Dans un contexte accru de « Guerre des Talents », les entreprises ne considérant pas les atouts de la diversité rateront le train de la transformation.
Parmi les différents enjeux, celui de l’égalité voire de la parité hommes-femmes a beau être le plus ancien, il n’en est pas moins toujours d’actualité.
Aujourd’hui encore, suite à l’adoption de la Loi Rixain instaurant des quotas de femmes parmi les cadres dirigeants exécutifs des entreprises, ces questions soulèvent de vives discussions. Mais d’après la Présidente du cabinet de recrutement PageGroup Isabelle Bastide, « l’enjeu est en réalité ailleurs : c’est une question d’utilité publique. »
Un état des lieux encore insatisfaisant
Dans une tribune publiée sur le site de Harvard Business Review France, Isabelle Bastide dresse un état des lieux encore largement perfectible, s’appuyant sur le Rapport du Gouvernement sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, paru en 2021. Celui-ci a rappelé « l’existence d’inégalités persistantes entre les sexes : sous-représentation des femmes dans certains métiers, inégalité en matière d’accès à l’emploi à diplôme équivalent, écarts de salaires toujours marqués. Il reste beaucoup à faire pour atteindre une égalité professionnelle qui viendrait réduire bon nombre d’inégalités sociales », écrit-elle ainsi.
Elle dévoile en effet les chiffres et éléments suivants :
- en 2021, le taux d’emploi des femmes de 25 à 34 ans, diplômées d’un master universitaire, « reste inférieur de 8 points à celui des hommes, deux ans et demi après leur sortie d’école » (chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur)
- les écarts de salaires moyens « se situent autour de 12% dans le public et de 17% dans le privé », en faveur des hommes.
- Les travailleurs à temps partiel « sont des travailleuses à hauteur de 80% », ce qui signifie que les femmes « continuent d’absorber largement la charge familiale et les tâches liées au foyer. » Ainsi durant le premier confinement, les femmes ont été « deux fois plus nombreuses que les hommes à s’être arrêtées de travailler pour s’occuper des enfants et gérer l’école à la maison. »
Selon une étude sur la féminisation des instances dirigeantes, menée par l’Ifop pour Michael Page Consulting en août 2021, 65% des femmes managers déclarent « qu’elles souhaiteraient intégrer l’équipe dirigeante de leur entreprise si elles en avaient l’opportunité. » Mais dans les faits, « trop peu se destinent aujourd’hui aux postes de direction »: 66% d’entre elles nourrissent « un sentiment d’illégitimité. »
Isabelle Bastide en conclut que « derrière ces éléments, il y a une notion d’ordre établi qui perdure. Résultat, les femmes se trouvent potentiellement pénalisées dans leurs progressions de carrière. » Deux autres chiffres majeurs ressortent de ce constat : si dans le privé, 42% des salariés sont des femmes, celles-ci ne sont représentées qu’à hauteur de 28% dans le top 10 des rémunérations. Quant aux comités exécutifs et de direction des entreprises du SBF 120, ceux-ci ne comptent, en moyenne, que 21% de femmes. « Cette part, en forte évolution depuis dix ans, reste cependant bien trop faible et ne rend pas honneur aux talents féminins qui composent notre population active, » souligne Isabelle Bastide.
Interrogée par Vovoxx en fin d’année dernière, Isabelle Hernu, Partner chez Mercer France, brossait un constat similaire propre au secteur de l’Assurance : « la proportion des femmes n’est que de 33% en France parmi les cadres de direction. Au sein des comités exécutifs, les femmes qui y siègent exercent essentiellement des fonctions-support (les Ressources Humaines, toujours vues comme un métier plus féminin) plutôt que des rôles vraiment opérationnels. »
C’est justement afin de renforcer la part des femmes au sein des instances dirigeantes exécutives des entreprises que la Loi Rixain a été promulguée le 24 décembre 2021.
Les quotas ont le mérite d’imposer une réflexion de fond
La Loi « visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle » dite Loi Rixain impose entre autres mesures des quotas de 30% de femmes cadres dirigeantes, et de 30% de femmes membres des instances dirigeantes en 2027. Ces mêmes quotas passeront à 40% en 2030. A partir de 2027 puis de 2030, les entreprises auront deux ans au maximum pour se mettre en conformité, sous peine de pénalités financières plafonnées à hauteur de 1% de la masse salariale.
