Le contexte de la crise sanitaire a lourdement pesé sur le moral des Français. Alors que les périodes de confinements successifs semblent bien derrière nous, il est temps de prendre la mesure des dégâts psychologiques profonds causés par la pandémie, et de remettre à plat nos acquis concernant la prise en charge de la santé mentale.
Encore aujourd’hui, trop de personnes n’osent pas parler de leurs fragilités mentales par peur de montrer leurs faiblesses. Face à ce tabou, les acteurs de la santé et les assurances se mobilisent, notamment pour sensibiliser le monde du travail.
La santé mentale, état des lieux dans le monde
Ayant publié le 25 janvier l’édition 2022 de son étude sur la santé mentale et le bien-être, l’assureur Axa a ainsi délivré un état des problématiques de santé mentale, fort des réponses de plus de 11 000 participants, interrogés par l’institut Ipsos sur onze marchés en Europe et en Asie.
Premier enseignement, il y a urgence à sensibiliser aux mesures de prévention. En effet, seules 44% des personnes interrogées ont déclaré s’être senties heureuses au cours de l’année écoulée. Avec seulement 39%, la France est en fin de classement.
« Le coût des maladies mentales non diagnostiquées et mal gérées est colossal, souligne Antimo Perretta, Directeur général d’Axa Europe & Amérique latine. L’OCDE estime que l’impact économique peut atteindre 4,2 % du PIB. »
Plus alarmant encore, seuls 37% des participants pensent que le système de santé publique de leur pays apporte un soutien adéquat. L’Italie (24%) et le Royaume-Uni (23%) sont les pays suscitant la plus forte défiance. Au contraire, les Suisses (58%) et les Chinois (65%) font bien davantage confiance à leur système de santé.
Du côté des employeurs, les résultats globaux ne sont pas plus satisfaisants puisque là encore, seules 37% des personnes interrogées estiment bénéficier d’un soutien de leur employeur sur la question de la santé mentale. Les plus mauvais élèves en la matière s’avèrent être le Japon (20%) et Hong-Kong (32%).
Si ces résultats ne sont guère enthousiasmants, Axa en tire néanmoins la conclusion que « cette étude montre que les entreprises et les systèmes de santé ont un rôle majeur à jouer pour améliorer la prévention, le soutien et les soins en matière de santé mentale. »
Quelques chiffres clés pour la France
Organisée en partenariat avec Santéclair, premier réseau de soins français, l’émission web TV exclusive « Bien dans ma tête : Français, salariés et entreprises face au tabou de le santé mentale ! » a été également l’occasion d’indiquer certains chiffres clés :
- Plus de 3 salariés sur 10 sont en détresse psychologique.
- 9300 suicides sont recensés par an en France, avec 200 000 tentatives.
- 12 millions de Français souffriraient de troubles mentaux.
- D’après une étude réalisée pour la Fondation FondaMental, le coût des maladies mentales en France en 2018, direct et indirect, se serait élevé à 160 milliards d’euros.
- Selon l’Assurance Maladie, le coût social du stress au travail est évalué entre 1,9 et 3 milliards d’euros.
Invité sur le plateau, le Directeur Délégué de l’institut Harris Interactive Jean-Daniel LÉVY a également présenté les résultats de son étude sur les Français et la santé mentale, menée en partenariat avec Santéclair. Il en est ressorti les enseignements suivants :
- La moitié des Français consulte un psychologue ou considère qu’ils peuvent être amenés à consulter.
- Un Français sur 2 déclare connaître dans son entourage des personnes éprouvant des difficultés psychologiques.
- 59% des Français estiment être mal informés sur les troubles et souffrances psychiques, même si leur partenaire de confiance sur ce sujet reste le médecin traitant.
Tabou or not Tabou ?
Autre invitée en plateau, la psychiatre Marine COLOMBEL a admis que le tabou de la santé mentale existe encore mais aurait tendance à s’estomper : « il y a un avant et un après Covid : cette période a entrainé un changement progressif de mentalité, avec une prise de conscience que le travail doit jouer un rôle central d’épanouissement. »
Plus sceptique, la Directrice Générale de Santéclair Marianne BINST tempère cette évolution. « Le tabou reste très fort et il faut surtout dire que durant la pandémie, l’isolement des gens a fait exploser le nombre de pathologies mentales : le fait que nous puissions en parler davantage qu’avant est surtout dû à la flambée des cas pendant la période de Covid. Certes, il est vrai que dans les grandes villes et certains milieux, c’est plus facile d’en parler, mais les tabous demeurent. Ne serait-ce que pour cette émission, trouver un patient qui accepte de témoigner sur ses parcours de soin en santé mentale à visage découvert n’a pas été possible. Alors que si le sujet avait été sur le cancer, nous aurions trouvé. »
Reprenant son étude, Jean-Daniel Lévy a confirmé la persistance de tabous, en particulier « dans le cadre professionnel où certes, le burnout est reconnu, mais il est toujours très difficile d’en parler, avec des disparités selon les métiers. » L’enquête a également confirmé un certain nombre de disparités sociales : « dans les milieux sociaux élevés, chez les personnes diplômées ou dans les centres urbains, il y a plus de facilité à prendre la parole. Ceux qui ont déjà eu des personnes en difficulté dans leur entourage sont aussi plus enclins à le faire. Mais dans des milieux plus reculés géographiquement ou moins favorisés socialement, de très forts tabous pèsent sur les individus, beaucoup n’osent même pas aller consulter quelqu’un. »
S’il est cependant un aspect positif à souligner, c’est la prise de conscience globale des employeurs sur le sujet, même si ceux-ci se sentent parfois démunis ou ont des difficultés à engager de réelles discussions avec des salariés fragiles, ces derniers craignant d’être stigmatisés. « Les entreprises sont vraiment préoccupées par cette problématique depuis la crise Covid, avec les problèmes d’isolement liés au télétravail, et des cas allant de l’absentéisme à l’absence de longue durée, voire au suicide. On sent que les entreprises ont envie de faire quelque chose mais ne savent pas trop comment s’y prendre », explique Marianne Binst. « L’entreprise est la mieux à même sans doute de faire quelque chose mais la santé mentale est la pathologie par définition dont on ose le moins parler dans une entreprise. »
Quelles actions concrètes ?
