’évidence du changement climatique, de nombreuses entreprises hésitent encore à engager leur transition vers une économie bas carbone.
Elles savent que ce retard peut nuire à leur image, mais c’est souvent le seul risque qu’elles perçoivent. Pourtant, ces entreprises courent un risque sans doute plus grave : le risque de voir leurs financements bancaires coûter de plus en plus cher — voire de ne plus obtenir de financement bancaire du tout.
Pourquoi donc les entreprises peu engagées en matière environnementale paieraient-elles plus cher leur crédit bancaire ? Parce que le changement climatique fait peser un risque financier sur les entreprises, et qu’un nombre croissant d’institutions financières mesurent ce risque et le répercutent naturellement sur les taux proposés.
Plus qu’une affaire d’image, une question de solvabilité pour les entreprises
La littérature bancaire distingue trois types de risques financiers liés au changement climatique : le risque physique, le risque de transition, et le risque de responsabilité.
Le risque physique englobe toutes les éventuelles conséquences des aléas climatiques, qui deviennent plus aigus et plus fréquents — canicules, sécheresses, incendies de forêts, inondations, etc. Les conséquences financières de ces événements peuvent être directes (coût de réparation d’un entrepôt ou d’une usine, par exemple) ou indirectes (perturbation d’une chaîne d’approvisionnement).
Le risque de transition désigne les coûts que pourraient représenter le passage à un modèle économique bas carbone — que ce passage soit désiré (investissement proactif dans de nouvelles technologies « vertes »), ou subi (évolutions de normes environnementales, augmentation du coût de la tonne de carbone…).
Le risque de responsabilité, enfin, s’intéresse aux poursuites judiciaires qui seraient intentées contre les entreprises qui dégradent l’environnement, ou ne se conforment pas à des règles environnementales. Les récentes assignations en justice au titre de la loi sur le devoir de vigilance en sont le parfait exemple.
Ces risques climatiques, lorsqu’ils se concrétisent, peuvent coûter des sommes significatives aux entreprises, jusqu’à menacer leur solvabilité.
Les analyses crédit intègrent progressivement le risque climatique
Comme le dérèglement climatique menace de façon croissante la santé financière de l’ensemble du tissu économique, les banques intègrent logiquement le risque climatique à leur analyse crédit. Cette intégration, encore balbutiante, deviendra de plus en plus prégnante à mesure que le nombre d’entreprises fragilisées à cause du changement climatique s’accroîtra.
L’éveil des banques au risque climatique n’a pas été spontané. Il est en partie le résultat de la pression de deux acteurs : les organisations gouvernementales (ONG), et les banques centrales.
S’il ne surprendra personne que les ONG s’intéressent au sujet, l’engagement des banques centrales peut paraître plus étonnant au premier abord. La Banque centrale européenne (BCE) a publié en novembre 2020 un guide à destination des banques, dans lequel elle explique comment elle souhaiterait que les banques gèrent le risque climatique, par exemple dans leur processus d’octroi de crédit. En novembre 2022, constatant que les banques sous-estimaient encore le risque climatique, la
BCE leur a donné un ultimatum, pour qu’elles intègrent pleinement ces risques fin 2024. Une étude de juillet 2022 révélait que seules 20 % des banques de la zone euro intégraient le risque climatique comme une variable lors de l’octroi de crédit.
La Banque de France est aussi à la pointe de ce travail. Son gouverneur a annoncé qu’à partir de 2024, la cotation qu’elle fournit afin d’évaluer la santé financière des entreprises françaises, prendra en compte des critères environnementaux. L’évolution de cette cotation, très utilisée par les banques de la place, influencera nécessairement leurs critères en matière d’octroi de crédit.
Trop peu d’entreprises comprennent l’évolution des banques
Ce changement d’analyse est encore mal compris par les entreprises. L’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (AMRAE) interroge depuis deux ans des gestionnaires de risque sur leur perception du risque climatique. Certains risques sont bien identifiés : par exemple, près de 100 % des gestionnaires de risque comprennent que le dérèglement climatique crée un risque d’augmentation du coût des matières premières et de l’énergie. Mais la difficulté à obtenir des financements figure à la dernière place des risques identifiés par les répondants : 45 % des gestionnaires interrogés disent que ce risque est « non identifié » dans leur entreprise. Pourtant, les banques ont déjà commencé à se transformer.
La transition écologique a un coût : elle demande des investissements et des changements organisationnels sans doute bien plus conséquents que ceux de la transition numérique. Toutes les entreprises ont donc intérêt à initier ce chantier le plus tôt possible pour l’amortir dans la durée. La mesure du risque étant leur cœur de métier, nul doute que les banques feront payer de plus en plus cher l’immobilité face au changement climatique.
Tribune de Michel Galibert, COO et cofondateur de Memo Bank