Isabelle Bastide souligne que ces quotas auront le mérite d’imposer des questionnements et changements de mentalités au sein des entreprises : « parce qu’ils contraignent, les quotas imposent une réflexion de fond sur la parité en entreprise et l’égalité femmes-hommes. Ils imposent aux instances dirigeantes des entreprises – encore largement masculines aujourd’hui – de se questionner sur leurs méthodes, sur la notion d’équité qui s’applique ou non en leur sein, sur la justesse du regard qu’elles portent sur les femmes et leurs carrières. Sans cette imposition, les questions d’égalité professionnelle entre hommes et femmes resteraient tues et donc peu traitées. »
En vue d’atteindre ces quotas, les entreprises devront nécessairement revoir leurs politiques RH à court terme, ainsi que leurs politiques RSE sur le plus long terme afin de valoriser les talents féminins, lutter contre toute discrimination mais aussi pour changer des comportements et stéréotypes parfois profondément ancrés.
L’ensemble de la société, à travers l’éducation et les systèmes de formation, sera d’ailleurs poussé à cette transformation. A ce titre, le témoignage livré l’an dernier d’Isabelle Hébert, Présidente de l’association Parité Assurance, dans Dessine-moi l’Assurance, reste éloquent : « Longtemps, je n’ai pas voulu croire aux quotas comme un moyen d’action pour faire changer les équilibres. Je pensais innocemment que cela viendrait naturellement. Mais la vie m’a appris que les grands équilibres théoriques ne fonctionnaient pas comme cela. Aujourd’hui, j’approuve ces propos de Christine Lagarde : « quand on légifère, on trouve des femmes, quand on ne légifère pas, on trouve des excuses ! »
Au-delà de la loi, quelles pistes d’actions concrètes ?
Isabelle Bastide souligne avec optimisme que « plus de 6 dirigeants sur 10 considèrent qu’une entreprise a de meilleures performances lorsqu’elle est dirigée par une femme. Les dirigeants masculins sont même majoritairement promoteurs des femmes aux hautes responsabilités, conscients des avantages d’une plus grande mixité dans les instances dirigeantes, tant sur le plan de la créativité que de la capacité d’innovation. » Ainsi dans un contexte de guerre des talents, « toutes ces actions auront un effet positif sur la Marque Employeur, tant en matière d’attraction que de rétention des talents féminins. »
Elle mentionne ainsi dans sa tribune plusieurs chantiers, dans lesquels non seulement les entreprises mais aussi la société dans son ensemble doivent s’engager, pour permettre à la Loi Rixain de jouer pleinement son rôle :
- Lutter contre les stéréotypes de genre non seulement dans l’entreprise « mais aussi dès l’école », pour mettre fin notamment aux croyances qu’il existerait des métiers d’hommes et des métiers de femmes
- Faire mener par les entreprises « une vraie politique d’identification et d’accompagnement des talents féminins, à travers du coaching ou du mentorat afin de faciliter l’expression des potentiels féminins et leur permettre de se positionner sans se censurer » sur les mêmes postes que leurs homologues masculins.
- Source d’inspiration essentielle, les femmes dirigeantes doivent également se rendre plus visibles : « cette projection rendue possible permettra aux femmes de se défaire d’un sentiment d’illégitimité souvent prégnant. »
- Recourir à des prestataires de conseil externes pour « briser les plafonds de verre présents au niveau de l’encadrement et des instances de direction, » en opérant notamment un travail de fond sur les systèmes de promotion interne.
- Déployer une « charte de la flexibilité » afin d’aborder la question de la parité « également sous l’angle de l’équilibre des temps de vie et de la gestion de la parentalité, pour permettre aux hommes d’envisager sans frein une plus grande participation aux obligations familiales, par exemple. »
Au fond, comme le conclut Isabelle Bastide, « ces quotas imposent une réflexion saine à la société dans son ensemble. Leur sens est d’accélérer les réflexions de tous et la mise en œuvre du changement. Les dirigeants d’entreprise ont une responsabilité collective pour faire évoluer ces aspects et gommer ces freins. L’enjeu est également pour les femmes de prendre leur destin en main, de se positionner en tant qu’actrices légitimes de la société, égales des hommes sans en être des clones. »