Avec 44% des salariés qui se sont absentés au moins un jour, contre 30% en 2019, l’absentéisme en entreprise a atteint des records en 2022, selon le Datascope d’Axa.
Focus sur cette hausse générale, qui ne devrait pas retrouver ses niveaux d’avant-crise en 2023.
Un absentéisme toutes catégories
Ce qu’il ressort de la quatrième édition de « l’observatoire de l’absentéisme » publié le lundi 22 mai et réalisé par Axa : « C’est un record » selon la compagnie d’assurance. En effet, en France, près d’un salarié sur 2 s’est mis au moins une fois en arrêt de travail en 2022, contre un peu moins d’un salarié sur 3 en 2019.
Ce baromètre se fonde sur le traitement anonymisé des Déclarations sociales nominatives (DSN) de plus de 3 millions de salariés du portefeuille Axa en 2022. Il est toutefois bon de relever que l’assureur signale une surreprésentation des cadres (27% contre 19% pour la population totale des salariés en France) avec un âge moyen de 40,4 ans et 84% de salariés en CDI.
Tous les secteurs sont concernés par cette hausse de l’absentéisme bien que le commerce, principalement alimentaire, affichant le plus fort taux avec 6,8%, contre 4,5% de manière globale dans les autres secteurs.
Concernant la taille de l’entreprise : plus elle compte de salariés, plus le taux d’absentéisme est élevé. « Les salariés des grandes entreprises se sont arrêtés plus fréquemment que dans les plus petites. En effet, dans ces dernières qui comptent moins de 20 salariés, il est certainement plus difficile de pouvoir s’arrêter sans mettre l’entreprise en difficulté », relève Axa.
Toutes catégories confondues, quel que soit le domaine d’activité et la taille des entreprises, la hausse de l’absentéisme a également concerné toutes les tranches d’âge. Cependant, le Datascope d’Axa révèle que les plus jeunes ont été encore plus touchés, avec un taux d’absentéisme qui a progressé de plus de 50% chez les moins de 30 ans entre 2019 et 2022. À titre de comparaison, la progression a été de 34,3% chez les 45-50 ans.
L’absentéisme sur fond de pandémie et d’inflation
« La pandémie de Covid-19 a toujours un impact sur l’absentéisme. La courbe est en forme de cloche qui devrait retomber quand les choses seront rétablies », estime Anne Jacquelin, docteure en sociologie du travail et des organisations. Même si cette étude montre une forte augmentation des arrêts de courte durée qui, selon Axa, « peut potentiellement être liée aux vagues épidémiques dues en particulier au variant Omicron qui sévissait en début d’année ».
Mais, cette hausse de l’absentéisme n’est pas seulement dû au Covid encore bien présent au début de l’année 2022. En effet, tout en précisant que ces données ne sont pas représentatives des actifs français, car elles ne concernent que ceux qui sont couverts par Axa, la docteure Anne-Jacquelin ajoute : « Les difficultés conjoncturelles, la crise économique, le fait que moins de médecins soient disponibles : toutes ces raisons entraînent plus d’arrêts maladies »
« La question de la santé initiale des travailleurs joue. Certains n’ont pas eu accès à un parcours de soins serein depuis plusieurs années », relève Anne Jacquelin. De plus, certains salariés étranglés par l’inflation galopante, cumulent les emplois pour s’en sortir, comme l’illustre la sociologue : « J’ai beaucoup travaillé sur la question des soignants et j’ai vu des aides-soignantes et des ASH – qui font le ménage dans les lieux de soin – se mettre en arrêt pour faire de l’intérim et boucler leurs fins de mois »
La santé mentale : 1ère cause des arrêts longue durée
De son côté, l’assureur note surtout « une tendance haussière » de l’absentéisme en raison de troubles latents, tels que les troubles musculosquelettiques (TMS) ou les troubles psychologiques. Ainsi, les problèmes de santé mentale s’installent pour la deuxième année consécutive comme la première cause d’arrêt de travail de longue durée devant les TMS :
- 22,2%, soit +4 points par rapport à 2019, pour les troubles psy ;
- 21,2%, soit +0,2% comparé à 2019, pour les TMS.
« Beaucoup de travailleurs qui ont tenu, voire se sont sur adaptés, pendant le Covid craquent aujourd’hui. Il y a un cumul, un épuisement », analyse Anne Jacquelin.
