À la fin de ce premier semestre 2023, Swiss Re a présenté son estimation du coût des dommages causés par les catastrophes naturelles dans le monde : 109 milliards d’euros. Sur Arte, l’émission 28 minutes du 10 août 2023 revient sur ce chiffre, et l’augmentation des catastrophes naturelles liée au réchauffement climatique.
Comment le secteur de l’assurance va-t-il répondre à ces nouveaux défis ?
Des chiffres discutés mais une trajectoire claire
Alors que dans les années 80, les événements climatiques coûtaient en moyenne 1 milliard d’euros par an aux assurances, ce chiffre a été multiplié par 10 en 2022 selon France Assureurs. Un chiffre sous-estimé, selon Melissa Perez, professeure à l’université Paris Dauphine en finance durable et Vice-présidente de l’association Shifters, œuvrant pour une société bas carbone.
Selon elle, il y a certes une augmentation, mais surtout un dérèglement des risques climatiques. En 2022 par exemple, l’épisode seul de grêle aura couté 6 milliards d’euros aux assurances, contre 600 millions l’année passée. En cause, une variation de seulement quelques millimètres en plus dans la taille des grêlons. À lumière de cet événement, Melissa Perez en appelle à revoir les méthodes de calcul de France Assureurs.
Si 500 milles voitures ont été endommagées par les orages de grêle en 2022, un autre péril naturel prend de plus en plus d’ampleur : la sécheresse. Cette dernière provoque un retrait-gonflement des sols argileux, mieux connu sous le terme RGA, qui fissure les façades des habitations. En 2022, ce phénomène a touché près de 4000 communes, et environ 10,4 millions d’habitations seraient exposées à un risque moyen à élevé de subir cette dégradation dans les années à venir. Selon les estimations de France Assureur le coût de ces sinistres pourrait être multiplié par trois d’ici 2050. Pour Sébastien Acedo, rédacteur en chef délégué de l’Argus de l’Assurance, si les chiffres de France Assureurs peuvent être discutés, « ils donnent néanmoins une trajectoire très claire ».
Système assurantiel sous tension
« Si le coût moyen des sinistres augmente, les primes nécessaires pour couvrir ces sinistres augmenteront proportionnellement, voire plus » estime Alexis Louaas, économiste spécialiste en assurance et chercheur consultant chez Square Research Center.
L’assurance repose sur deux principes : la mutualisation des risques et l’aléa. La mutualisation consiste à collecter des primes auprès de la communauté des assurés pour indemniser ceux qui subissent un sinistre. L’aléa, quant à lui, est la probabilité qu’un sinistre survienne.
Or, « Les assureurs aiment prévoir le risque de manière à calculer la prime qui va être nécessaire pour payer les sinistres » explique Alexis Louaas. Dès lors qu’ils ne connaissent pas le risque, les assureurs font face à un choix difficile : soit ils augmentent fortement la prime, soit ils se désengagent.
Dans certains endroits, la probabilité qu’un risque survienne devient presque une certitude, rendant ainsi l’assurance non viable. Des zones blanches émergent déjà peu à peu. Aux États-Unis par exemple, Farmers Insurance a récemment annoncé quitter la Floride, abandonnant ainsi 100 000 de ses clients. Dans cet état où les tempêtes et les inondations se multiplient, Farmers Insurance est déjà la quatrième compagnie d’assurance à jeter l’éponge. En Californie, où les incendies font rage chaque été, le numéro 1 de l’assurance State Farm a également pris la décision de ne plus assurer aucun nouveau client propriétaire dans cet état depuis le 27 mai dernier. En Australie, alors que les prix des assurances ont augmenté de plus de 14% d’après le Bureau australien des statistiques, le Climate Council estime qu’une maison sur 25 ne sera plus assurable à l’horizon 2030.
Si la France est moins touchée par le phénomène de désengagement des assurances, il existe néanmoins certaines zones où les assureurs commencent à se retirer discrètement, dans l’Aude ou sur le littoral atlantique par exemple.
Europe : un risque de faillite contrôlé
Une telle mise sous tension du système assurantiel peut légitimement susciter des doutes et des inquiétudes quant à sa solvabilité. Au niveau français et européen, Alexis Louaas rappelle néanmoins que ce risque est extrêmement maîtrisé.
En effet, les institutions et les organismes de supervision de la solvabilité des assureurs veillent à ce que le système demeure stable. La réglementation européenne Solvabilité II, mise en application en 2016, exige des assureurs qu’ils maintiennent, face à leurs engagements, un niveau de capitaux suffisant, assurant ainsi un niveau de risque de faillite particulièrement bas (0,5% par an).
