En vertu de la Loi Lemoine visant à rendre plus accessible le marché de l’assurance emprunteur, tous les emprunteurs ont désormais la possibilité de changer à tout moment leur assurance de prêt sans frais, depuis le 1er septembre 2022.
MàJ de l’article le 17/11
Malgré une décennie de diverses avancées législatives, ce marché reste l’apanage des banques qui détiennent toujours 88% des contrats. Spécialiste du changement d’assurance emprunteur et des offres alternatives en ligne, Securimut a publié en octobre son étude sur la « Liberté de choix de l’assurance emprunteur : quelle réalité opérationnelle ? », basée sur ses données de l’année 2021. Si la loi Lemoine devrait entrainer un certain nombre d’effets positifs attendus, Securimut fait le constat d’un marché encore trop verrouillé et propose quelques pistes visant à garantir davantage le libre choix des emprunteurs.
Les chiffres-clés de l’étude
- l’assurance emprunteur immobilier concerne 7 millions de foyers en France et représente un vaste marché de 7 milliards d’euros de primes annuelles.
- Malgré « plus de 10 ans de législation en faveur du libre choix », les banques détiennent encore 88% des contrats d’assurance emprunteur
- Opter pour une assurance emprunteur en dehors de la banque permet d’économiser en moyenne 500 euros par an pour un couple, à garanties équivalentes
Porte-parole de Securimut invitée à s’exprimer dans Assurance Podcast, une série de podcast dédiée à l’assurance emprunteur, Emilie Ruben dresse un constat sans nuances de la situation : « le produit d’assurance emprunteur est très particulier car l’emprunteur y souscrit, mais son bénéficiaire reste la banque. Les emprunteurs ne connaissent pas toujours leurs droits et ne savent pas tous qu’ils peuvent choisir une autre assurance avec leur crédit que celle proposée par la banque. »
Pour Emilie Ruben, deux chiffres illustrent particulièrement ce problème de communication et de connaissance du marché, issus d’une étude de l’UFC Que Choisir d’avril 2021 :
- 35% des emprunteurs ne savent pas qu’ils peuvent souscrire à une assurance de prêt en dehors de la banque ou en changeant d’assurance après la signature.
- 8 personnes sur 10 ne connaissent pas le coût de leur assurance de prêt et ne réalisent donc pas les économies qu’il est possible de faire en changeant d’assurance, et donc de gagner ainsi en pouvoir d’achat.
« Il existe donc un réel manque d’information du grand public, même si cela s’améliore peut-être en ce moment grâce à la loi Lemoine : beaucoup d’emprunteurs qui n’étaient pas conscients de ce droit sont aujourd’hui avertis » en déduit Emilie Ruben.
Plus de 10 ans de législation en faveur du libre choix
Depuis une dizaine d’années, divers textes successifs de réforme se sont succédé, allant toujours dans le sens du libre choix de l’emprunteur et de la facilitation de la substitution d’assurance :
- Loi Lagarde du 1er juillet 2010 instaurant le principe du libre choix de l’assurance emprunteur
- Loi Hamon du 17 mars 2014 ouvrant le droit à la résiliation à tout moment durant la première année du contrat.
- Amendement Bourquin à la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, ayant étendu le droit de résiliation à chaque date anniversaire du crédit
Toutefois comme l’a souligné Emilie Ruben, « à chaque nouvelle loi, les banques se sont organisées pour éviter la fuite de leurs portefeuilles, en interprétant la loi d’une manière restrictive leur permettant de resserrer leur étau. » D’où l’adoption cette année de la Loi Lemoine visant à garantir le droit à la résiliation à tout moment, même après la première année du contrat.
La rétention des banques, principal obstacle au libre choix ?
Emilie Ruben annonce la couleur : « les banques font énormément de rétention, y compris de manière orale auprès de l’emprunteur lorsque celui-ci souscrit à un crédit.
En effet, l’étude Securimut met en évidence de nombreux points problématiques en ce qui concerne le comportement des banques, nuisant de fait à la prise de décision libre et éclairée de l’emprunteur :
- Suite à une demande de changement d’assurance, le tiers des banques ne respecte pas le délai légal de réponse de 10 jours ouvrés, ce délai ayant été instauré en 2013. Un sixième des emprunteurs attendent une réponse pendant 30 jours, voire n’en reçoivent jamais.
- En cas de réponse, encore faut-il que ces réponses soient complètes : seules 41% des demandes de substitution font l’objet « d’une réponse unique et complète » par les banques : « soit pour essayer de retenir les emprunteurs par des mesures dilatoires décourageantes, soit pour avoir le temps de leur formuler des contrepropositions. »
- Certains contrats bancaires « n’avaient pas de date d’échéance, ou lorsqu’ils en avaient, les emprunteurs ne les connaissaient pas », neutralisant ainsi la possibilité de résiliation à date d’échéance prévue par l’amendement Bourquin.
L’étude pointe encore « les pressions sur les emprunteurs pour leur imposer l’assurance de la banque lors de la souscription du prêt », les banques n’hésitant pas à tenir aux emprunteurs un discours du type « si vous ne prenez pas l’assurance chez nous, nous ne pouvons pas garantir ces conditions de crédit. » De quoi dissuader en effet l’emprunteur de faire jouer la concurrence pour son assurance-crédit…
« Au final nous avons toujours un bilan très mitigé », commente Emilie Ruben : « en 2008, les assureurs alternatifs possédaient 10% de parts de marchés et 14 ans plus tard, c’est la même chose. Le marché n’a pas spécialement évolué malgré les renforcements de la législation. »
Quels effets attendus de la loi Lemoine ?