Depuis ce mois d’avril, les patients bénéficient enfin d’une prise en charge par un psychologue remboursée par l’Assurance Maladie, à condition d’avoir été orienté par un médecin et dans la limite de huit séances. Si cette mesure représente une avancée, l’ensemble des acteurs s’est accordé à considérer que ce dispositif était encore largement insuffisant.
Marine Colombel admet que cette mesure a le mérite « d’ouvrir la consultation des psychologues à une population beaucoup plus large, ce qui va dans le sens d’une meilleure prévention de la santé mentale. En revanche les taux de remboursement posent problème car dans ce cadre, les psychologues participant au dispositif ne peuvent pas dépasser le seuil demandé par l’Etat. Or ce seuil n’est pas viable s’ils continuent à assurer des consultations de ce type entre 30 mn et 1 h. Il s’agit donc là d’un vrai débat qui n’est pas encore tranché. »
Sur le même plateau, Marianne Binst a confirmé l’insuffisance de cette mesure. « Actuellement, le parcours de soin en santé mentale n’est pas naturel et ne le sera pas tant que les séances chez le psychologue ne seront pas suffisamment remboursées. Trop de gens vont voir un psychiatre en premier lieu car les consultations chez ce dernier sont remboursées, alors qu’il ne s’agit pas du bon interlocuteur au départ. Une meilleure collaboration est nécessaire entre le régime obligatoire, les régimes complémentaires et les plateformes de santé. »
En attendant que cet objectif se réalise, le réseau Santéclair a développé tout un panel de solutions et d’actions en matière de santé mentale, mis en œuvre depuis le 1er mars dernier : « notre but est d’aider vraiment les gens à orienter leur parcours de soin, sachant que le parcours de soins de santé mentale est le plus opaque qui soit, avec un très faible accès à l’information », explique Marianne Binst.
Santéclair propose ainsi notamment des consultations psychologiques en visioconférence, avec un accès direct, inclus et illimité pour briser cette barrière financière empêchant de venir consulter.
Afin de répondre au manque de lisibilité du parcours de soin, Santéclair délivre toutes les informations nécessaires sur les hôpitaux et établissements disponibles, y compris en cas de grande pathologie allant de la dépression à la schizophrénie. « Nous avons fait un énorme travail de compilation sur les accès aux urgences, car tous les services d’urgence ne sont pas équipés d’une présence psychiatrique 24/24. La question est donc de savoir où aller et à quels horaires, car nous subissons un gros problème de pénuries de psychiatres dans le secteur des urgences aujourd’hui, » explique Marianne Binst.
A noter que ces services s’adressent non seulement aux salariés mais aussi à leur famille : « Si son enfant, son conjoint ou ses parents ne vont pas bien du tout, un salarié par exemple n’ira pas bien non plus. Donc ces services s’adressent aux ayant droits du contrat. La santé mentale est un tout entre le corps, l’esprit et la cellule de ressourcement qu’est la famille. » Quant aux entreprises, le travail de Santéclair est de « trouver des outils serviciels faisant le lien entre la prise de conscience des entreprises et leur difficulté à rentrer dans l’action. Par exemple, nous les aidons à parler et communiquer sur les différents services disponibles sans pour autant avoir à rentrer dans l’intimité des problèmes des personnes. »
Du côté des assureurs, AXA a annoncé diverses actions concrètes dans les différents pays du monde, visant aussi bien les particuliers que les employeurs et les décideurs publics, afin de briser les tabous.
- Lancement de l’indice AXA Mind Health Index, visant à suivre les progrès réalisés en matière de santé mentale. « Adapté à chaque pays, cet indice aidera particuliers, entreprises, professionnels de santé et décideurs politiques dans leur approche de la santé mentale. »
- Mise en service d’une nouvelle application au Royaume-Uni d’évaluation du bien-être mental.
- Lancement déjà effectif en Europe d’une plateforme de santé numérique en partenariat avec Microsoft.
- Mise en service d’une nouvelle plateforme de consultation psychologique pour les clients d’Axa Hong-Kong.
« Nous voulons offrir une approche holistique, orientée vers une action positive pour le progrès humain afin d’aider chacun à prévenir et à traiter les problèmes à un stade précoce, tout en protégeant son bien-être émotionnel », conclut ainsi Antimo Perretta.
Au final, tous les acteurs se sont accordés sur un début de changement de mentalité en cours, tout en soulignant l’ampleur du travail restant à faire pour que la définition de la santé par l’OMS prenne tout son sens : « il n’y a pas de santé sans santé mentale : la santé est un état complet, bien-être physique mental et social, il ne se limite pas seulement à absence de maladie ou d’infirmité. »
La santé mentale, une bombe à retardement chez les Français en 2022 ? – Partie 1
La santé mentale, une bombe à retardement chez les Français en 2022 ? – Partie 1
La santé mentale, une bombe à retardement chez les Français en 2022 ? – Partie 2
La santé mentale, une bombe à retardement chez les Français en 2022 ? – Partie 2