Par ailleurs, l’ACPR (l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) requiert que les compagnies d’assurance effectuent régulièrement des stress tests climatiques dans lesquels les pires scénarios catastrophes sont envisagés.
Pour beaucoup de professionnels, le risque se situe davantage du côté de la solvabilité des assurés. En effet, si les tarifs augmentent de manière excessive, les assurés, particuliers, entreprises ou collectivités, ne pourront bientôt plus se couvrir convenablement contre les risques climatiques.
À titre d’exemple, l’Outre-mer compte seulement 50% de maisons assurés, contre 99% en métropole. Melissa Perez attribue ce phénomène à la hausse des coûts d’assurance et la rupture de confiance des assurés envers les assureurs. Autre exemple, les habitations concernées par le risque RGA : selon la Cour des Comptes, la moitié des sinistrés ne sont pas remboursés, tandis que ceux qui le sont attendent parfois jusqu’à 5 ans pour être indemnisés. De telles difficultés d’indemnisation pourraient contribuer à fragiliser davantage la confiance des assurés envers leurs assureurs.
La France bénéficie toutefois d’un amortisseur important : le régime des catastrophes naturelles permet un minimum de protection pour un coût modique. « La part reversée au système Cat Nat revient à 12% sur les contrats multirisques habitations et 6% sur les contrats automobiles. Le coût est d’environ 25 euros par an pour un contrat multirisque habitation. » explique Alexis Louaas. Ce partenariat entre les assureurs et l’État offre ainsi une garantie illimitée de l’État pour certains risques climatiques.
Des solutions existent
Trois acteurs sont aujourd’hui autour de la table : les assureurs, les constructeurs et les collectivités territoriales. Côté construction, l’industrie s’engage de plus en plus massivement dans le mouvement de la durabilité afin de renforcer la résilience des bâtiments face aux risques naturels.
Mais les élus ont aussi un rôle primordial à jouer. En tant que vecteurs de prévention et décideurs quant à l’octroi de permis de construire, leur position est centrale. Les élus peuvent, par exemple, empêcher la construction dans des zones inondables. En outre, une sensibilisation des assurés est nécessaire : « Cela commence dès l’achat de sa maison ou de son appartement, quand le document de l’état des risques naturels est transmis » rappelle Sébastien Acedo.
Quant aux assureurs, beaucoup plaident en faveur d’une augmentation de la surprime sur les contrats d’assurance. Cette mesure viserait à accroître les ressources de la Caisse centrale de réassurance et permettrait de faire face aux défis à venir. Bruno le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, ont d’ailleurs récemment annoncé le lancement d’une mission chargée d’élaborer un état des lieux et des recommandations sur l’évolution du système assurantiel français face aux enjeux posés par le dérèglement climatique. Les conclusions de cette mission, visant à trouver des axes d’amélioration du régime des catastrophes naturelles, seront présentées dans les prochains mois.
« Dans le contexte du réchauffement climatique, les assureurs font tout autant partie de la solution que du problème », rappelle Melissa Perez. Le secteur de l’assurance dispose de réserves financières considérables qu’il n’immobilise pas sur des comptes en banque, mais investit largement en produits boursiers.
Or ces fonds sont trop souvent dirigés vers des entreprises engagées dans les énergies fossiles. Ces dernières contribuent aux émissions de gaz à effet de serre et donc au dérèglement climatique.
Pourtant, le GIEC, ou encore l’Agence Internationale de l’Énergie, rappellent régulièrement que pour contrer le problème du réchauffement climatique, plus aucune nouvelle exploitation pétrolière ne devraient recevoir de financement.
Pour Melissa Perez, la question est de savoir qui va payer. Faut-il augmenter les tarifs au risque que les français ne puissent plus s’assurer ? L’État doit-il s’endetter davantage pour soutenir les assureurs ?
Elle rappelle qu’une innovation a déjà été imaginée par Alain Grandjean, économiste spécialiste des questions de la finance verte. Évoquant la création d’une société de financement de la transition écologique, ce projet constituerait un partenariat entre les acteurs privés et l’État.
D’un côté les financements nécessaires à la transition écologique seraient apportés par le secteur privé, de l’autre, l’État jouerait le rôle de garant. « Cette solution permettrait de combiner le meilleur des deux mondes pour garantir la protection des citoyens face aux catastrophes naturelles », explique-t-elle.