Les avancées de la loi Lemoine restent saluées de façon générale par Emilie Ruben : « la résiliation infra annuelle devrait lever la plupart des pratiques de rétention des banques. Elles n’auront plus d’intérêt à retenir l’emprunteur car même si celui-ci est débouté dans sa démarche, il pourra refaire une nouvelle demande quelques jours après. La résiliation à tout moment s’accompagne aussi de nombreuses mesures très opérationnelles qui visent à faciliter son application et l’information des emprunteurs. »
L’étude de Securimut évoque notamment les avancées suivantes :
- le dispositif de résiliation à tout moment est étendu à toute la durée du crédit. Cela aurait en outre pour effet « d’améliorer les délais de traitement des banques car ceux-ci étaient souvent utilisés pour repousser les demandes de substitution ou les faire passer hors délai. » En effet, la notion de délai ou de date d’échéance n’a désormais plus lieu d’être avec la loi Lemoine.
- Le taux de « réponse unique et complète » devrait significativement augmenter puisque la loi Lemoine l’exige désormais des banques : « toute décision de refus est explicite et comporte l’intégralité des motifs de refus. »
Soulignant toutefois que depuis 10 ans, les banques ont généralement su s’adapter aux avancées législatives sans perdre réellement de parts de marché, l’étude de Securimut évoque aussi des points de vigilance à observer sur certaines pratiques des banques, qui restent d’actualité malgré l’entrée en vigueur de la loi Lemoine :
- La difficile identification des circuits souhaités par les banques
- Le faible respect des délais de réponse
- Les réponses volontairement partielles pour retarder la substitution
- La pratique illégale de modifier les conditions des prêts assurés au moment du changement d’assurance
Par ailleurs, Securimut pointe encore certaines pratiques bancaires auxquelles la loi Lemoine n’apporte aucune réponse :
- La dissimulation de la date de résiliation du contrat bancaire sur les avenants
- Les objections erronées sur l’équivalence de garanties
- Le non-respect du mandat de substitution
Enfin, un autre problème majeur de la loi Lemoine est son impact sur les tarifs : dans le but de faciliter l’accès au crédit, la loi a supprimé le questionnaire médical en cas de prêt inférieur à 200 000 euros, arrivant à échéance avant les 60 ans de l’emprunteur. Sauf que comme l’indique le rapport de Securimut, « face à la hausse des risques entrainée par cette mesure, de nombreux assureurs alternatifs ont relevé leurs tarifs sur les contrats concernés. »
Ainsi en comparant les conditions offertes pour un emprunt de 195 000 € évitant la sélection médicale, par rapport à un emprunt de 205 000 €, le rapport a livré les conclusions suivantes :
- « un cadre célibataire de 29 ans paiera son assurance 700 € de plus, soit 29% d’augmentation. »
- « un couple d’employés de 34 ans paiera son assurance 1 314 € de plus, soit 19% d’augmentation. »
Securimut déplore ainsi que « les foyers les plus pénalisés sont les foyers modestes qui empruntent moins de 200 000 €. »
Des pistes d’amélioration ?
Si Securimut appelle en premier lieu à la « bonne application des lois existantes » histoire de faire comprendre que celles-ci, y compris la loi Lemoine, ne sont pas encore totalement respectées, l’assureur propose 4 axes d’amélioration afin « d’ouvrir le libre choix de l’assurance emprunteur au plus grand nombre » :
« prodiguer une information loyale au consommateur, avec un Taux annuel global effectif du Crédit (TAEG) épuré de l’assurance, et un Taux annuel effectif de l’Assurance (TAEA) intégrant toute l’assurance vendue » : les informations délivrées actuellement par les banques rendent en effet « la comparaison entre deux offres de prêt impossible. » En revanche l’addition du TAEG et du TAEA permettraient de connaître « le coût total réel du crédit et de l’assurance vendue. »
« Donner aux emprunteurs toutes les informations nécessaires au changement d’assurance » : en effet les Fiches Standardisées d’Information (FSI) actuellement remises aux emprunteurs ne sont que précontractuelle, l’emprunteur n’est donc pas forcément susceptible de conserver ce document. Les FSI sont aussi parfois « évasives quant à la part obligatoire et la part facultative de cette assurance pour chaque emprunteur. »
« Mettre fin à l’avenant bancaire » : en cas de substitution, la banque émet un avenant à l’offre de prêt à retourner signé par l’emprunteur. Cette procédure fournissait encore aux banques une occasion de retarder les délais. Or « si la loi Lemoine devrait améliorer la situation quant aux délais d’émission de cet avenant » Securimut juge néanmoins de toute façon ce document tout à fait inutile et plaide pour sa suppression. « L’acceptation de la substitution formulée par la banque devrait suffire. »
« Corriger les effets négatifs de la suppression du questionnaire de santé pour certains profils d’emprunteurs » : cette suppression ayant conduit à des augmentations significatives des tarifs d’assurance, venant toucher les emprunteurs les plus modestes, Securimut propose de réserver l’exonération du questionnaire de santé « aux seuls emprunteurs en ayant déjà bénéficié lors de la souscription de leur contrat d’assurance initial. »
En attendant que ces propositions soient éventuellement reprises, reste à savoir comment la situation va concrètement évoluer sur le marché maintenant que la loi Lemoine est complètement entrée en vigueur. A ce propos, Securimut parie déjà que « la version 2023 de la présente étude sera riche d’enseignements. »