Rappelons que les risques psychosociaux, s’inscrivent dans six catégories :
- L’intensité et temps de travail ;
- Les exigences émotionnelles ;
- Le manque d’autonomie,
- Des rapports sociaux dégradés au travail ;
- Les conflits de valeurs ;
- L’insécurité de la situation de travail.
« Certains d’entre eux, notamment dans le secteur de la santé, ont fait des efforts surhumains et n’ont obtenu aucune reconnaissance. Dans la plupart des milieux professionnels, la pandémie a été un moment extrêmement violent et le retour à la normale est difficile à digérer pour de nombreuses personnes. Certains employeurs qui avaient mis en place des dispositifs pour mieux concilier la vie professionnelle et personnelle sont violemment revenus dessus », rappelle la sociologue.
L’absentéisme augmente : son coût aussi
Dans cette étude, Axa a également évalué le coût direct de cet absentéisme à 4,4% de la masse salariale en 2022, contre 3,4% en 2019, soit une augmentation de 29%. Cette évaluation du coût direct a été réalisée en fonction du nombre de journées d’absences sur l’année, multiplié par le salaire brut des absents.
Elle ne tient donc pas compte des coûts indirects comme :
- La baisse de la productivité ;
- La désorganisation du travail ;
- La gestion administrative ;
- Les coûts de remplacement du salarié absent ;
- La formation de son remplaçant ;
- Des coûts liés aux frais de prévention et de gestion de l’absentéisme, etc…
« Une partie de ces coûts sont couverts par les régimes de prévoyance. Mais selon le régime de prévoyance mis en place, il peut rester une part de maintien de salaire à charge pour l’employeur, voire une perte de revenu pour le salarié », rappelle Axa.
Le Datascope d’Axa liste également les « multiples conséquences de l’absentéisme pour les entreprises », à savoir :
- La perte de productivité ;
- La détérioration de la qualité de service ;
- Le stress supplémentaire pour les salariés devant remplacer les absents ;
- Ou encore les répercussions sur le climat social.
Le niveau d’absentéisme en 2023 restera au-dessus de celui de 2019
Si l’étude prédit « une légère baisse de l’absentéisme pour 2023 », elle annonce aussi qu’il n’y aura pas de retour à la situation pré-Covid. Axa note même que « les indicateurs sont à des niveaux bien supérieurs à ceux de 2019 ». Le pourcentage de salariés absents au moins un jour est annoncé entre 35% et 42% pour cette année.
Pour Patrick Cohen, directeur général d’Axa France, « cette photographie détaillée est un signal d’alarme ». Et afin d’améliorer la situation, il suggère d’« augmenter les bilans de santé, de réguler le télétravail pour éviter une sédentarité ou une connexion trop importante, ou encore de former les salariés aux premiers secours en santé mentale ».
Quelles solutions pour réduire l’absentéisme en entreprise ?
Si la prévention serait une des premières solutions pour le CEO d’Axa France, la docteure en sociologie conseille également : « Il faut reconstruire le tissu associatif, les structures qui géraient les interstices de la vie des gens entre la maison et le travail et qui ont été achevées par la pandémie ».
Par ailleurs, de nombreux experts invitent aussi à se pencher sur la semaine de quatre jours. Conjuguée à une baisse du temps de travail sans diminution du salaire, elle permettrait de diminuer le taux d’absentéisme de manière drastique.
L’exemple le plus parlant étant celui du Groupe lyonnais LDLC en 2021, qui est passé aux 32 heures par semaine, payées 35, et qui a ainsi divisé son absentéisme par quatre.
Laurent de la Clergerie, président de LDLC, listait lui-même les bienfaits de la semaine de quatre jours dans un texte publié sur Linkedin : « Bilan : 6% de croissance, 20% de gain de résultat et un solde entre embauche et départ négatif« .
Plus récemment, en septembre dernier, c’est le fournisseur d’électricité verte Elmy qui a instauré la semaine de 4 jours pour ses 80 salariés. « On va pérenniser. On ne reviendra pas en arrière. Tout le monde voit les effets positifs. Il faut juste encore faire quelques ajustements« , explique Camille Darde, directrice des ressources humaines chez Elmy.
Autant de propositions et de solutions pour réduire l’absentéisme en entreprise qui ont le mérite d’être testées quand d’autres sont encore à explorer !