Dans un contexte d’inquiétude relative à l’assurabilité des risques, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) a pris part au débat en publiant le 13 avril un avis sur l’ensemble des risques systémiques (climat, pandémie et risque cyber), sous forme de rapport étayé.
Formulant pas moins de 14 préconisations, le CESE plaide pour un changement général d’approche, notamment en matière de prévention des risques. Parmi ses recommandations phares, figure la création d’une « autorité publique au plus haut niveau de l’Etat », vouée à incarner un « véritable Risk Management public. » Une meilleure répartition des rôles entre l’Etat et les assurances privées est également envisagée.
Les constats du CESE
Comme l’indique le CESE dans son rapport, en France, le système assurantiel repose sur deux niveaux ayant vocation à se compléter : « l’assurance privée couvre les risques dits assurables, et lorsque les dommages sont exceptionnels, l’État intervient à travers un mécanisme de réassurance. »
Mais sans surprise, le CESE ne fait que constater l’explosion des risques systémiques : « la perception de l’augmentation des risques est confirmée par les chiffres de la sinistralité des dernières années. » Concernant les risques climatiques, « le constat d’une aggravation des sinistres est flagrant dans les montants versés aux sinistrés. » D’ailleurs, la dernière étude sur le climat de France Assureurs a établi que dans les 30 prochaines années, le coût des aléas climatiques sera doublé dans les 30 prochaines années par rapport aux 30 années passées.
Quant aux menaces cyber, le CESE souligne que « les cyberattaques ont représenté 217 millions d’euros d’indemnisation en 2020, en forte hausse par rapport à 2019, » où elles n’avaient représenté « que » 73 millions d’euros. Parallèlement, « les primes versées sont passées de 87 millions d’euros en 2019 à 130 millions d’euros en 2020 » : autant dire qu’en 2020, les montants des indemnisations ont largement dépassé celui des primes…
Troisième catégorie de risque systémique, le risque sanitaire représenté par la pandémie de Covid-19 : le CESE relève que « la pandémie a coûté environ 10 points de PIB en 2020 à l’économie française. »
En conséquence, « l’expansion des risques interroge les fondements de l’assurance dont les mécanismes traditionnels ne semblent plus adaptés. » Le CESE plaide ainsi pour un véritable changement d’approche.
Les recommandations du CESE
Le CESE a regroupé ses 14 recommandations au sein de trois catégories : « connaître, prévenir, indemniser. » Dès le préambule de son rapport, il insiste en particulier sur la nécessité de multiplier les efforts en matière de prévention des risques : « la problématique soulevée ne saurait être envisagée sous l’angle unique de la technique d’assurance, mais également, et peut-être surtout, à travers la mise en œuvre de politiques publiques garantes de la solidarité et de la prévention. »
En effet, le CESE a pointé dans son rapport deux carences majeures. D’abord la nécessité d’une meilleure acculturation aux risques de l’ensemble de la population : « en dépit des actions de sensibilisation et des interventions des acteurs de terrain, la prise de conscience reste sans doute inférieure à ce qu’elle devrait être. » De nombreux acteurs de l’assurance partagent d’ailleurs ce constat, notamment la présidente de France Assureurs Florence Lustman, qui expliquait lors d’une interview sur Europe 1 que « Les Français sont très mal préparés aux risques cyber comme aux risques climatiques. »
Par ailleurs, le CESE déplore que « l’importance de la prévention et du Risk Management soient plus que jamais sous-estimées. » Ainsi parmi les 14 recommandations formulées par le CESE, nous avons retenu les propositions suivantes :
Mieux connaître et appréhender les risques
- Instauration d’un Risk Management public : « l’État stratège doit piloter le changement de paradigme en créant à son plus haut niveau, une autorité politique de plein exercice, chargée de la prévention et de la gestion des risques majeurs. »
- Développer et valoriser les formations et les carrières de Risk Management et d’expertise dans le secteur privé comme dans le secteur public.
- Introduire dans les formations initiales et continues, la « culture de la connaissance et de la prévention des risques » en développant les formations à la cyber- sécurité et aux métiers qui s’y rattachent.
Renforcer la prévention des risques
- Engager les assureurs à renforcer leurs investissements verts, notamment en intégrant ceux-ci dans la règlementation européenne. « En qualité d’investisseurs, les assureurs peuvent contribuer à limiter les effets
du dérèglement climatique », souligne ainsi le CESE dans son rapport. - Favoriser les investissements de prévention sur le bâti et remettre en cause selon les cas, le principe de « reconstruction à l’identique »
- Soutenir les investissements de prévention des entreprises, notamment les TPE/PME, par un dispositif de suramortissement comptable ou de crédit d’impôt selonles cas.
Améliorer le partage et l’indemnisation des risques
- Augmenter la Dotation Budgétaire du Fonds de Prévention des Risques Naturels majeurs (fonds Barnier) et élargir les critères d’éligibilité, par le recours à des fonds européens et ou en fléchant une partie du plan de relance
- Créer une branche d’assurance dédiée aux risques Cyber, en prévoyant l’élaboration d’un contrat Cyber « socle » destiné aux TPE/PME : celui-ci proposerait « les garanties essentielles telles que l’assistance au redémarrage de l’activité, les pertes d’exploitation et la conformité réglementaire. »
- Faire évoluer le régime CatNat en l’ouvrant aux réassureurs privés afin d’en renforcer la soutenabilité
Vers une recomposition du rôle de l’Etat ?
Le CESE souligne dans son rapport le rôle majeur qu’exerce déjà aujourd’hui l’Etat en France dans l’assurabilité des risques et l’indemnisation des sinistres, notamment à travers le régime CATNAT qui est un « dispositif rare en Europe. » Ainsi l’État intervient « à la fois en tant qu’assureur et pour coordonner la gestion des risques, tant sur le plan des politiques publiques qu’au niveau opérationnel. »
S’interrogeant sur le bien-fondé comme sur les limites de ce système, le CESE préconise au fond une évolution du rôle de l’Etat tout en renforçant celui-ci. Conscient que l’Etat ne sera pas en capacité de financer seul l’assurabilité des risques systémiques voués à se multiplier, le CESE plaide ainsi pour une meilleure complémentarité des financements publics et privés, y compris en ouvrant le régime CATNAT aux réassureurs privés.
Mais en parallèle, le rôle de l’Etat reste central, notamment en matière de coordination : « l’État doit agir à la fois comme investisseur, prescripteur de normes et de règlements, interlocuteur européen et international, acteur de la prévention et comme payeur en dernier ressort. Ces différentes missions induisent des moyens financiers conséquents et donc une remise à plat de la fiscalité, ainsi qu’une législation idoine. »