Contribution écrite par Emmanuèle Lutfalla et Gaëtan Defer de Signature Litigation
De plus en plus, nos sociétés doivent faire face à une systématisation des risques tels que le risque climatique, le risque cyber, le risque sanitaire ou encore le risque de guerre. Or, face à ces risques dits émergents, l’assurance est en première ligne pour garantir les particuliers et les entreprises contre leurs conséquences, parfois exorbitantes.
Cependant, les solutions aujourd’hui apportées par les assureurs se révèlent parfois insuffisantes et inadaptées, et conduisent souvent à une exclusion de garantie, au paiement de primes exponentielles ou à l’application de plafonds inadaptés. C’est le signe que le système d’assurance traditionnel doit se réinventer pour pouvoir répondre à ces nouveaux enjeux, sans pour autant s’exposer de manière déraisonnable.
Plusieurs évolutions doivent donc être envisagées avec pour objectif d’offrir une plus grande sécurité et une meilleure stabilité, tant aux assureurs qu’aux assurés. Il semblerait qu’il y ait principalement deux changements à venir :
- Un changement dans l’offre assurantielle, avec le développement de nouvelles méthodes pour anticiper et garantir les coûts provoqués par la réalisation d’un risque émergent ;
- Un changement dans le rôle des assurés, avec de nouvelles obligations notamment pour adopter des comportements plus « responsables » et développer des mécanismes de prévention et de résilience.
Ces évolutions sont déjà en marche. Il faut les intensifier et les renforcer.
Tout d’abord, concernant le renouveau de l’offre assurantielle, plusieurs méthodes innovantes ont vu récemment le jour et méritent que l’on s’y arrête.
La première consiste à faire supporter par le marché financier et les investisseurs tout ou partie des coûts liés à la réalisation d’un risque catastrophique. Pour se faire, les assureurs émettent des obligations, communément appelées catastrophe bonds (cat bonds), dans le but de constituer une réserve de fonds disponible en cas de sinistre.
Ainsi, l’assureur pourra réorienter une partie de la prise en charge du risque vers cette réserve, ce qui devrait lui permettre de limiter son engagement sur fonds propres et de répartir le poids total de la garantie sur plusieurs acteurs. En effet, en achetant des cat bonds, les investisseurs participent à la garantie du risque puisque leurs investissements sont susceptibles d’être entièrement consommés par la libération des fonds.
En échange de cette prise de risque, il existe plusieurs limites : la libération des fonds sera soumise à la réalisation de plusieurs conditions, notamment liées à la réalisation d’un risque catastrophique, de telle sorte que l’assureur n‘est pas libre d’en disposer comme il le souhaite ; ou la courte durée de vie de ces bonds, leur maturité intervenant habituellement entre 3 et 5 ans. Cela signifie qu’à terme, si les conditions imposées pour la libération des fonds n’ont pas été réunies, les investisseurs récupèrent les sommes investies, outre les intérêts qu’ils ont évidemment perçus tout du long.
La deuxième option concerne un changement d’appréhension du risque avec l’essor de l’assurance paramétrique. Ce modèle d’assurance entend apporter une solution forfaitaire aux conséquences des risques émergents, en se fondant sur des indices objectifs et précis pour déterminer les cas dans lesquels un sinistre peut être garanti.
L’assureur détermine par avance les indices ou les seuils qu’il considère être révélateurs d’un sinistre nécessitant le recours à sa garantie ; et, lorsque ces indices sont réunis ou ces seuils dépassés, sa garantie est automatiquement engagée, suivant un forfait prédéfini, sans que l’assuré n’ait besoin de justifier du quantum de son dommage.
Parmi les avantages de cette nouvelle méthode : la prévisibilité et la transparence, puisque l’ensemble des conditions d’engagement de la garantie sont définies à l’avance et connues de tous, suivant plusieurs indices ou seuils objectifs facilement identifiables par les assurés ; l’efficacité et la rapidité puisque l’indemnisation est déclenchée par la réunion de facteurs objectifs sans qu’il ne soit nécessaire à l’assuré d’en faire la demande et de justifier de son préjudice.
Néanmoins, la fiabilité d‘une telle méthode nécessite que l’assureur puisse avoir accès à un grand nombre de données, et puisse les analyser pour définir le plus précisément les indices ou seuils pertinents. En l’absence d’une telle capacité, le risque est que la réponse paramétrique ne soit pas en adéquation avec le préjudice subi par les assurés.
Ainsi, dans le cadre du développement de ces nouvelles méthodes assurantielles, la coopération entre les assureurs et d’autres acteurs, notamment privés, est devenue essentielle. En effet, face aux besoins de récolter et de traiter une quantité importante de données, plusieurs start-up en assurances, appelées « assurtechs », ont fait de l’analyse de données (data analytics) leur cœur de métier, avec pour objectif de pouvoir modéliser l’évolution des risques, et notamment des risques émergents. Beaucoup de ces sociétés ont déjà fusionné avec d’autres sociétés d’assurance plus traditionnelles, mais ce mouvement sera sans doute amené à s’accélérer.
En outre, la dépendance croissante des assureurs aux données, s’accompagne d’un effort de personnalisation des services d’assurance. La coopération avec les assurés doit s’imposer comme l’un des moyens devant permettre une meilleure prévention et une gestion plus efficace du risque. L’objectif est d’établir une véritable relation de confiance, voire de « partenariat », dans laquelle l’assuré fournit à l’assureur l’ensemble des données dont il a besoin – sur les activités de l’entreprise, sur l’organisation interne et les mesures de prévention des risques, sur l’expérience passée, etc. – et l’assureur adapte sa police aux besoins précis de l’assuré, toujours dans le but d’une meilleure prise en charge des risques et d’une réduction des coûts.
D’ailleurs, cette coopération renforcée doit conduire à une plus grande responsabilisation de l’assuré. D’une part, ce dernier devra probablement renforcer ses mécanismes internes de contrôle et de gestion des risques, s’il espère pouvoir bénéficier de la garantie de son assureur.
Par exemple, en matière de risque cyber, il est courant que l’absence de système de sauvegarde des données dans le fonctionnement informatique de l’entreprise soit un motif d’exclusion de la garantie.
D’autre part, l’assuré pourra être amené à devoir renforcer ses réserves propres aux fins d’auto-assurance. Par exemple, cela pourrait passer par la création de sociétés « captives » dont l’objet est à la fois d’accueillir les fonds de la société mère pour constituer une réserve disponible en cas de sinistre, mais aussi de renforcer sa position dans les négociations avec les assureurs/réassureurs en internalisant notamment les compétences propres aux courtiers.